En Russie, l’idéologue ultranationaliste Alexandre Douguine était probablement la cible de l’attentat qui a couté la vie à sa fille, samedi 20 août dans la soirée. Alexandre Douguine est un penseur radical qui prône la rupture entre la Russie et l’Occident et aussi la domination de son pays sur l’Ukraine. Retour sur le profil de cet idéologue et sur son influence en Russie avec Cyrille Bret, chercheur, spécialiste de la Russie à l’Institut Jacques Delors.
RFI : Qui est Alexandre Douguine ?
Cyrille Bret : Il est le maître à penser de ceux que l’on a appelé les Nationaux-Bolchéviques : un courant de pensée radical, nostalgique de la puissance de l’URSS tout en reprenant des thèses racialistes et culturalistes de certains courants nazis. Alexandre Douguine est – avec Nikolaï Starikov – le principal théoricien de l’« Eurasisme ». Une idéologie selon laquelle la Russie a pour vocation de dominer l’espace Euro-asiatique et qu’elle possède plus de lien avec les civilisations asiatiques qu’avec l’Europe. C’est un courant assez minoritaire qui appelle la Russie à se détourner de l’Occident, avec un projet de domination, y compris sur l’Ukraine.
Donc, on peut dire que la guerre russe contre l’Ukraine est conforme aux idées d’Alexandre Douguine ?
Cela fait quinze ans qu’il appelle au rattachement de la Crimée à la Russie. En ce qui concerne le reste de l’Ukraine, c’est plus récent. Depuis le début de l’invasion, il a très clairement appelé à l’annexion de la totalité du territoire et de la population d’Ukraine. Ceci sur une ligne assez radicale selon laquelle il n’existe pas de civilisation ukrainienne, de peuple ukrainien, de langue ou de culture ukrainiennes distinctes de la civilisation russe. C’est une thèse négationniste.
Quelle est son influence ?
Ses auditoires sont très larges. Au début des années 2010, il était très proche du Parti communiste russe et avait de l’influence sur les discours de celui-ci. Il a ensuite eu une influence très nette sur les séparatistes ukrainiens des républiques autoproclamées de Lougansk et de Donetsk. Il a aussi des connexions avérées – mais pas forcément fortes – avec le parti présidentiel Russie Unie.
C’est une figure hors-partis, même s’il a essayé de créer sa propre formation politique, restée extrêmement confidentielle. Alexandre Douguine n’est pas le conseiller en Politique étrangère de Vladimir Poutine. Il n’a aucun poste officiel, ni aux Affaires étrangères, ni dans l’administration présidentielle, ni à la Défense. Il n’est pas une figure politique, plutôt une figure médiatique et intellectuelle qui a une forte influence sur les éléments de langage et sur la façon dont le débat public s’articule en Russie. Il ne faut pas en faire un conseiller secret ou un « Raspoutine » de Vladimir Poutine.