En 2015, la crise de l’accueil des réfugiés avait permis une poussée du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD). Y a-t-il un parallèle à tirer avec aujourd’hui ?
Patrick Moreau : Une certaine partie de la population ressent un ras-le-bol par rapport à la politique migratoire actuelle. D’abord, il y a eu l’arrivée de 400 000 Afghans [consécutive à la prise de pouvoir du pays par les talibans en août 2021, NDLR]. Et plus récemment, de très nombreux Turcs sont arrivés en Allemagne après le tremblement de terre de février dernier. Sans oublier les Ukrainiens qui fuient la guerre.
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Or, les Länder d’ex-Allemagne de l’Est, qui sont en première ligne, sont très sensibles aux discours pro-russes et donc les Ukrainiens sont très mal vus. Il y a une crise économique qui touche ces États de l’Est, et donc les étrangers, qui représentent une concurrence.
Cette hausse des manifestations d’extrême droite se concentre plutôt dans l’ex-République démocratique allemande (RDA) ?
Oui, pour plusieurs raisons. Déjà, parce qu’en Allemagne de l’Ouest, les groupes d’extrême gauche auraient empêché les néonazis de défiler dans les rues. Ils n’existent que très peu dans les Länder de l’Est. Et il y a des raisons de fond en plus de la crise économique. Il existe un sentiment d’abandon de la part des partis traditionnels. La coalition en place ne satisfait pas, les partis qui la composent communiquent mal entre eux, la droite conservatrice est faible, et Die Linke, ancien parti communiste, se délite. Donc l’AfD récupère ces déçus. Au sommet de l’État fédéral, les Allemands de l’Est sont aussi très peu représentés. Cette crise politique favorise l’extrême droite.
Quel est le profil des personnes qui composent ces cortèges ?
Il y a beaucoup de jeunes radicalisés. Les analyses sociologiques récentes montrent que beaucoup viennent de familles ayant vécu en RDA. Les jeunes qui arrivent sur le marché politique ont vécu au travers des récits de parents évoquant une société de plein emploi, vivant en communauté heureuse. Dans ses idéaux, l’AfD surfe sur cette nostalgie, se montre rassembleuse, avec des idées socialisantes. Et alors qu’historiquement les hommes étaient majoritaires, il y a de plus en plus de femmes jeunes qui rejoignent ces mouvements. Ce que j’ai aussi observé, c’est que derrière ces jeunes qui mènent les cortèges, en queue de peloton, il y a des plus vieux, d’anciens socialistes antiracistes qui basculent du côté du national populisme. Et je ne les vois pas de nouveau changer de bord.