« Deliver, deliver, deliver » : dans son discours juste après son élection et de son distinctif ton haché, Liz Truss promet au parti conservateur de « tenir ses promesses », « pour le peuple britannique ». Ce mardi matin, les Unes de tous les quotidiens du pays appellent, d’une manière ou d’une autre, leur nouvelle Première ministre à agir très rapidement pour améliorer un contexte difficile pour le pays.
Le plus pressant pour les Britanniques, et la priorité pour Liz Truss, c’est la crise économique. « J’espère vraiment qu’elle va faire quelque chose, soupire Dawn, une retraitée londonienne. Les factures de gaz, d’électricité… La vie devient si chère ! »
L’inflation dépasse déjà les 10 % et, selon le think tank économique Resolution Foundation, le pire reste à venir : « le pic de l’inflation pourrait atteindre 18 % au printemps, détaille la chercheuse Lalitha Try. L’inflation est surtout engendrée par les prix de l’énergie : le régulateur vient de relever le plafond de 80 % à partir d’octobre. »
Les ménages pourraient alors payer plus de 3 000 livres par an dès cet automne (environ 4 100 euros), alors que les finances des Britanniques sont déjà à l’épreuve. Clare Moriarty, qui dirige le réseau d’aide juridique et économique CitizensAdvice, décrit un été quasi-inédit : « Nos conseillers ont adressé un nombre record de personnes à des banques alimentaires. » Elle raconte aussi l’explosion des demandes d’aide pour payer les factures d’énergie, « ce qu’on voit surtout en hiver, d’ordinaire ».
Une inflation qui handicape les ménages et les services publics
Sans action de la part du gouvernement, « le revenu moyen va chuter de 10 % dans les deux prochaines années, explique Lalitha Try. Trois millions de personnes plongeront dans la pauvreté absolue d’ici un an. » Le think tank suggère une approche ciblée pour bénéficier spécifiquement aux plus vulnérables. Le gouvernement de Liz Truss devrait présenter son plan de lutte contre la crise énergétique dans la semaine.
L’inflation, déjà sérieuse, aggrave une autre crise : celle des services publics. « Liz Truss va devoir gérer le fait que NHS [National Health Service, le système de santé gratuit britannique, NDLR] est à genoux », défiait ce lundi le leader de l’opposition travailliste Keir Starmer.
Rick, retraité désenchanté par la politique, s’en désole : « Rien que ce matin, j’ai dû attendre une heure au téléphone avant de pouvoir joindre mon médecin… »
Une crise généralisée
Le manque de moyens et de personnel concerne aussi l’éducation, la justice, la poste… Depuis le début de l’été, les grèves s’enchaînent pour réclamer des hausses de salaire égales à l’inflation et davantage de ressources.
« Les augmentations salariales, même à un niveau inférieur à l’inflation, vont nécessiter soit une augmentation des dépenses publiques, soit des coupes », expose Nick Davies, chercheur en charge des services publics pour le think tank Institute for Government (IfG).
La pandémie de Covid-19 a rallongé les listes d’attente dans tous les domaines, et les pénuries de personnel empêchent de rattraper ce retard. Selon Nick Davies, « nos problèmes de recrutement et de rétention des recrues vont probablement empirer sans hausses de salaire comparables à l’inflation. Il n’y a pas de solution facile ou rapide. »
Si Liz Truss, pendant la campagne, a promis d’augmenter le budget du NHS et de l’éducation, elle s’est également engagée à baisser les impôts pour les Britanniques.
Un programme chargé à l’international
En plus d’une liste de tâches chargée sur le plan national, la nouvelle Première ministre a également du pain sur la planche à l’international. Ancienne partisane du maintien dans l’Union européenne, mais devenue pro-Brexit, Liz Truss semble partie pour poursuivre l’affrontement entamé par Boris Johnson avec Bruxelles.
« Elle maintiendra la loi sur le protocole nord-irlandais », affirme Alex Thomas, responsable de la fonction publique à l’IFG. Ce texte prévoit de revenir sur les modalités douanières entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, pro-Londres, qui font l’objet d’un accord international signé par Londres.
L’ex-ministre des Affaires étrangères doit aussi prendre le relais sur le dossier ukrainien, alors que son prédécesseur était admiré des Ukrainiens. Dans des interviews à la presse britannique, le président Volodimir Zelensky le qualifiait de « véritable ami » : « Boris [Johnson] a joué un rôle significatif [dans la guerre]. Il a beaucoup fait. »
Ridiculisée par Sergueï Lavrov lors d’une visite à Moscou début février, Liz Truss doit maintenir le soutien logistique et politique de Londres à Kiev pour espérer y remporter le même respect que son ancien patron.
Convaincre les électeurs au-delà des militants
Le dernier défi de Liz Truss sera de convaincre les électeurs : élue par une minorité de Britanniques, soit les 170 000 adhérents du parti conservateur, elle hérite d’une confortable majorité de 80 sièges à Westminster. Ce record avait été établi par Boris Johnson en 2019, qui avait remporté les circonscriptions historiquement travaillistes du « Mur rouge », au nord de l’Angleterre. Seulement, ces députés lui avaient préféré Rishi Sunak dans les premières phases de l’élection à la tête du parti.
« Elle sera jugée sur son approche de la crise économique, avance Robert Shrimsley, éditorialiste politique au Financial Times. Elle est élue comme candidate de la droite conservatrice, pro-baisse d’impôts, mais socialement, elle risque d’être contrainte de prendre des décisions contraires à ses croyances politiques ».
La nouvelle cheffe pourrait donc rapidement perdre le soutien de son parti en étant trop généreuse, ou celui des nouveaux bastions par un conservatisme trop strict. Les prochaines législatives sont prévues en 2024. Si elles se tenaient demain, le Labour mènerait 15 points devant les Conservateurs.