En 2021, le quartier de la tour Eiffel est le théâtre d’un phénomène inquiétant. Les touristes sont la cible de voleurs à l’arrachée, particulièrement jeunes. Extrait d’un journal télévisé : « Sur la place du Trocadéro, quand le soleil se couche, nombreuses sont les personnes à se sentir de plus en plus en insécurité, car les groupes de jeunes errant aux alentours de la tour Eiffel sont de plus en plus nombreux et, pour la plupart, ce sont des mineurs étrangers isolés. »
À l’époque, ces mineurs, pour la plupart d’origine marocaine, sont présentés comme des petits voyous, ingérables, en raison notamment de leur prise de stupéfiants. Les associations, qui les ont repérés dès 2016, d’abord dans le nord de Paris, ont une tout autre analyse de la situation. Guillaume Lardanchet est le directeur de l’ONG Hors la rue : « L’état physique et psychologique des jeunes, provoqué par les consommations et la vie à la rue, les activités délictuelles auxquelles ils se livraient et aussi l’absence de demande de protection, quand on met bout à bout ces indicateurs, pour nous, ce sont les signes que ces jeunes sont dans des logiques d’exploitation. »
Des victimes de traite d’êtres humains
C’est grâce à l’intervention d’associations comme Hors la rue que certains jeunes acceptent de dénoncer leurs exploiteurs. L’enquête de police prend ainsi une autre tournure. La surveillance des lieux permet d’identifier un étrange ballet. Des Algériens désignent aux petits Marocains leur proie et attendent le butin. Pour la première fois, ces enfants – le plus jeune a 7 ans – passent du statut de délinquant à celui de victime. Me Delanoë-Daoud défend l’un d’eux. Nous l’appellerons Karim. L’avocate le rencontre au printemps 2022 dans un foyer : « J’ai d’abord été choquée qu’il soit si petit. En fait, il avait effectivement 13 ans, mais il était tellement malnutri qu’il en paraissait plutôt 9 ou 10. »
Comme la plupart des petits Marocains du Trocadéro, Karim est passé par l’Espagne avant de rejoindre la France. Attiré par des vidéos de compatriotes brandissant des liasses de billets devant la tour Eiffel. Une fois sur place, il tombe dans les filets d’adultes, qui lui proposent un logement, un travail et des drogues : « On leur dit : « Bah tiens, prends ça, d’abord, tu dormiras mieux », après : « Ça te donne de l’énergie ». Donc, il y a un côté un peu ludique. Et puis, les copains en prennent aussi. Et puis, les adultes en donnent d’abord. Et puis, après, finalement, ça devient payant. Donc là, on est à nouveau dans la spirale de : « Il faut que tu me rapportes quelque chose pour que je te redonne ce produit. » Lyrica et Ritrovil. On est très vite accro, en fait. »
Les menaces, les coups, la violence sont le lot quotidien de ces jeunes Marocains. Sur les douze mineurs reconnus comme victimes, seulement deux ou trois devraient être présents au procès. Les autres ont disparu dans la nature, souvent par peur de représailles. Karim, lui, ne donne plus de nouvelles depuis plusieurs mois, son avocate lui prêtera sa voix.