RFI : Cette popularité moindre constituera-t-elle un handicap pour le nouveau roi ?
Luc Borot : C’est tout à fait possible parce que depuis longtemps, il est perçu comme étant un lobbyiste dans beaucoup de domaines. Quelqu’un qui est intervenu dans des affaires d’urbanisme au profit de familles royales du Golfe, par exemple.
Et je voudrais ajouter une chose, et faire un parallèle avec l’Espagne. On dit très souvent que les Espagnols étaient beaucoup plus « juan carlistes », autant du règne de Juan Carlos que royalistes, et nous allons découvrir dans les années qui viennent si les Britanniques étaient « elizabethistes », si vous me pardonnez ce néologisme où effectivement royalistes, et si le fils a hérité non seulement de la couronne, mais aussi du prestige et de l’affection des Britanniques.
Certes, il a des idées généreuses, il est très actif dans des organisations caritatives et il a laissé entendre qu’il voudrait changer le style de la monarchie dans un sens peut-être plus interventionniste. Du moins, c’est ce que certains de ses collaborateurs, il y a une quinzaine d’années, on fait circuler. Était-ce un ballon d’essai ? On ne sait pas.
Charles III est le monarque le plus âgé à accéder au trône. On pourrait en conclure que de facto, ce sera un roi de transition, mais en même temps, il pourrait choisir, comme vous nous le dites, de profiter de ce règne qui sera nécessairement beaucoup plus court que celui de sa mère pour moderniser la monarchie ?
Moderniser la monarchie, ça peut se faire de diverses façons. Je pense qu’il séduirait les plus sceptiques de ses sujets, s’il supprimait les privilèges de la famille royale étendue.
Parce qu’actuellement, c’est le contribuable qui finance le train de vie absolument faramineux de toute la famille étendue, et c’est particulièrement impopulaire. Même ceux qui étaient très attachés à la reine Elizabeth pouvaient trouver que c’était indus. Moderniser la monarchie pourrait aussi impliquer d’être beaucoup plus proche encore que ne l’était Elizabeth de la façon de vivre de l’ensemble de la société britannique.
Je pense que comme sa mère, il veut éviter l’abdication, car c’est son grand-oncle, Edward, qui le dernier a abdiqué et ce n’est pas un bon souvenir pour l’ensemble de la famille royale. Et pour les Britanniques, encore moins.
Et ce nouveau roi sera-t-il l’incarnation de la neutralité comme sa mère ? Rappelons qu’en 2018, sur la BBC, il avait déclaré : « Je ne suis pas si idiot », alors qu’on lui demandait s’il avait conscience qu’il devrait s’interdire toute prise de position. Qu’en sera-t-il, selon vous, Luc Borot ?
Je pense qu’il a bien intégré le fait qu’il allait falloir apprendre et réussir à se taire. Mais la difficulté portera sur les affaires de politique environnementale, sauf peut-être lors de sa rencontre hebdomadaire avec la Première ministre. Liz Truss vient par exemple de faire passer un texte sur l’autorisation de la fracturation hydraulique. Peut-être aura-t-il des mots avec elle en privé lors de cet entretien totalement secret ? On verra s’il se permet une incartade en public là-dessus, mais ce serait extrêmement mal vu.
La reine Elizabeth II n’a jamais abdiqué en faveur de son fils, elle ne lui a pas donné le titre de régent. Peut-on envisager que Charles III abdique en faveur de son fils William ou abdiquer est un mot totalement tabou ?
Alors ça, on ne le sait pas. Je pense que comme sa mère, il veut éviter l’abdication, car c’est son grand-oncle, Edward qui le dernier a abdiqué et ce n’est pas un bon souvenir pour l’ensemble de la famille royale. Et pour les Britanniques, encore moins. Donc, à mon avis, l’abdication est à écarter sauf si son état de santé se dégradait et en particulier sa santé mentale, qui l’empêcherait totalement d’exercer ses fonctions.
Il est clair que l’on s’est longtemps demandé si Charles régnerait sous le nom de Charles III ou prendrait un autre nom, ce qui est déjà arrivé. Il y a eu des spéculations, car ce prénom Charles peut porter un peu malheur quand on est roi.
Avant le règne de Charles III, il y a eu deux autres souverains prénommés Charles. Il faut remonter au XVIIe siècle, c’était un père puis son fils, et on peut dire que ces deux règnes ont été très mouvementées.
Oui, absolument. Charles Ier a été décapité par les puritains, qui venaient de prendre le pouvoir au terme d’une guerre civile, en janvier 1649. Charles II, qui a été restauré 11 ans plus tard sur le trône après un temps de République et de dictature militaire, a été un roi qui fut un homme d’État, tout à fait respectable, mais dont le règne a été agité par des controverses sur la tolérance religieuse, avec de nombreux complots, y compris un complot républicain.
Il est clair que l’on s’est longtemps demandé si Charles régnerait sous le nom de Charles III ou prendrait un autre nom, ce qui est déjà arrivé. Il y a eu des spéculations, car ce prénom Charles peut porter un peu malheur quand on est roi d’Angleterre. On peut espérer que son règne ne se termine pas comme celui du premier Charles, bien entendu, et qu’il y ait moins d’agitation, de violence et d’intolérance de toutes parts que sous le règne du deuxième.
Terminons par une question vestimentaire : on se souviendra longtemps des toilettes colorées de la défunte souveraine. Vestimentairement parlant, Charles III sera plus sobre. Sobriété dans l’élégance ?
Oui, je crois que c’est comme cela qu’on peut définir les tenues qu’il a portées ces dernières années. Ce costume croisé souvent à motif « prince de Galles », mais il n’est plus prince de Galles… Je pense que l’on va rester dans la sobriété avec distinction.