France: «Après les émeutes, le sentiment d’injustice demeure parce que rien n’est réglé»

 Comment expliquez-vous cette rapide baisse de tension ?

Michel Kokoreff : Entre l’homicide policier à l’origine de la colère qui a traversé le pays, qui a eu une résonance mondiale, et le 14 juillet, évidemment, il s’est passé quelque chose. Tout d’abord, après l’empathie manifestée dès le premier jour, ce qui était quand même notable de la part de l’exécutif, le gouvernement a retrouvé sa rhétorique dénonçant les violences urbaines, jetant de l’huile sur le feu, incriminant les parents, alors qu’on aurait attendu des actes forts pour apaiser vraiment les choses. Et puis, d’un autre côté, on a assisté à une sorte d’état d’urgence larvé, avec un fort déploiement de force de l’ordre, de gendarmes, de drones, de blindés, d’unités d’élite, comme si c’était la guerre quoi ! Disons que la rhétorique du pouvoir sur le retour à l’ordre républicain, le déploiement des forces de l’ordre et la polarisation sur l’immigration ont logiquement été efficaces. D’où, d’ailleurs, la banalisation des propos racistes dans les médias, au Parlement, ou encore dans le monde du travail en particulier. On a rouvert la boite de pandore !

Rhétorique et déploiement des forces de l’ordre expliquent ce retour au calme ?  Lors de reportages sur des lieux où des nombreux bâtiments ont été brûlés, on a parfois l’impression qu’il y a aussi une stupéfaction face à l’ampleur des destructions.

Je vais répondre en deux temps. D’un côté, le fonctionnement de la machine pénale a quand même été fortement dissuasif. Même si seulement 10% des interpellations ont donné lieu à des condamnations, principalement en comparution immédiate, les décisions ont été sévères et n’ont d’ailleurs pas respecté le principe de l’individualisation des peines. Ce qui a été jugé, c’est le contexte et comme c’est souvent le cas, la main de fer de l’État s’est exprimée. Donc, cette réponse judiciaire a été dissuasive localement. À Saint-Denis par exemple, il y a eu effectivement deux jours particulièrement chauds. Une dizaine de jeunes a été interpellée, condamnée à des peines de 7, 8 mois de prison ferme, alors que selon leurs avocats, il n’y avait pas grand-chose dans le dossier. C’est certain que ça calme.

Le deuxième point, c’est que le sentiment d’injustice qui est à l’origine de l’émeute demeure parce que rien n’est réglé. Les problèmes de fond ne sont pas abordés ou l’exécutif ne veut pas les aborder puisqu’on a « une police merveilleuse ». Évidemment, au prochain drame, ça sera rebelote. Une pancarte disait « Combien de Nahel n’ont pas été filmés ? ».  Je trouve que cette pancarte est tellement emblématique.

Contrairement aux propos de Monsieur Retailleau (ndlr : président du groupe Les Républicains au Sénat), les causes ne sont pas tant liées à l’immigration que sociales et urbaines. Cela fait quarante ans que les sociologues font les mêmes constats. En revanche, ces causes structurelles demeurent et produiront les mêmes effets, peut-être de manière plus intense, la prochaine fois. Ceci ne veut pas dire que des groupes, des familles, éventuellement des associations, des militants ont déploré les dégâts, les excès de violence. Il faut se souvenir qu’en 2005, les parents condamnaient la violence, mais ils disaient aussi qu’ils comprenaient leurs enfants. Effectivement, la violence n’est pas la solution, ils la condamnent, mais dans le même temps, ils voient ce que vivent leurs enfants, les mineurs qui font l’objet de contrôles d’identité discriminatoires, d’insultes racistes, d’humiliations.

D’ailleurs, le problème va au-delà de celui de la police. Il y a aussi le traitement social, en général. Pourquoi le Cantal, la Corrèze ont-ils aussi été touchés ? Quand on regarde la cartographie de l’émeute, – je parle de l’émeute au singulier, car c’est un soulèvement populaire non organisé – on se dit, mais pourquoi ? Pourquoi des petites villes ? En fait, ces localités réunissent parfois des conditions de vie qui sont pires que dans les grandes villes. Elles sont souvent oubliées et abandonnées des pouvoirs publics. D’une certaine manière, ça devrait nous rappeler les « gilets jaunes », mais on est amnésique dans ce pays. Je pense qu’il y a une espèce de continuum.

Donc, la colère est toujours là et il n’y a pas de réponses de la part des pouvoirs publics.

Pas de réponses, sinon, des gestes de pompiers pyromanes, des coups de menton, des points sur la table. Mais qu’est-ce qu’on fait en matière de formation des policiers ? Il y a eu la petite phrase méprisante du ministre de l’Intérieur lors d’une audition au Sénat « Nous, on embauche des bacs moins 10 ». Donc, a contrario, ça montre bien qu’il y a un problème de formation, d’encadrement, alors que ceux qui sont en service dans les métropoles, pour leur premier poste, ce sont les plus jeunes, comme dans l’Éducation nationale, d’ailleurs, c’est-à-dire les moins expérimentés.

N’est pas non plus pris en compte le problème de l’usage des armes à feu par les forces de l’ordre avec la loi de 2017, ni le problème évidemment de l’utilisation des LBD et autres armes à létalité réduite, ni le problème de la Brav-M (Brigade de répression de l’action violente motorisée). Il n’est pas question de la dissoudre comme l’avait pourtant fait Charles Pasqua en 1986 avec « les voltigeurs » à l’origine de la mort de Malik Oussekine. Pourtant, Charles Pasqua n’était pas un gauchiste ! Le problème de l’indépendance de l’IGPN ou de la dépendance de l’IGPN, la police des polices, n’est pas abordé et on comprend pourquoi. Si on fait une analyse en termes de sociologie politique, on comprend que le pouvoir a besoin de sa police qui elle-même a tendance à s’automatiser. Et je pense que le cas de la Brav-M est assez significatif.

Voilà, les problèmes sont identifiés, relayés par LFI, Europe écologie, les Verts, la LDH, de nombreux chercheurs… Donc, c’est sur la table et je pense que c’est déjà une avancée par rapport à 2005 où les émeutiers étaient bien seuls.

Maintenant, les problèmes sont posés, mais ne sont pas pris en compte, encore une fois en raison du rapport entre le pouvoir et sa police. Le premier ayant quand même du mal à tenir la seconde via les syndicats majoritaires.

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