Législatives au Portugal: avec André Ventura, l’extrême droite revient sur le devant de la scène politique

« Nous sommes des extrémistes contre la corruption ! » Ainsi s’enflammait le leader d’extrême droite portugais André Ventura mercredi dernier, au milieu d’un déjeuner-rassemblement à Beja, ville au sud du Portugal. Réagissant aux accusations de radicalisme formulées par son adversaire, Luís Monténégro, président du parti de centre-droit PSD, il revendiquait se battre « pour un pays décent » et contre « la corruption qui a détruit les fondations du pays ».

Propulsé comme troisième force politique du pays, son parti, Chega (« Ça suffit » en français), pourrait atteindre 20% des suffrages lors des élections législatives anticipées prévues ce dimanche 10 mars. Au total, en moins de cinq ans d’existence, il pourrait doubler voire tripler son nombre de députés, qui s’élève à douze depuis les précédentes élections de 2022.

À la tête de cette ascension fulgurante se trouve André Ventura, cheveux bruns soigneusement peignés, visage de la droite radicale populiste au Portugal. Cet homme de 41 ans, ancien séminariste devenu professeur de droit, inspecteur des impôts, commentateur sportif puis de faits divers criminels, est aujourd’hui à l’origine d’un séisme dont les premières secousses se sont fait sentir dès l’automne 2019, lorsqu’il est devenu le premier député d’extrême droite à entrer au Parlement depuis la chute de la dictature de Salazar en 1974.

Une « soif d’attention »

Un choc d’autant plus exaltant pour le chef de file de Chega, qui cherche constamment à provoquer l’indignation, que ce soit sur les plateaux de télévision ou lors de ses prises de parole.

C’est à Loures, banlieue du nord de Lisbonne, qu’il a d’abord fait parler de lui, en accusant en 2017 la communauté gitane d’être « accro » aux aides sociales ou de se considérer « au-dessus de la loi ». Depuis, l’ex-militant du PSD multiplie les polémiques, comme en 2020 en suggérant le retour dans son pays de la députée Joacine Katar Moreira, née en Guinée-Bissau, ou jeudi dernier, en promettant, en cas de victoire aux élections législatives, d’empêcher l’entrée de Lula au Portugal le 25 avril, lors du cinquantième anniversaire de la révolution des Œillets. « Ce qui le caractérise le plus, c’est sa soif d’attention », résume Ana Navarro Pedro, journaliste portugaise pour l’hebdomadaire Visão.

Depuis le 25 février, jour de lancement de la campagne pour les législatives portugaises, André Ventura déroule donc son programme nationaliste et conservateur : lutte contre la corruption et la pauvreté, régulation de l’immigration et répression accrue contre les délinquants et criminels. Sur son affiche de campagne, où il apparaît souriant au-dessus de politiques, considérés comme corrompus et barrés d’une croix rouge, il le synthétise en une phrase : « Le Portugal a besoin d’un nettoyage. »

Une mission presque providentielle aux yeux de celui qui a pensé un temps épouser une carrière de curé, et pour laquelle il ne lésine sur rien, même l’avortement, allant jusqu’à prôner le retrait des ovaires aux femmes qui y recourent. André Ventura se prononce également en faveur de la castration des pédophiles, ou encore de la fin des subventions aux associations luttant contre les violences domestiques.

Dans un pays où le taux de chômage a bondi de 23% en un an, où le Premier ministre a été emporté par un scandale de corruption et où les prix des logements s’envolent au profit du tourisme, ses propositions de « mettre fin à l’économie parallèle » font mouche. « André Ventura ne cesse de mettre en avant les « bon Portugais », dont il serait l’incarnation, c’est-à-dire des gens qui travaillent et ne dépendent pas des subventions ou des aides de l’État. C’est un discours qui a touché une partie des abstentionnistes ou des électeurs mécontents », analyse Victor Pereira, professeur d’histoire à l’université de Lisbonne.

Proche d’autres figures populistes

Admirateur de Javier Milei, adoubé par Marine Le Pen et Jair Bolsonaro, le candidat antisystème incarne selon Ana Navarro Pedro cette « offre populiste, grande gueule et classe moyenne » jusque-là absente des urnes. « C’était un pari réussi de sa part de voir qu’il manquait cette voie à une partie de l’électorat portugais et qu’il pouvait la représenter », soutient la journaliste portugaise. De quoi confirmer l’opportunisme politique du leader de Chega, qui tord le cou à tout ce qu’il défendait dans son passé. « Dans sa thèse de droit, il critiquait le populisme, la stigmatisation des minorités ethniques, se montrait très préoccupé par l’expansion des pouvoirs policiers… Quand on regarde son parcours politique, on voit que c’est quelqu’un sans réelle conviction », avance l’experte.

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Aux dernières législatives, André Ventura avait mené campagne sous le slogan salazariste « Dieu, patrie, famille et travail », qu’il abandonnera pour l’élection présidentielle de 2021, où il obtient 11,9% des suffrages exprimés. À moins de deux mois du cinquantième anniversaire de la révolution des Œillets, le coup d’État militaire qui a apporté la démocratie dans le pays, la place du candidat et de son parti dans le haut des sondages consacre le retour de l’extrême droite dans un pays qui y semblait immunisé, longtemps qualifié d’« exception » en Europe. « Peut-être que chez certains électeurs, et notamment les plus jeunes, la mémoire de la dictature s’estompe ou est mal connue », suppose Victor Pereira.

Alors qu’il se place derrière le candidat centre-droit de l’Alliance démocratique (AD), Luís Monténégro, ainsi que le socialiste Pedro Nuno Santos dans les sondages, le chef de file de Chega pourrait encore gagner du terrain. « Le risque, c’est que l’AD, la coalition de centre-droit, ne puisse pas avoir une majorité absolue, même avec l’aide d’un parti de droite libérale. Pour former un gouvernement et avoir une stabilité à l’Assemblée, il faudrait donc que la droite traditionnelle s’allie à l’extrême droite », s’alarme l’expert. Pour l’instant, Luís Monténégro rejette toute possibilité d’accord avec le parti : « Je ne conclurai jamais d’accord de gouvernance politique avec Chega », avait-il martelé en septembre 2023.

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