Le président Kais Saied a promis de passer « du désespoir à l’espoir » grâce à une nouvelle Constitution soumise à référendum dont l’adoption ne fait guère de doutes mardi, et qui renforce ses pouvoirs au point de mettre en péril la toute jeune démocratie tunisienne.
En fin d’après-midi mardi, les opérations de dépouillement étaient toujours en cours; les premiers résultats officiels sont attendus en soirée, entre 19H00 et 21H00 (18H00-20H00 GMT).
Selon l’institut de sondage indépendant Sigma Conseil, le « oui » l’emporterait avec 92,3% des voix.
La coalition d’opposition Front du salut national (FSN), qui avait appelé à boycotter le scrutin, a accusé mardi l’autorité électorale Isie d’avoir « amplifié » et « falsifié » les chiffres sur l’affluence au scrutin, en annonçant lundi soir la participation de près de 28% de l’électorat.
Dès lundi soir, le FSN, dont fait partie le mouvement d’inspiration islamiste Ennahdha, bête noire de M. Saied, avait lui avancé le chiffre de « 75% des Tunisiens ayant refusé de donner leur approbation au projet putschiste lancé il y a un an par Kais Saied ».
Said Benarbia de l’ONG Commission internationale des juristes a aussi critiqué la légitimité du vote avec une aussi faible mobilisation.
« Toute Constitution qui en résulte ne reflète pas la vision de la majorité des Tunisiens et est privée de légitimité démocratique et d’appropriation nationale », a-t-il dit à l’AFP.
La Tunisie, confrontée à une crise économique aggravée par le Covid et la guerre en Ukraine dont elle dépend pour ses importations de blé, est très divisée depuis que M. Saied, élu démocratiquement en 2019, s’est emparé de tous les pouvoirs le 25 juillet 2021, arguant d’une ingouvernabilité du pays.
Pour l’analyste Youssef Cherif, « la plupart des gens ont voté pour l’homme (Kais Saied) ou contre ses opposants, pas pour son texte ».
C’est le cas de Noureddine al-Rezgui, un huissier qui travaille à Tunis: « Après 10 ans de déceptions et de faillite totale dans la gestion de l’Etat et de l’économie, les Tunisiens veulent se débarrasser du vieux système et marquer un nouveau tournant ».
Pour lui, « le fait que le niveau de participation ne soit pas génial, c’est normal et comme dans le reste du monde, par exemple aux dernières législatives en France ».
L’expert Abdellatif Hannachi relativise aussi la faible affluence, la jugeant « tout à fait respectable compte tenu de la tenue du scrutin en été, pendant les vacances et en pleine chaleur ».
Klaxons et drapeaux
Dès la publication des estimations de Sigma Conseil lundi soir, des centaines de partisans du président sont descendus fêter « sa victoire » sur l’avenue Bourguiba, dans le centre de Tunis.
Vers 01H00 GMT, Kais Saied s’est présenté devant la foule en liesse. « La Tunisie est entrée dans une nouvelle phase », a-t-il dit, assurant que la Constitution permettrait de passer « d’une situation de désespoir à une situation d’espoir ».
Les votants étaient surtout « les classes moyennes les plus lésées, les adultes qui se sentent floués économiquement, politiquement et socialement », a analysé pour l’AFP le directeur de Sigma Conseil, Hassen Zargouni.
La nouvelle Constitution accorde de vastes prérogatives au chef de l’Etat, en rupture avec le système parlementaire en place depuis 2014.
Le président qui ne peut être destitué désigne le chef du gouvernement et les ministres et peut les révoquer à sa guise.
Il peut soumettre au Parlement des textes législatifs qui ont « la priorité ». Une deuxième chambre représentera les régions, en contrepoids de l’Assemblée des représentants (députés) actuelle.
Sadok Belaïd, le juriste chargé par M. Saied d’élaborer une ébauche de Constitution, a désavoué le texte final, estimant qu’il pourrait « ouvrir la voie à un régime dictatorial ».
« Tous les pouvoirs »
Les défenseurs des droits humains et l’opposition dénoncent l’absence de contrepouvoirs et de garde-fous dans ce texte.
Kais Saied, 64 ans, considère cette refonte comme le prolongement de la « correction de cap » engagée le 25 juillet 2021 quand, arguant des blocages politico-économiques, il a limogé son Premier ministre et gelé le Parlement avant de le dissoudre en mars.
Si des espaces de liberté restent garantis, la question d’un retour à une dictature comme celle de Zine el Abidine Ben Ali, déchu en 2011 lors d’une révolte populaire, pourrait se poser « dans l’après Kais Saied », selon M. Cherif.
Pour nombre d’experts, l’avenir politique de M. Saied dépendra de sa capacité à relancer une économie dans une situation catastrophique avec un chômage très élevé, un pouvoir d’achat en chute libre et un nombre de pauvres qui augmente.