L’État d’Israël célèbre les 75 ans de sa déclaration d’indépendance, le 14 mai 1948 (les Israéliens commémorent ce jour selon le calendrier juif). Anniversaire – et fête nationale – sur fond de crise profonde : les manifestations se succèdent chaque samedi contre la coalition de droite et d’extrême-droite du Premier ministre Benyamin Netanyahu et contre son projet de réforme judiciaire que beaucoup en Israël qualifient de dangereuse pour la démocratie.
« Je ne sais pas si je voterais pour eux aujourd’hui, ils jettent trop d’huile sur le feu, il faudrait calmer les choses » songe Yoni, attablé à la terrasse d’un café du quartier de German Colony à Jérusalem. Aux dernières élections législatives, fin-2022, le jeune agent immobilier a donné sa voix à l’alliance des partis ultranationalistes religieux, qui ont désormais des ministres au gouvernement. « Leur amour pour notre pays est extrême », salue Yoni, malgré ses réserves. « J’ai voté pour avoir un gouvernement fort et de droite, pour notre Terre et notre sécurité » résume-t-il.
Israël marque son 75ᵉ anniversaire sur fond de fracture. Certes, le gouvernement a décrété une pause dans son projet de réforme judiciaire, mais sans y renoncer. L’objectif reste de raboter les prérogatives de la Cour suprême, ce qui fragiliserait le seul contre-pouvoir dans ce pays qui n’a pas de Constitution.
Dans cet entre-deux, les alliés ultranationalistes de Benyamin Netanyahu piaffent d’impatience : « Ce n’est pas un type de droite, il est de gauche, peut-être centriste, mais pas de droite », vitupère Arieh King. Pour cet adjoint au maire de Jérusalem, le chef du gouvernement est décidément trop modéré. « Benyamin Netanyahu ne nous permet pas de construire pour les juifs à Jérusalem, il n’autorise pas les juifs à se comporter comme ils devraient sur le mont du Temple [nom donné par les juifs à l’esplanade des Mosquées à Jérusalem]. Nous avons un seul lieu saint dans le monde, c’est le mont du Temple… et notre Premier ministre ne nous autorise pas à nous y rendre ! » déplore-t-il. Arieh King se définit comme proche du parti Sionisme religieux, dont le chef et actuel ministre des Finances Betsalel Smotrich a récemment déclaré : « le peuple palestinien n’existe pas ».
« Il ne croit pas en la démocratie »
Car le gouvernement israélien actuel est le plus à droite de l’histoire du pays. Outre le parti Sionisme religieux (Tsionout HaDatit) de Betsalel Smotrich, on y trouve un représentant de la formation Force juive (Otsma Yehudit) du ministre de la Sécurité intérieure Itamar ben Gvir. Ce dernier inquiète particulièrement les centaines de milliers d’Israéliens qui manifestent chaque semaine contre le gouvernement et ses projets. « Pourquoi Ben Gvir est un fasciste ? Parce qu’il ne croit pas en la démocratie ! Et il le dit », s’exclame Noam, 29 ans, rencontré dans une manifestation hebdomadaire à Tel Aviv. « Chaque fois qu’il va quelque part, ses partisans crient « mort aux Arabes ». Il est extrémiste. Que vous pensiez qu’Israël est déjà un État d’apartheid ou non, ce que Ben Gvir prône, c’est l’apartheid et il le dit clairement. Nous ne l’accepterons jamais ! Et nous nous battrons », assure Noam, la voix éraillée à force de crier des slogans.
Parmi la foule des manifestants de ces dernières semaines, on croise des Israéliens qui se situent à droite de l’échiquier politique de leur pays, certains portant la kippa des juifs religieux. Beaucoup d’anciens militaires, au-delà de toute appartenance politique, revendiquent leur parcours dans les rangs de l’armée israélienne, comme le général de réserve Reuven Benkler, barbe grise et t-shirt frappé du logo de son unité d’artillerie. « Nous devons rester une démocratie » dit-il en plaidant pour « une Cour suprême indépendante ». Dans les rassemblements, ces Israéliens d’horizons variés côtoient les groupes anti-colonisation d’extrême-gauche. Tous ont en commun de rejeter le projet de remise en cause de l’équilibre des pouvoirs.
« Crise de société »
« C’est une crise constitutionnelle, une crise de régime, mais aussi une profonde crise de société », résume la sociologue israélienne Perle Nicolle-Hasid de l’Université hébraïque de Jérusalem. La chercheuse observe « d’un côté une population libérale et active, majoritairement non-religieuse, qui connait un réveil politique nouveau, inédit depuis vingt ans. Et en face, le réveil et l’activisme de groupes radicaux de plus en plus explicites sur leurs visées concernant l’ensemble de la société ». Pour Perle Nicolle-Hasid, « on est face à une crise de définition des buts politiques et sociétaux de l’’État d’Israël. Qu’est-ce qu’être Israélien aujourd’hui ? On est dans une impasse pour le définir. »