Alors que les syndicats appellent à manifester ce mercredi, le texte sur la réforme des retraites va franchir une étape importante. Un groupe de sept sénateurs et de sept députés devraient valider le projet du gouvernement avant que l’Assemblée ne se prononce à son tour jeudi. Mais une majorité de voix dans l’hémicycle est loin d’être acquise pour Emmanuel Macron. Entretien avec Benjamin Morel, maître de conférence en droit public à Paris 2, docteur en Science politique à l’École normale supérieure de Paris Saclay.
RFI : La commission mixte paritaire – qui rassemble députés et sénateurs – se prononce ce mercredi 15 mars sur le texte de la réforme des retraites. Ce texte pourrait arriver demain à l’Assemblée nationale. Est-ce que le gouvernement aujourd’hui, en l’état actuel des choses, peut échapper à l’usage du 49.3 qui permettrait d’adopter ce texte sans vote ?
Benjamin Morel : On peut considérer que la commission mixte paritaire va être conclusive. En revanche, ensuite, il faut conquérir une majorité à l’Assemblée nationale sur cet accord. Et cette majorité, aujourd’hui, elle est assez fuyante. D’abord, parce qu’on voit que le groupe de la majorité est à la fois essentiel et extrêmement divisé sur cette réforme, parce qu’il y a des déperditions également au sein même de la majorité des députés MoDem, des députés Renaissance qui a priori ne voteront pas le texte. Et surtout, il faut voir qu’il ne faut pas forcément avoir une majorité sur le papier.
Il faut surtout avoir une majorité en séance, c’est-à-dire que les députés qui ce jour-là parce qu’ils ont peur de retour dans leur circonscription et bien décideront d’aller faire la « foire à l’ail ». Eh bien ces députés-là ne pouvant pas voter ne compteront pas pour le gouvernement alors que la Nupes et le RN eux sont très mobilisés. Ce qui rend quand même ce 49.3 probable.
Élisabeth Borne et ses ministres répètent qu’ils ne veulent pas utiliser ce 49.3 et qu’un accord avec est encore possible. Ce 49.3, ce serait un aveu d’échec pour le gouvernement Emmanuel Macron ?
Ce sera un aveu d’échec parce que ça signifierait que la majorité est très déstructuré et que la possibilité de convaincre sur ce texte, notamment à droite, n’a pas réussi, d’où la pression qui est mis sur LR avec cette idée que cette réforme, comme a dit Bruno Retailleau, c’est la réforme de la droite et que donc ne pas la voter serait incohérent.
Ensuite, la réalité, c’est que c’est le 49.3 serait une défaite politique au moins symbolique. Mais si le texte était rejeté par l’Assemblée nationale, là, c’est une défaite, c’est une vraie débandade, une vraie Bérézina.
Ces 48 prochaines heures se joue aussi la suite de la mobilisation sociale avec peut-être un regain de colère, de mobilisation ?
Selon ce qui va se passer à l’Assemblée, si jamais on a le sentiment, parmi les manifestants, que la voie parlementaire est devenu impossible, que seule la rue et la colère avec en arrière-fond, l’exemple des gilets jaunes. Il y a un risque que le mouvement à la fois se durcissent et se radicalise dans ses modes d’action.
Le pari du gouvernement, comme tous les gouvernements lors d’un conflit social, c’est que le vote de la loi met fin au mouvement social. Au regard des revendications qui pour l’instant porte sur les retraites et pourrait se généraliser à d’autres éléments, on pense notamment au pouvoir d’achat et vu également e la faible capacité des directions syndicales à tenir leur base, la possibilité d’un mouvement qui tout d’un coup se durcit et se généralise à d’autres enjeux, n’est pas exclue pour Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron joue-t-il la fin de son mandat avec cette réforme ?
Non, le président de la République a été élu jusqu’en 2027. En revanche, c’est sa capacité à faire passer des textes qui se joue, c’est-à-dire que vous pouvez avoir un gouvernement qui n’est pas renversé. Mais si le gouvernement propose des textes qui finalement soit sont rejetés, soit sont tellement modifiés que le gouvernement lui-même n’arrive plus à les assumer. Et ce faisant, il y a un vrai risque d’une forme d’inertie ou d’une fragilisation dans la capacité à mener des réformes, à faire passer des textes et donc in fine à gouverner le pays.