Mardi, le Premier ministre français a prononcé son très attendu discours de politique générale devant les députés. Une prise de parole d’une heure et demie, ponctuée de plusieurs annonces. Face à un déficit avoisinant désormais les 6 % du PIB et à une dette qui dépasse actuellement, et largement, les 3 000 milliards d’euros, Michel Barnier a prôné une réduction des dépenses publiques afin de respecter son objectif affiché de ramener le déficit à 5 % dès 2025, puis à 3 % en 2029. Et cela concernera selon lui « les deux-tiers de l’effort l’année prochaine ».
Sur le volet fiscal, le chef du gouvernement a par ailleurs demandé « une participation au redressement collectif aux grandes entreprises qui réalisent des profits importants », et entend également mettre en place « une contribution exceptionnelle » des Français « les plus fortunés ». Mais il n’est pas entré dans le détail, déplore le secrétaire général de la CPME, la Confédération des petites et moyennes entreprises, Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. « On était sur un discours de politique générale, donc on a effectivement eu beaucoup de généralités, confie-t-il, joint par Nicolas Feldmann, du service Économie de RFI. Maintenant, il va falloir passer aux travaux pratiques. »
Qu’est-ce que c’est, une grande entreprise ? À partir de combien considère-t-on qu’on est une grande entreprise ? Quand on commence à parler d’entreprises qui font des profits, qu’est-ce que c’est, les profits très élevés ? On reste très inquiets, parce qu’on manque de précisions sur tout un tas de pistes. On aurait aimé avoir ces précisions, elles seront très importantes au-delà des affirmations de principe, dont certaines sont positives.
À noter que M. Barnier a aussi annoncé une revalorisation de 2 % du salaire minimum, le smic, dès le 1er novembre prochain, soit avec deux mois d’avance sur le calendrier initialement prévu. Il a par ailleurs proposé aux partenaires sociaux de « réfléchir à des aménagements justes et raisonnables » concernant la réforme des retraites, notamment sur la « retraite progressive », « l’usure professionnelle » ou encore « l’égalité entre les femmes et les hommes face à la retraite ».
Alors que Michel Barnier se trouvait à la tribune de l’Assemblée nationale, plusieurs syndicats organisaient pour leur part une manifestation dans Paris. Qu’ont-ils pensé des annonces de l’exécutif ? Nos envoyés spéciaux Arthur Ponchelet et Robin Cussenot en ont rencontré quelques-uns, à l’instar de Franck et Antoine, tous les deux agents d’EDF qui considèrent que la revalorisation du smic annoncée sera loin d’être suffisante. Idem pour la responsable de l’antenne retraites du syndicat CGT en Seine-et-Marne, à l’annonce de la reprise du dialogue pour « corriger certaines limites » de la réforme des retraites.
Nous, de toute façon, CGT, on reste sur la retraite à 60 ans, dans la mesure où on a largement de quoi la financer. Quand on commence à parler comme ça, avec un flou le plus artistique possible, c’est que derrière, y’a un loup.
Dans un mélange d’applaudissements et d’invectives, mardi, au palais Bourbon, Michel Barnier a par ailleurs abordé un autre sujet tout aussi explosif que le budget, à savoir l’immigration. Sans surprise, compte tenu de son appartenance à la droite, au parti Les Républicains, ainsi que de ses engagements passés, le Premier ministre a appelé à plus de fermeté en la matière, affirmant notamment que la France « ne maîtrise plus de manière satisfaisante » sa politique migratoire. Et à l’extrême droite, si l’on salue cette approche, on demande davantage. C’est le cas du député RN Laurent Jacobelli.
En revanche, dans le camp présidentiel, les réactions sont parfois gênées. Il faut régulariser les sans-papiers qui travaillent, plaide par exemple Erwan Balanant, député du MoDem, tandis qu’à gauche, le parlementaire socialiste Arthur Delaporte dénonce une instrumentalisation de la question migratoire. Le sujet promet ainsi de rebondir a l’Assemblée, où le Rassemblement national et ses alliés annoncent d’ores et déjà vouloir déposer un nouveau texte sur l’immigration.
On est quand même sur notre faim. Quelle mesure concrète? Comment on va faire pour endiguer l’immigration devenue complètement incontrôlable?
« Un schéma extrêmement réactionnaire qui fait de la prison l’alpha et l’oméga »
Le chef du gouvernement dit vouloir expulser davantage de personnes étrangères ayant reçu une obligation de quitter le territoire, une OQTF. C’est un cheval de bataille, dans son camp. Il souhaite prolonger la durée de rétention administrative, qui est de 90 jours maximum aujourd’hui. Mais cette mesure est déconnectée des réalités du terrain considère Matthieu Tardis, co-directeur du centre de recherche Synergie migrations, contacté par Amélie Beaucour, du service France de RFI : « Soit ces mesures sont uniquement faites pour donner un signal à l’opinion, dit-il, soit les personnes qui ont préparé le discours du Premier ministre se savent pas réellement de quoi elles parlent. »
Quand la mesure d’éloignement va être exécutée, en général, elle l’est très rapidement. Les pays qui ne veulent pas délivrer des laisser-passer ne les délivrent pas, que ce soit dans la semaine, le mois, ou dans les deux mois. Il y a aussi un coût financier, parce que ça veut dire aussi des policiers, et revoir encore les bâtiments des centres administratifs. Dans un contexte où on nous annonce des coupures budgétaires assez importantes, je me demande si la priorité, c’est d’investir dans ces centres de rétention pour, éventuellement, quelques centaines ou quelques milliers d’éloignements en plus.
Sur la justice, selon son chef, le gouvernement français va proposer de limiter les possibilités d’aménagement des peines pour que celles-ci soient exécutées. Pour M. Barnier, il est nécessaire que les jugements soient respectés sans être transformés. Mais aux yeux de Matthieu Quinquis, avocat et président de la section française de l’Observatoire international des prisons, « ce discours est extrêmement inquiétant ». « Il remet en cause des idées fortes qui honorent notre justice pénale, explique-t-il au micro d’Olivier Chermann. Notamment celle de l’application des peines et celle de l’évolution des personnes condamnées en cours de sanction. »
On remet en cause une idée qui consiste à espérer dans les hommes et les femmes que la justice sanctionne, et puis surtout, ça nous enferme dans un schéma extrêmement réactionnaire qui fait de la prison l’alpha et l’oméga, et qui maintient la société dans une idée que sans prison, on serait absolument sans solution. Et ça, c’est parfaitement contraire à tout ce qui a pu être relevé par des chercheurs, par des organisations internationales, par des acteurs de terrain…
Dernier volet suscitant pour l’heure des réactions sur nos antennes, les propos de Michel Barnier concernant Nouméa. Son grand oral lui a en effet permis de faire quelques annonces concernant les Outre-mer en général, et notamment le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie jusqu’à fin 2025. Quant au dégel du corps électoral, il ne sera pas soumis au Congrès. Au micro de Charlotte Urien-Tomaka, de notre service Politique, le député indépendantiste Emmanuel Tjibaou attend de voir la suite.
Il y a des annonces. Après, il faut juger sur acte. On ne peut pas juste être suspendu aux lèvres de M. Barnier. Le fait de prendre ses responsabilités, ne pas représenter le texte au Congrès de Versailles, c’est quelque chose qui était attendu au pays. Après, dans le même temps qu’il y a la reprise des discussions institutionnelles, le report des élections provinciales, au pays, il y avait deux options qui étaient privilégiées par les indépendantistes, ce n’était pas tranché, mais de toute manière, on prend acte.
Alors qu’Emmanuel Macron devrait prochainement officialiser ces annonces auprès des élus, celles-ci passent mal auprès du député loyaliste de Nouvelle-Calédonie Nicolas Metzdorf, issu d’Ensemble pour la République, bref du camp de M. Macron. « On a un Premier ministre qui n’a pas saisi complètement la gravité du dossier calédonien », et qui « donne un gage aux indépendantistes radicaux ainsi qu’à Jean-Luc Mélenchon en reparlant du Congrès de Versailles », tacle-t-il.
À mon niveau, la question de la censure se pose, oui. Le report des élections, il est normal. Aujourd’hui, on ne peut pas circuler partout en Nouvelle-Calédonie, il y a un couvre-feu, mais le problème, c’est qu’on a toujours 40 000 personnes exclues du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, des personnes qui ne peuvent pas voter dans leur propre pays. Il aurait pu au moins annoncer qu’il allait prendre le temps de trouver un accord, mais il n’a fait que donner un gage aux indépendantistes les plus radicaux.