En Ukraine, les pénuries d’électricité s’aggravent, au point que la municipalité de Kiev étudierait des plans d’évacuation de la ville, si la situation devait encore se dégrader. C’est ce qu’a révélé ce dimanche 6 novembre le quotidien The New York Times, évoquant une source au sein de la mairie de la capitale ukrainienne. Chose certaine : de jour en jour, la vie des habitants devient de plus en plus difficile.
Évacuer plus de trois millions d’habitants en quelques heures, c’est le scénario catastrophe auquel se préparerait la municipalité de Kiev, en cas de brusque dégradation de la situation énergétique.
Selon une source qui s’est exprimée auprès du New York Times, si les bombardements entraînaient une perte totale du réseau électrique, alors les autorités auraient un laps de temps de douze heures pour demander aux gens de quitter la ville.
Actuellement, 40% des infrastructures électriques sont endommagées, et les opérateurs sont obligés d’opérer des coupures massives de plusieurs heures dans différents quartiers, afin de stabiliser le réseau.
Cependant, la situation perturbe l’approvisionnement en eau ainsi que l’évacuation des eaux usées via les canalisations, faisant planer le risque d’une dégradation sanitaire.
Samedi, l’opérateur public UkrEnergo a annoncé des restrictions supplémentaires, et la mairie de Kiev prépare mille abris chauffés, pouvant également servir de bunker pour les civils.
« Il faut considérer toutes les alternatives »
« Le sort de notre pays et de nos citoyens dépend de notre niveau de préparation », a déclaré le maire de Kiev samedi 5 novembre à la télévision.
« En cas de rupture totale de l’approvisionnement en électricité et en eau et si vous avez de la famille en dehors de Kiev qui dispose d’un système de chauffage et d’eau autonome, envisagez la possibilité de les rejoindre pour un certain temps. Essayez, dans l’hypothèse du pire, de trouver une solution pour loger chez des amis », a souligné Vitali Klitschko.
Ce n’est pas une guerre, c’est du terrorisme et un génocide. Poutine n’a pas besoin de nous, Ukrainiens. Ce qu’il veut, c’est le territoire, il veut l’Ukraine sans nous. C’est pourquoi ce qui se passe aujourd’hui, les frappes contre les infrastructures, est un génocide. Son objectif, c’est de nous laisser mourir de froid, de nous chasser de notre terre pour se l’approprier. Nous faisons tout pour que cela n’arrive pas. Mais soyons honnête, notre ennemi fait tout pour couper le chauffage, l’électricité et l’eau dans notre ville. Ils veulent nous voir mourir. Nous réussirons à tenir si nous sommes bien préparés. Le sort de notre pays et de nos citoyens dépend de notre niveau de préparation. Je voudrais dire à la population qu’il faut considérer toutes les alternatives.
« Obligé de partir, parce qu’il fait froid »
Près de 4,5 millions de personnes sont privées d’électricité ce week-end dans le pays, en raison de frappes russes contre les infrastructures. Le président Volodymyr Zelensky a dénoncé une « terreur énergétique ». Les habitants de la capitale ukrainienne tentent de s’adapter, mais certains y arrivent mieux que d’autres, constatent nos envoyés spéciaux.
Avec nos envoyés spéciaux à Kiev, Anastasia Becchio et Boris Vichith
Dans son petit kiosque hors d’âge, planté au milieu d’immeubles d’habitation, un cordonnier répare une botte à la semelle très élimée. Il vient de se remettre au travail après une coupure de courant de 4 heures.
C’est impossible de travailler ! J’arrive le matin et l’électricité se coupe. Si on était en été, ça serait différent. Mais là, quand ils coupent le courant, je suis obligé de partir, parce qu’il fait froid. Je n’arrête pas de faire des allers-retours. Là, je travaille, tant qu’il y a du courant. Il m’arrive de travailler jusqu’à 22-23 heures, parce que je n’arrive pas à faire toutes les commandes.
Ambiance plus détendue, dans un institut de beauté où une cliente en peignoir attend son tour : lorsque l’électricité s’arrête, un générateur entre en marche. Le patron, un Géorgien, a pris les devants avant même que la Russie ne lance des attaques massives sur les infrastructures énergétiques, raconte une esthéticienne.
Il a vécu la même chose lors de la guerre entre la Russie et la Géorgie, en 2008. Ensuite, pendant un an et demi, ils avaient des coupures de courant. Dans son immeuble, ils s’étaient cotisés pour installer un générateur. Il nous a dit : « Je suis passé par là. » Et c’est pourquoi il a trouvé la solution pour notre établissement, en achetant un générateur.
Natalia s’attend à un hiver difficile. Sa hantise : que la situation devienne encore plus délicate en cas de nouvelles attaques sur la capitale.
« Je ne peux planifier aucun rendez-vous »
Les problèmes de fourniture l’électricité vont de pair avec les problèmes de communication mobile et internet. Dans plusieurs quartiers de la capitale, habitants sont soumis à des coupures de courant quotidiennes, planifiées ou non ; difficile, dans ce cas, de travailler. Nos envoyés spéciaux ont rencontré un jeune consultant en ressources humaines qui a bien du mal à faire passer des entretiens en ligne à de potentiels futurs employés.
En plus des quatre heures de coupure d’électricité quotidiennes, le quartier où habite Aleksei Zakachansky subit aussi des coupures d’Internet et de téléphonie mobile qui durent bien plus longtemps. Recruter dans ces conditions devient quasiment mission impossible.
Je ne peux planifier aucun rendez-vous. J’appelle un candidat, je lui propose un entretien par Zoom à 14 heures. Il me répond : « Il n’y aura pas de courant chez moi à cette heure-ci, il reviendra à 17 heures. » Je lui réponds : « C’est super, mais moi, je n’aurai plus d’électricité à partir de 17 heures. » Avec l’un des candidats, ça fait une semaine qu’on n’arrive pas à trouver de créneau.
Aleksei pourrait faire passer des entretiens dans son entreprise qui vient de se doter de générateurs. Mais il aura alors un problème de garde d’enfants. Ils n’ont classe que jusqu’à 11 heures, l’abri anti-bombes ne pouvant accueillir tous les élèves de l’école primaire en même temps. Autre perspective qui inquiète Aleksei : la chute des températures.
Quand il n’y a pas d’électricité, il n’y a pas de chauffage, parce que les pompes qui distribuent la chaleur dans les immeubles ne fonctionnent pas sans courant. Du coup, il fait un peu frais (sourire). Mais lorsqu’il fera -20° et que le courant sera coupé, on a prévu de prendre notre voiture et d’aller dans le centre commercial le plus proche qui aura encore du courant, pour patienter dans le chaud.
La municipalité de Kiev est en train d’équiper des centaines de centres d’urgence où les habitants pourront venir se chauffer. Plusieurs pays se sont dit prêts à livrer des pompes à eau, des appareils de chauffage, des lits et des couvertures.