Quatre-vingt-douze réfugiés ont été retrouvés nus après avoir été forcés, selon Athènes, de traverser le fleuve Evros séparant la Turquie de la Grèce. « Une image inhumaine », a dénoncé le ministre grec de la Protection civile dimanche 16 octobre.
L’agence européenne de surveillance aux frontières Frontex a confirmé à l’AFP« le sauvetage des 92 migrants vendredi » avec le concours des autorités grecques, selon une porte-parole, Paulina Bakula. « Les agents de Frontex ont rapporté que les migrants avaient été retrouvés nus et certains d’entre eux avaient des blessures visibles », a-t-elle ajouté depuis Varsovie, siège de l’organisation, alors qu’Athènes assure qu’Ankara a forcé ces personnes à se dévêtir avant de les expulser du côté grec de la frontière.
« Honte à la civilisation »
Le ministre grec de la Protection civile, Takis Theodorikakos, a accusé la Turquie « d’instrumentaliser l’immigration illégale », mais Ankara a démenti toute implication dans les mauvais et dégradants traitements infligés à ces réfugiés.
Dans une série de messages sur Twitter particulièrement virulents, libellés en turc, en grec et en anglais, la présidence turque a rejeté toute faute sur son voisin grec qu’elle accuse de comportement « inhumain ». « Nous invitons la Grèce à renoncer au plus vite à son attitude inhumaine envers les réfugiés, à mettre fin aux accusations fausses et sans fondement contre la Turquie », écrit le directeur de la communication de la présidence turque, Fahrettin Altun. « Par ces menées ridicules, la Grèce montre une fois de plus au monde entier qu’elle ne respecte même pas la dignité des peuples opprimés, publiant les photos des réfugiés qu’elle a déportés après les avoir dépouillés de leurs effets personnels », ajoute-t-il.
La Grèce doit arrêter « la manipulation et la malhonnêteté », estime également le ministre adjoint turc de l’Intérieur, Ismail Catakli dans un tweet en anglais.
La plupart de ces personnes, des Syriens et des Afghans, « ont décrit à des agents de Frontex que trois véhicules de l’armée turque les avaient transférés au niveau de l’Evros », a indiqué Takis Theodorikakos dans une interview à la chaîne de télévision privée Skai. Le ministre grec des Migrations, Notis Mitarachi, avait quant à lui qualifié samedi l’incident de « honte à la civilisation ».
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a condamné dimanche sur Twitter des « traitements aussi cruels et dégradants » et demandé une« enquête complète sur cet incident ».
Grèce et Turquie pointées du doigt
Athènes est régulièrement pointée du doigt par les ONG et différentes enquêtes journalistiques, pour des refoulements illégaux et violents effectués à ses frontières maritime et terrestre avec la Turquie. Mais elle a toujours nié avoir recours à cette pratique contraire au droit international.
Ce nouvel incident vient raviver des tensions diplomatiques très marquées ces dernières semaines entre les deux alliés de l’Otan, explique notre correspondante à Athènes, Nadia Blétry. Le président turc Recep Tayyip Erdogan fragilisé politiquement dans un État en proie à une crise économique, multiplie les diatribes virulentes contre son voisin. Fin septembre, à la tribune des Nations unies, le président turc a accusé la Grèce de transformer la mer Égée en « cimetière » avec « ses politiques oppressives ». Athènes reproche, elle, à Ankara d’encourager l’arrivée massive de clandestins sur son sol.
Réagissant à l’incident dimanche, l’ONG Mare Liberum a estimé que « dans la région de l’Evros, les crimes contre les droits de l’homme sont systématiques et commis à une échelle quotidienne de la part de la Turquie et de la Grèce ». « Lorsque ces crimes sont discutés publiquement par les membres des gouvernements, cela ne sert qu’à alimenter le conflit entre la Grèce et la Turquie » poursuit l’ONG.
Au milieu de ces tensions diplomatiques répétées, les migrants qui cherchent à rejoindre l’Europe meurent régulièrement noyés dans l’indifférence générale. Il y a dix jours encore, deux bateaux transportant des migrants ont fait naufrage dans les eaux grecques, entraînant la mort de plusieurs dizaines de personnes.