Elle a rejoint le club très fermé des designers stars. Amina Muaddi a conquis les pieds des célébrités et des fashionistas de tous pays. Saison après saison, la styliste jordano-roumaine est sold-out tout en multipliant les prestigieuses collaborations (Rihanna, Alexandre Vauthier, Swarovski…). Elle est arrivée, sans prévenir, à créer une signature esthétique très forte et à offrir des perspectives de croissance insolente à sa griffe éponyme. Travail, passion, créativité, entrepreneuriat, Amina Muaddi se confie en exclusivité à Forbes.
Talons pyramidaux, couleurs flashy, cette signature Amina Muaddi, est-ce le fruit du hasard ou d’un véritable brainstorming ?
Amina Muaddi : J’ai travaillé sur ma première collection pendant plusieurs mois et cette forme de talon n’était pas encore présente initialement. Au moment de mettre la dernière touche, j’étais satisfaite du résultat, néanmoins je la trouvais trop classique. Je voulais qu’elle reste féminine, tout en ayant un peu plus de caractère et un côté moderne. J’ai alors commencé à penser différemment l’aspect du talon, m’intéressant plus particulièrement aux formes évasées. Sans toutefois tomber sur quelque chose de trop massif, car je ne voulais pas perdre cette féminité.
Et puis, j’ai esquissé ce talon aiguille revisité. J’ai collaboré avec un artisan pour le prototyper et puis, dans l’enthousiasme, nous l’avons fait en une journée ! Bien sûr, je n’ai pas inventé les talons évasés, ils existent depuis toujours dans l’histoire de la mode, mais j’ai proposé une esthétique différentiante à travers ce contraste talon aiguille / talon volumineux. Quant aux réactions, elles étaient très nuancées : soit on adorait du premier coup d’œil, soit on détestait ! Le premier clan l’emportait heureusement (rires).
J’ai par la suite présenté ma collection à une dizaine de clients qui étaient partants pour la distribuer en ligne et dans leur réseau de boutiques physiques.
Dans l’univers de la chaussure, tout semble avoir été exploré. Parfois les collections concurrentes tendent à se ressembler. Comment veillez-vous à toujours demeurer unique ?
Quand j’ai commencé à faire des chaussures, mes modélistes me disaient toujours : « Tout a été fait », mais je leur répondais toujours que je ferais quelque chose de « nouveau ». Oui, tout a été fait, mais pas forcément à votre manière, avec votre regard et vision. Si vous créez votre propre esthétique, ce sera votre signature. L’originalité est quelque chose qui me tient vraiment à cœur et je tiens à apporter quelque chose de rafraîchissant, de moderne. J’écoute mon instinct. Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde dans l’industrie. En revanche, le plus grand challenge est de devenir une entreprise durable…
Chaque saison, les fashionistas vous attendent au tournant… Comment entretenez-vous l’inspiration ?
En effet, chaque saison je me demande si je vais être capable de créer de nouvelles belles pièces. En tant que créatif, nous avons cette propension à nous mettre continuellement en question : c’est un défi perpétuel ! L’important est de ne pas perdre le plaisir accompagnant le processus créatif, et, d’ailleurs, là est ma plus grande peur ! Si l’on n’est plus habité par la passion mais plutôt par la contrainte, alors il y aura inévitablement un impact. La passion est le meilleur carburant. Le facteur temps a aussi son importance puisque je dois superviser toute l’activité business. Il y a donc tant à faire en même temps ! Quoiqu’il en soit, je veux à la fois assumer ma casquette de leader et de créatrice, je veux déployer une énergie égale.
Créativité, féminité et couleur, est-ce que ce sont les mots qui caractérisent le mieux votre univers ?
Je pense définitivement que la féminité est un bon mot pour caractériser mon univers. Il y a aussi un mix entre culot et attitude. Cependant, je ne fais pas que des couleurs prononcées, j’aime travailler le noir, le blanc, le nude. Les couleurs flashy vous permettent tout de suite d’habiller un look même si vous êtes en noir, par exemple. Cela rend très bien. Et j’aime vraiment les cristaux !
J’y venais. Merci pour la transition. Les collaborations se multiplient à l’instar de Swarovski. Vous êtes sollicitée de toutes parts. Comment choisissez-vous les projets ?
J’ai toujours trouvé les collaborations très épanouissantes. Je dois dire que mes choix se font naturellement quand il y a eu admiration mutuelle comme avec Swarovski, ou parce qu’il y a à la base une amitié. Je travaille toujours avec Swarovski lorsque je conçois les bijoux de mes chaussures, ce sont les meilleurs en termes de cristaux ! Tous les projets que j’ai réalisés avaient donc un sens pour moi, et si je devais en faire d’autres à l’avenir – ce qui sera probablement le cas – il faudra cette alchimie. J’ai refusé tellement de sollicitations faute de sentir cette connexion naturelle. Même si la marque est belle, elle doit avant tout me convenir personnellement. Je pense qu’il est important de rester authentique.
Vous avez étendu votre univers aux sacs et aux bijoux. Quelle est votre approche dans ces domaines ?
Comparativement à ma collection de chaussures qui comptent environ 250 modèles, ma collection de sacs est bien plus limitée. J’ai une approche différente concernant ces accessoires car je voulais commencer par des sacs de soirée, des cabas de tous les jours. Et puis, j’adore les mini-sacs ! L’idée étant d’agrandir la gamme des sacs et des bijoux par étape.
Comment faites-vous face à la surexposition médiatique, la pression du succès ?
J’essaie de ne pas y penser. Ressentir cette pression serait destructeur pour ma créativité. Bien sûr, vous espérez toujours que les gens aiment ce que vous faites autant que ce qu’ils ont aimé dans les collections précédentes ; vous voulez qu’ils évoluent avec vous, et qu’ils prennent la direction dans laquelle vous allez artistiquement.
La marque Amina Muaddi est exposée à la contrefaçon… Comment le vivez-vous ?
Un jour, dans un centre commercial en Thaïlande, j’ai vu une femme porter une de ces contrefaçons… Cela m’a juste fait rire. Malheureusement, cela arrive souvent.
Vous avez gagné votre place au soleil, mais la Amina Muaddi des débuts a-t-elle eu des raisons d’abandonner ?
Etre d’origine roumaine et jordanienne n’était pas la meilleure entrée dans l’industrie de la mode et du luxe… Alors oui, j’ai dû travailler doublement. Je n’ai pas eu certains privilèges pour accéder à ce milieu, cependant nous avons tous des cartes qui nous sont distribuées à la naissance. Parfois, elles ne sont pas justes mais je crois qu’il ne faut pas se positionner en « victime ». Jouez ces cartes avec persévérance et authenticité. Dans mon parcours, j’ai eu la chance de pouvoir me rendre en Italie pour étudier dans une école de mode, cela m’a ouvert d’autres horizons. Par la suite, j’ai voulu aller aux États-Unis, à mes yeux, ce pays était le seul endroit où l’on ne faisait pas de discrimination pour qui portait en lui le fameux spirit du « rêve américain ». Là-bas, tout le monde a des chances égales d’essayer de le concrétiser.
C’était très difficile au début, et j’ai beaucoup lutté, surtout avec ma première marque qui n’a pas été soutenue par les investisseurs. A travers cette expérience, j’ai tiré les leçons pour la suite.
Quand on vous écoute, vous avez une mentalité très américaine d’entreprendre…
Je me retrouve définitivement dans l’état d’esprit d’un entrepreneur. Il y a beaucoup de designers à succès qui créent de belles choses, mais qui ne veulent pas être entrepreneurs, ils préfèrent travailler pour leur entreprise. Pour ma part, même si j’aime collaborer avec d’autres griffes et partenaires, je veux toujours m’investir dans tout le spectre des affaires. Bien que ce soit souvent à 90% des problèmes à résoudre quasiment en permanence ! (rires). Quand mes collaborateurs viennent me voir, je suis challengée pour trouver des solutions et j’apprécie aussi de les y encourager ! Ce sont donc vraiment deux casquettes différentes.
Imaginez-vous à moyen terme rejoindre la galaxie d’un grand groupe de luxe ?
Je ne sais pas. Pour l’instant, mes priorités sont de développer l’entreprise et de la structurer jusqu’à un certain niveau. J’apprécie d’être indépendante. Je souhaite en outre m’ouvrir à d’autres univers lifestyle. J’aime sortir de ma zone de confort.
Enfin, j’ai à cœur de soutenir des initiatives caritatives, je veux avoir un impact sociétal.