L’Égyptien Sameh Shoukry a officiellement pris les rênes de la Conférence des Parties (COP) pour une année, lors de la cérémonie d’ouverture des 27e négociations climatiques à Charm el-Cheikh, le 6 novembre 2022. AP – Peter Dejong
La 27e Conférence Climat s’est officiellement ouverte, ce dimanche 6 novembre, alors que le sommet des chefs d’État se tiendra lundi et mardi. L’ordre du jour était essentiellement technique puisqu’il s’agissait de définir les points qui seront abordés dans les négociations. Très attendue par les pays vulnérables, la question de l’indemnisation des dégâts causés par les catastrophes climatiques sera bien à l’agenda officiel, pour la première fois.
S’agissait-il d’un passage de témoin ou d’une véritable patate chaude entre les deux présidences de COP, du Britannique Alok Sharma à l’Égyptien Sameh Shoukry, ce dimanche à Charm el-Cheikh ? Avec la pression exercée partout par le réchauffement climatique, et particulièrement douloureuse dans les pays pauvres et émergents – du Nigeria au Pakistan, de la Somalie aux Philippines – la question se pose avec de plus en plus d’acuité, tandis que l’efficacité des COP est bruyamment interrogée.
Un an après la Conférence Climat de Glasgow, quelque 40 000 participants – délégations, médias, ONG, entreprises, observateurs… – sont attendus dans la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh, entre une mer Rouge aux coraux souffreteux et les portes du désert.
Alok Sharma passe le flambeau
Le monde avait quitté Alok Sharma larmoyant et demandant pardon à l’issue d’une COP26 exténuante pour des résultats bien maigres au vu des enjeux. On l’a retrouvé ragaillardi à la tribune ce dimanche midi, adressant un satisfecit à ses équipes : « Grâce à notre travail, nous avons achevé notre objectif : nous avons gardé le 1,5°C vivant », objectif et loi d’airain de l’Accord de Paris, qui vise à contenir le réchauffement sous la barre des 2°C et idéalement à 1,5°C. « La présidence britannique a montré que des progrès sont possibles, arrivent et continuent », a-t-il dit, tout en reconnaissant « l’échelle du défi qui reste devant nous ». Alok Sharma a mis en avant que « grâce aux engagements pris en amont et pendant la COP26, les émissions en 2030 devraient baisser de 6 gigatonnes, soit l’équivalent de 12% des émissions annuelles globales ».
Reste que ce ne sont que des engagements des pays, non contraignants. En outre, si le Pacte de Glasgow a permis d’engranger quelques « avancées », en particulier sur des promesses de neutralité carbone, les émissions continuent de progresser, et demeurent très, très loin de la baisse de 45% recommandée par la science d’ici à 2030 pour justement contenir le réchauffement climatique. Et seulement 29 pays sur 196 ont soumis de nouvelles ambitions (contributions nationales déterminées) à la veille de la COP27. L’objectif idéal de l’Accord de Paris semble de plus en plus chimérique et Antonio Guterres lui-même n’a plus de mots assez durs envers les États dont les engagements ne sont « pitoyablement pas à la hauteur ». « Notre monde ne peut plus se permettre de faire du greenwashing, d’avoir des faux-semblants, des retardataires », a-t-il ainsi déclaré dans un message vidéo publié sur Twitter le 27 octobre. « Avec les politiques climatiques actuelles, le monde se dirige vers 2,8 degrés de réchauffement d’ici à la fin du siècle. En d’autres termes, on se dirige vers une catastrophe globale. »
Un contexte mondial peu propice
Le « défi » pointé par Alok Sharma est rendu beaucoup plus complexe à l’aune du contexte géopolitique, au sortir de la pandémie, et de la triple crise inflationniste, alimentaire et énergétique. Son successeur à la présidence de la COP, le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Shoukry, qui vient d’être formellement élu président de la COP27 pour une durée d’un an, a donc appelé les pays à « dépasser les tensions politiques actuelles » et à travailler, ensemble, pour le climat.
Mais au-delà du contexte géopolitique, il faudra aussi surmonter les tensions au sein même de la Conférence. Depuis plusieurs années maintenant, les représentants des pays du Nord, industrialisés et historiquement responsables du réchauffement climatique, promettent une aide financière aux pays du Sud, plus vulnérables. La finance sera belle et bien au centre des préoccupations de cette COP africaine, le continent le plus touché et le moins émetteur aussi, avec seulement près de 3% des émissions globales de gaz à effets de serre. « Nous avons atteint un point où la finance fait ou défait le programme de travail que nous avons devant nous », a déclaré Alok Sharma. « J’entends les critiques et je conviens que davantage doit être fait par les gouvernements et les banques multilatérales de développement, notamment en doublant la finance pour l’adaptation d’ici à 2025 et en établissant un objectif pour l’après-2025. »
Pour l’instant, l’essentiel des financements prévus va à l’atténuation (réduction des émissions) et ne stagnent qu’à 83 milliards de dollars sur les 100 prévus depuis… 2009 et qui devaient être réunis en 2020. Le président Shoukry a insisté sur ce point dans son discours inaugural : « La promesse des 100 milliards n’a pas été concrétisée » et « beaucoup des financements » déjà alloués « dépendent de prêts », autrement dit soumis à remboursement contrairement à des dons, un autre grief des blocs du Sud. Il regrette que cette situation débouche sur un climat entre Nord et Sud, « des positions polarisées » qui « ralentissent les négociations ». Et de plaider : « Nous devons travailler avec honnêteté » à des « solutions consensuelles » en appelant à « l’accélération de la mise en œuvre des politiques et des accords », ou « implementation » en anglais, l’un des termes les plus employés dans les discours inauguraux et objectif premier de la présidence égyptienne.
« Un pied dans la porte »
Et s’il est un sujet qui tend à fractionner les deux hémisphères, c’est bien celui, « crucial » selon le terme employé par Simon Stiell, secrétaire exécutif de la Convention-Cadre des Nations unies, des « pertes et dommages », soit les dégâts provoqués par les effets du changement climatique et dont ne peuvent se relever les économies des pays les moins développés. Or, celui-ci a bien été inscrit à l’agenda officiel des négociations. Un Dialogue de Glasgow avait décidé par les pays du Nord à la dernière COP pour ne pas avoir à accepter la proposition du Sud d’avoir un mécanisme financier spécifiquement dédié à cette question. Démarré en juin dernier, il doit durer jusqu’en 2024. Le processus a été en quelque sorte pris de vitesse par la montée de cette question au centre des préoccupations. Façon pour le Sud de dire : nous n’avons pas trois ans.
C’est une première historique, et un point de gagné pour les pays défavorisés, qui ne peuvent ni s’adapter ni payer les dégâts provoqués par les phénomènes de plus en plus violents et fréquents. « Nous avons un pied dans la porte et nous devons maintenant l’ouvrir en grand, réagit Fanny Petitbon, spécialiste de la question à l’ONG Care qui porte ce dossier depuis plus de quinze ans. Il est crucial d’obtenir dès cette COP une décision des États sur la création d’un mécanisme de financement dédié aux « pertes et dommages ». C’est une question de justice climatique. »
Cette inscription à l’agenda de la COP27 « fait revivre le combat pour la justice des communautés qui perdent leurs logements, leurs cultures agricoles et leur argent », s’est félicité Harjeet Singh, responsable de la stratégie politique mondiale Réseau Action Climat international, « un nouveau combat pour le financement des « pertes et dommages » commence ».
La deuxième manche est cependant loin d’être gagnée, tant certaines voix du Nord – États-Unis, UE – y sont opposées. D’autant que, aussi importante qu’elle soit dans le processus, cette Conférence Climat est aussi souvent vue comme une COP de transition, entre le rendez-vous majeur qu’était Glasgow au sujet de l’ambition des pays pour réduire leur empreinte carbone, et la COP28 qui sera l’occasion d’un Bilan mondial des progrès réalisés depuis l’Accord de Paris.