RFI : Plusieurs bases de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) se trouvent en Roumanie. Près de 5 000 soldats de l’Otan sont déployés dans ce pays de 19 millions d’habitants. La France a lancé la mission Aigle en 2022 en réaction à l’offensive russe en Ukraine. La Roumanie occupe-t-elle une place stratégique au sein de l’Alliance atlantique ?
Florent Parmentier : La Roumanie occupe une place stratégique dans l’Otan. Tout comme la Bulgarie, elle représente l’un des flancs orientaux de la défense européenne, notamment au niveau de la mer Noire. Cette frontière est essentielle dans le contexte de la guerre en Ukraine. La base militaire de Deveselu héberge le système de défense antimissile, que questionne Calin Georgescu. Ces dernières années, nous avons pu observer une augmentation du budget de la défense en Roumanie et une forte coopération militaire avec des partenaires de l’Otan comme la France.
La Roumanie fait partie de l’Otan depuis 2004. Quelle aura été la position de Bucarest jusqu’à présent ? A-t-elle été « un bon élève » de l’Otan ?
Le rôle de la Roumanie a changé avec la guerre en Ukraine : elle est devenue un État aux avant-postes. Elle est l’un des États-membres de l’Otan ayant une frontière avec l’Ukraine, tout comme la Slovaquie, la Hongrie et la Pologne. Le budget de la défense de la Roumanie a augmenté de quasiment 50 % depuis 2023, pour atteindre environ 3 % du produit intérieur brut (PIB).
La Roumanie héberge une station Aegis Ashore des États-Unis, un système de port d’armes naval, sur la base aérienne de Deveselu. Cette base s’inscrit dans la défense antimissile balistique de l’Otan.
Cette base aérienne, autrefois désaffectée, est essentiellement active depuis les années 2010. Cette base a été vue en 2002 comme un site pouvant accueillir le système de défense antimissile de l’Otan. Son but est d’assurer la sécurité des pays européens.
Calin Georgescu a qualifié le bouclier de défense antimissile balistique de Deveselu de « honte de la diplomatie ». Pourquoi ? Est-ce par rapport à la Russie ?
Calin Georgescu estime que cette base ressemble plus à une déclaration d’hostilité qu’à une volonté diplomatique de la part de l’Otan. Calin Georgescu dit en substance : « Si nous avons ce type de bases sur notre territoire, il faut être sûrs que les alliés de la Roumanie viennent défendre le pays en cas de conflit ». Lui-même se dit peu confiant dans ce cas de figure. La remise en cause de Calin Georgescu de la base de Deveselu est liée à sa perception de la menace russe qui existe et qui est, selon lui, davantage exacerbée que contrée.
Comment la victoire d’un candidat pro-russe à la présidentielle roumaine pourrait influencer la position de Bucarest par rapport à l’Ukraine et l’Otan ?
En Roumanie, la politique étrangère s’effectue beaucoup au niveau du Parlement. L’élection d’un président, quelle que soit sa tendance, pourrait rendre certaines démarches plus compliquées, mais n’a pas un effet aussi direct que dans le cadre de la Vème République en France. Il faudra donc prendre en compte le vainqueur de l’élection présidentielle et les résultats des élections législatives.
Il est difficilement imaginable aujourd’hui de voir la Roumanie se retirer de l’Otan. En revanche, il deviendrait évident que nous commencerions à voir des blocages au sein de l’Union européenne et de l’Otan [où toutes les décisions sont prises par consensus, NDLR]. En tout cas, des gouvernements auparavant favorables à l’Ukraine pourraient adopter une position plutôt critique. Au-delà de Viktor Orban en Hongrie, je pense à Robert Fico [Premier ministre slovaque, NDLR]. En Italie, [la Première ministre] Giorgia Meloni avait une rhétorique pro-russe avant de se montrer beaucoup plus conciliante vis-à-vis des positions pro-ukrainiennes de la Commission européenne et des autres acteurs européens une fois au pouvoir.
Seule, la Roumanie peut difficilement entraîner l’ensemble de ses voisins. En revanche, elle pourrait faire partie d’un groupe de plus en plus critique par rapport au souhait de poursuivre la guerre, et de plus en plus intéressé par des formes de compromis, même si cela devait coûter des territoires à l’Ukraine.
Peut-on imaginer que le prochain président roumain ou le Parlement demande à l’Otan de retirer sa base à Deveselu ?
Je pense que cela ne se ferait que dans le cadre d’une discussion avec les États-Unis. Si d’aventure Calin Georgescu devait accéder à la fonction suprême, on peut imaginer qu’il en discuterait avec Washington d’abord et ensuite avec la Russie. Ce sont des hypothèses. Si Donald Trump est désireux de mettre fin à la guerre en Ukraine, tout comme une partie de son équipe, il pourrait très certainement essayer de trouver un compromis et donner des gages à la Russie. [Le retrait de] la base de Deveselu serait peut-être l’une de ces possibilités, mais il est trop tôt pour le dire.
Quel rôle joue la Roumanie en tant que membre de l’Otan dans la guerre en Ukraine ?
Pendant très longtemps, les relations de la Roumanie avec l’Ukraine ont été extrêmement limitées. Dans le cadre du processus d’intégration de la Roumanie à l’Otan et à l’Union européenne, il y a eu la nécessité de solder les revendications territoriales que la Roumanie pouvait avoir. Car les frontières entre la Roumanie et l’Union soviétique en 1945 ont amené certains territoires roumains dans le giron de l’Ukraine. Il existe des minorités roumanophones en Ukraine. Il a ainsi fallu signer un accord pour que la Roumanie puisse faire partie de l’Otan et de l’UE.
Depuis 2022, la Roumanie a vu passer un certain nombre de réfugiés ukrainiens. Des débris de missiles ont atterri sur le territoire roumain. Cette guerre et ses potentielles conséquences inquiètent le pays. Malgré tout, la Roumanie a joué le jeu. Elle a transféré des armes à l’Ukraine. Elle a aussi participé à l’exportation des productions ukrainiennes : la circulation des céréales ukrainiennes, comme le blé, à destination des marchés mondiaux s’est en partie effectuée par voie maritime et ferroviaire en Roumanie.
Quelles relations la Roumanie entretient-elle avec la Russie ?
Les relations entre la Roumanie et la Russie sont assez faibles historiquement pour différentes raisons. Une pomme de discorde entre les deux États est notamment la Bessarabie – qui concerne actuellement la plupart de la Moldavie telle qu’on la connaît aujourd’hui. [En 1940, la Russie a annexé la Bessarabie, reprise l’année suivante par Bucarest. Une guerre civile éclate en 1992 en Moldavie, opposant les Moldaves en majorité roumanophones aux forces pro-russes de la République sécessionniste de Transnistrie, NDLR] Il y a toujours eu une forme d’inquiétude de la part de la Roumanie vis-à-vis de ce grand voisin.