Elon Musk, patron de Tesla et SpaceX, est de plus en plus controversé à la tête de Twitter depuis son rachat du réseau social à l’oiseau bleu pour 44 milliards de dollars fin octobre. On ne compte plus le nombre de coups d’éclat : suppression de comptes de journalistes, interdiction pour les utilisateurs de publier des liens vers les réseaux concurrents comme Facebook, Instagram, Mastodon…
RFI : Le dernier coup d’éclat en date, c’est que l’homme le plus riche du monde a demandé ce lundi sur Twitter s’il devait ou non quitter la direction de Twitter. 57% d’utilisateurs ont répondu oui. Quel avenir pour Twitter dans de telles conditions ?
Olivier Lascar : Elon Musk fait comme d’habitude. Il fait diversion. Le sondage du jour où il demande s’il doit quitter ou pas la direction de Twitter, il est déjà tranché puisqu’il y a quelques semaines, il avait dit qu’il allait nommer quelqu’un pour diriger opérationnellement Twitter. Donc, c’est de la mise scène et Elon Musk fait beaucoup de mise en scène depuis le début sur Twitter.
Il a racheté le réseau en disant qu’il voulait en faire l’étendard de la liberté d’expression. On voit avec les décisions de ces derniers jours, notamment le bannissement de certains journalistes qui avaient dit des choses qui lui ont déplu, que cette histoire de défense de la liberté d’expression, c’était un leurre, un paravent. Le vrai projet d’Elon Musk est politique.
En rachetant Twitter, Elon Musk fait ce que font les richissimes industriels depuis toujours, si je puis dire, c’est-à-dire s’acheter de la presse pour avoir un levier d’influence sur le grand public et sur le débat public. Jadis, on achetait des journaux. On en achète encore aujourd’hui. Son ennemi, Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, a racheté le Washington Post. Elon Musk lui achète Twitter. Il achète un réseau social parce que pour être le Citizen Kane du 21e siècle, mieux vaut avoir du numérique que du papier. Mais le projet qu’il y a derrière le rachat de Twitter, il est éminemment politique. C’est une façon de faire du lobbying pour pousser le développement de ses autres sociétés industrielles : Space X, Tesla et Neuralink.
RFI : Est-ce qu’Elon Musk, en étant un patron très controversé de Twitter, ne fait pas du tort à Tesla et Space X, parce que son image est écornée ?
En ce moment, Elon Musk fait du tort à Tesla et Space X en raison de la façon dont il gère Twitter et on est en train d’assister à une sorte d’échauffement du personnage. Il s’est toujours comporté comme un trublion, un flibustier de la finance et des entreprises, mais là, on a l’impression qu’il est en train de perdre le contrôle.
Elon Musk a toujours joué du fusil à deux coups. C’est-à-dire, il déplace le débat sur des questions lointaines. Il parle de la colonisation de Mars, par exemple, ce qui empêche de parler de la colonisation réelle qu’il fait en orbite basse de la terre avec ses satellites du fameux réseau Starlink. Avec Twitter, il a déplacé le discours en parlant de la liberté d’expression, ce qui permettait de ne pas parler du fait que cela devenait un formidable outil de lobbying pour ses autres entreprises.
Néanmoins, cette technique se grippe maintenant avec Twitter parce qu’on a l’impression qu’il s’est enflammé et il n’avait pas l’habitude finalement Elon Musk d’être autant au centre de l’arène mondiale. Ça fait vingt ans qu’il est un personnage public, vingt ans qu’il est dans le domaine de l’industrie, de la technologie et, je dirais, des sciences – même si la qualité de scientifique d’Elon Musk est discutable ! Mais en rachetant Twitter, il est devenu le personnage principal de cette agora numérique. Il a fait cela à dessein parce qu’il a un côté mégalo très fort, donc il avait envie d’être au centre des conversations. Cela lui est monté à la tête de toute évidence et cela entraine des erreurs de management.
Est-ce qu’il y a des risques qu’Elon Musk revende Twitter ?
Olivier Lascar : Je ne crois pas du tout à un scénario qui le verrait revendre Twitter. Je pense qu’il va se désengager de la gestion au jour le jour du site. Cette idée de vente ou pas du réseau avec laquelle on joue depuis quelques semaines ne me parait pas crédible parce que Musk, malgré sa façon de procéder, qui laisse à penser qu’il improvise au jour le jour, est beaucoup plus organisé qu’il n’y paraît. C’est d’ailleurs visible quand on regarde le reste de ses entreprises ou chaque technologie se répond les unes aux autres.
Par exemple, Starlink, ce réseau qui permet d’avoir le web venu du ciel autour de la terre, pourrait demain équiper mars, puisque Elon Musk a le projet d’envoyer des gens sur Mars. Avec la société The Boring Company, il a développé des tunneliers qui forent des tunnels à grande vitesse et à moindre coût sur terre. Il l’a fait sur Las Vegas par exemple. Ces tunneliers ont exactement le diamètre qui leur permettrait d’être embarqués sur la fusée Starship qui après-demain irait sur Mars.
Les tunneliers pourront creuser les cavités souterraines qui permettraient d’accueillir d’éventuels astronautes puisqu’on ne pourra pas vivre à la surface de la planète Mars en raison des rayonnements cosmiques. Donc cette impression de dispersion que donne Musk, là aussi, c’est un leurre. C’est-à-dire que tout est assez bien organisé comme des pièces d’un puzzle qui s’emboitent.
Néanmoins, ce qui me semble caractéristique avec Twitter, c’est qu’il révèle combien Elon Musk, bien qu’il dise à longueur de tweets qu’il veut œuvrer pour le bien-être de l’humanité, a une perception de l’humanité faussée, parce qu’il vit dans une bulle. Il est dans la bulle des milliardaires et, avec le rachat de Twitter, il est en train de redescendre sur terre. Donc, je pense qu’on va assister à un rétropédalage. Il va arrêter de s’occuper de Twitter au quotidien, mais en rester le propriétaire. On n’achète pas un réseau social à 44 milliards de dollars pour le flamber en deux mois.