A l’occasion de la tenue du second sommet Afrique/États-Unis, retour sur les principales étapes de l’évolution des relations entre Washington et le continent africain. Le véritable intérêt des États-Unis pour les territoires de l’Afrique date de la période de la décolonisation, qui a entraîné l’accélération brutale de l’histoire du continent.
1 – Les « atouts » originels des Américains
L’intérêt géostratégique des États-Unis pour l’Afrique est récent, même si les liens directs sont anciens et remontent au moins à 200 ans, à la création de la colonie du Liberia par les Noirs américains au début du XIXe siècle. Les États-Unis ont certes bénéficié du labeur des esclaves africains amenés de force, mais ils n’ont pas participé aux razzias, ni ont occupé militairement le continent africain pour y construire des empires coloniaux, contrairement aux Européens. C’est pourquoi lorsque les Américains débarquent en Afrique militairement, à la faveur de la Seconde Guerre mondiale, ils ne sont pas perçus par les Africains comme d’« affreux » colonisateurs. Ce qui faisait dire aux historiens autrefois: « L’Afrique est plus un problème européen qu’un problème américain ».
A cette image d’une virginité coloniale dont jouissent les Américains sur le continent africain s’ajoutent, selon l’économiste Michel Rogalski (1), deux autres atouts : « leur attitude de soutien de principe aux luttes en faveur des indépendances » et le fait que « les Etats-Unis se présentent comme une nation possédant une forte minorité afro-américaine ». En effet, dans les années 1950, alors que l’apartheid sévissait en Afrique australe, l’ambassadeur des Etats-Unis à Monrovia (capitale du Liberia) était un Africain-Américain de Chicago. Quant au soutien apporté par Washington aux Africains en lutte pour l’indépendance, ce soutien a été pour le moins ambivalent, comme l’on a pu le voir au Congo, où la Central Intelligence Agency (CIA) a joué un rôle décisif dans l’assassinat de Patrice Lumumba en 1960 tout en poussant les colonisateurs belges vers la sortie, ou encore en Guinée en 1958, où Washington a tardé à reconnaître le gouvernement de Sékou Touré après son « non » historique au général de Gaulle, précipitant ce pays ouest-africain dans les bras de l’Union soviétique.
2 – La (re)découverte de l’Afrique
L’accession des colonies africaines à l’indépendance dans les années 1950-60 modifie profondément la carte politique de l’Afrique, qui ne comprenait avant la Seconde Guerre mondiale que deux États indépendants : le Liberia et l’Éthiopie. Cette importance accrue du continent africain sur le plan politique et géostratégique n’échappa pas aux hommes politiques américains, comme en témoigne le voyage effectué par Richard Nixon, vice-président à l’époque, en Afrique au printemps 1957. Ce voyage intervient au moment où l’administration Eisenhower crée un nouveau poste d’adjoint au secrétaire d’Etat pour les Affaires africaines.
La visite de Nixon sera suivie d’une longue tournée de dix semaines en Afrique de Charles Manning, chef des services des Affaires africaines au département d’État. Accompagné de Julius Holmes, adjoint spécial du secrétaire d’Etat John Foster Dulles, celui-ci parcourut quasiment l’ensemble du continent, allant de l’A-O.F. et, l’A-E .F. à l’Afrique du Nord, en passant par les possessions britanniques, belges et portugaises et l’Afrique orientale. A leur retour au bercail, les rapports que rédigent ces hauts fonctionnaires, constituent, « la base à une politique américaine éclairée » en Afrique, selon l’Africaniste Philippe Decraene. (2).
Cet intérêt américain pour leurs pays avait été à l’époque plutôt bien vu par la classe politique africaine qui comptait sur l’assistance économique des Etats-Unis pour se soustraire à l’emprise politique européenne. Or pour Washington, empêtrée alors dans la guerre froide, sa politique africaine était fondamentalement destinée à servir de base à une politique antisoviétique.
3 – Le continent africain, un enjeu des rivalités russo-américaines
Pendant la guerre froide, l’Afrique est un terrain d’affrontement entre l’Est et l’Ouest, avec l’attention des Américains concentrée plus particulièrement sur l’Afrique australe et la Corne de l’Afrique. Dans le sud, notamment en Angola, en Namibie et au Mozambique, les Américains interviennent indirectement, par l’entremise de l’Afrique du Sud pour refouler l’avancée communiste et réduire l’influence des partis et mouvements nationaux se réclamant du marxisme. L’Afrique du Sud elle-même, où sévissait depuis 1948 un régime de ségrégation et d’apartheid, est érigée par l’administration Reagan en amie et alliée dans sa lutte contre l’influence soviétique. C’est sous la pression de l’opinion publique et de l’influent Congressional Black Caucus, que les législateurs américains réussissent à faire voter en 1986 la loi « Comprehensive Anti-Apartheid Act » imposant des sanctions économiques contre Pretoria, et cela en dépit du veto du président et l’opposition du département d’État. Pour ce qui est de la militarisation de la Corne de l’Afrique, elle s’explique par l’intérêt stratégique que présente la région pour les Etats-Unis et l’Occident en général, à cause de sa proximité aux routes maritimes et les champs pétroliers du Moyen-Orient.
4 – « Trade not aid » : la diplomatie commerciale de Clinton
Les années 1990, c’est la fin de la guerre froide. Avec la détente, les tensions retombent. Premier grand président américain de l’après-guerre froide, Bill Clinton (1993-2001) effectue deux visites en Afrique subsaharienne où il parle de la fin des récriminations, de réconciliation, de démocratie, de paix et de prospérité comme « l’essence d’une nouvelle Afrique ».
Tous les observateurs s’accordent pour reconnaître que les années Bill Clinton ont donné une nouvelle impulsion aux relations africano-américaines. Mais les débuts de l’administration Clinton sont hésitants, voire catastrophiques, marqués par la mort de 19 soldats américains dans le cadre d’une action humanitaire en Somalie. L’image du corps d’un soldat américain traîné dans les rues de Mogadiscio fera le tour des télévisions du monde entier. Cette humiliation cruelle pour la première armée du monde conduira Clinton à retirer les troupes de la Somalie. L’événement ne fut sans doute pas étranger au refus des Américains d’intervenir l’année suivante au Rwanda pour stopper le génocide. Rien ne traduit mieux le moral en berne des responsables américains concernant les affaires africaines de l’époque que la formule : « Les problèmes de l’Afrique appellent des solutions africaines » qui était une manière de maintenir les conflits africains à bonne distance des États-Unis.
Il n’en reste pas moins, comme l’a écrit Jennifer Cooke, directrice du Programme pour l’Afrique du Center for Strategic and International Studies à Washington, « au-delà de ces faiblesses, on crédite Bill Clinton d’avoir nettement renforcé l’engagement américain en Afrique et sensibilisé le Congrès et l’opinion publique américaine aux défis spécifiques de l’Afrique » (3) Selon les spécialistes, la principale contribution de l’administration Clinton est d’avoir aidé à intégrer l’Afrique dans les circuits économiques mondiaux. C’est d’ailleurs l’objectif de la loi relative à la croissance et aux opportunités en Afrique (African Growth and Opportunity Act, AGOA), votée en 2000, pendant la dernière année du second mandat de Clinton.
Fondée sur le principe « Trade not aid », cette loi a ouvert le marché américain en franchise de douane pour des produits (essentiellement textiles et hydrocarbures) provenant des pays africains éligibles. Les critères d’éligibilité pour prendre part à AGOA mettent l’accent sur la mise en place d’une économie de marché, mais aussi sur l’état de droit et le pluralisme politique. Avec près d’une quarantaine de pays d’Afrique subsaharienne éligibles à l’AGOA, cette loi traduit la tendance de fond de la politique africaine de Washington de l’après-guerre froide consistant à combiner la diplomatie commerciale et la mission messianique américaine de « l’élargissement de la démocratie dans le monde ».
5 – L’Afrique devient une priorité stratégique
Sous les présidences Bush (2001- 2008), on assiste à un repositionnement de la politique africaine avec l’émergence de nouveaux enjeux. L’accent est mis sur le potentiel économique de l’Afrique, en particulier comme source alternative d’importations pétrolières.
Toutefois, en 2001, peu d’observateurs s’attendaient à ce que George W. Bush, de culture républicaine, s’intéresse à la politique africaine. D’autant que pendant la campagne électorale, le futur président avait nié l’importance stratégique de l’Afrique. Sa conseillère principale en politique étrangère, Condolezza Rice, avait, elle, pour sa part, publiquement critiqué l’administration sortante pour avoir entraîné les troupes africaines dans le bourbier somalien, alors même que ce pays n’avait aucune importance stratégique pour les Etats-Unis. Or, tout cela va changer après le 11 septembre 2001…
« Les attentats de 2001, la ‘Global War on Terror’ et l’invasion de l’Irak firent converger élans humanitaires, enjeux sécuritaires et priorités américaines à l’échelle mondiale », souligne Jennifer Cook du CSIS (3). En effet, avec les révélations sur les liens d’Oussama Ben Laden avec le Soudan et son rôle dans les attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, les Américains prennent conscience de la vulnérabilité de leurs actifs en Afrique et du lien entre sous-développement et insécurité. Ils comprennent que pour éviter que des régions délaissées du continent servent de bases aux réseaux islamistes radicaux, il était impérieux d’accroître leur soutien au développement. C’est ce que l’administration Bush s’est attaché à faire en multipliant par quatre son aide aux États d’Afrique subsaharienne. Celle-ci passe de 1,4 milliards de dollars en 2002 à 8 ,1 milliards en 2010.
« L’intervention américaine est désormais guidée par un principe de sécurisation préventive, qui passe par une politique tournée vers le développement économique, le renforcement du processus de démocratisation du continent et la prévention du sida », explique l’universitaire Frédéric Leriche (5). Pour atteindre ces objectifs, les principaux programmes mis en place par l’administration Bush sont : le President’s Emergency Plan for Aids Relief (PEPFAR) pour lutter contre le sida qui ravage l’Afrique australe et le Millenium Challenge Corporation (MCC), qui est un fonds de développement destiné à stimuler la croissance et d’encourager la bonne gouvernance. Ces programmes emblématiques de la présidence Bush, ajoutés à la création en 2007 d’une cinquième armée pour l’Afrique (AFRICOM), ont donné au continent africain une place renforcée dans la politique extérieure américaine.
6 – Obama/Afrique, un rendez-vous manqué ?
Sous Barack Obama, la politique américaine à l’égard de l’Afrique ne connaîtra pas de fléchissement notable. Paradoxalement, malgré les espoirs suscités par l’élection à la présidence de ce fils métis d’un Kényan et d’une Américaine, l’engagement des Etats-Unis en Afrique n’a pas connu d’avancées spectaculaires. Pour nombre d’observateurs, entre l’Afrique et Obama, c’était un « rendez-vous manqué ». Il y a eu certes des voyages au continent ancestral, des discours sur la démocratie ou la bonne gouvernance, mais il n’y a pas eu d’initiatives marquantes et généreuses comme sous Bill Clinton ou George Bush.
Accaparé par les problèmes de récession qui menaçaient les Etats-Unis et la question du retrait des troupes de l’Irak et de l’Afghanistan, c’est seulement lors de son second mandat que Barack Obama s’est réellement investi dans la politique africaine en lançant notamment son projet phare Power Africa, censé doubler l’accès à l’électricité en Afrique subsaharienne, dotée d’une enveloppe de 7 milliards de dollars. C’est aussi à lui qu’on doit l’idée d’une rencontre au sommet des dirigeants africains et états-uniens, dont il a inauguré en 2014 la première édition et dont la seconde édition se tient en ce moment même à Washington. Point d’orgue de ce sommet, l’US-Africa Business Forum qui avait réuni en 2014 plusieurs centaines de patrons de grandes et petites entreprises africaines et américaines, et qui mettait l’accent sur les opportunités d’affaires en Afrique, est, selon Alex Vines du think tank Chatham House, peut-être la principale contribution du président Obama en faveur du continent de son père. « Une initiative comparable par sa popularité à tous les programmes généreux et de vaste ampleur lancés par ses prédécesseurs à l’intention de l’Afrique », a écrit Vines (6).
7- La nouvelle « US strategy towards subsaharan Africa »
Soucieuse de faire oublier les années Trump marquées par un désintérêt hautain pour l’Afrique, l’administration Biden a publié en août dernier la nouvelle stratégie américaine dans l’Afrique subsaharienne. Ce document qui met l’accent sur la nécessité d’établir un partenariat d’égal à égal entre Africains et Américains, identifie pour les cinq années à venir quatre priorités dans des domaines qui vont de l’insertion des sociétés africaines dans la sphère de l’économie marchande à la transition énergétique, en passant par la démocratie, la gestion des besoins en santé dans cette période post-pandémie et les enjeux climatiques.
« Cette stratégie a été bien reçue par les décideurs africains puisqu’elle fixe des objectifs chiffrés tenant compte des désiderata des partenaires du continent », se réjouit le docteur Fonteh Akum, directeur exécutif de l’Institut d’études de sécurité, à Johannesburg. « Mais (elle) a aussi suscité quelques critiques, souligne le politologue, notamment pour avoir axé la stratégie de coopération africano-américaine sur la confrontation avec la Russie et la Chine ou encore pour avoir perpétué le clivage artificiel et colonial entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord ». Et d’ajouter : « elle n’en reste pas moins une stratégie ambitieuse, qui dépasse la simple question des relation diplomatiques et a le potentiel de faire de l’Afrique un véritable enjeu stratégique de la politique extérieure américaine ».