Viols sur mineures: la France condamnée par la CEDH pour avoir failli à protéger des victimes

La Cour européenne des droits de l'homme a condamné, jeudi 24 avril 2025, la France pour avoir failli à protéger trois mineures qui dénonçaient des viols.
La Cour européenne des droits de l’homme a condamné, jeudi 24 avril 2025, la France pour avoir failli à protéger trois mineures qui dénonçaient des viols. AFP – FREDERICK FLORIN

En 2013, Manon porte plainte pour des faits de viol remontant à 2008. Elle a alors 16 ans. Mais son affaire n’a jamais donné lieu à un procès. « Mon affaire n’a jamais été jugée. Elle a été classée par un procureur de la République. Ensuite, j’ai fait appel, j’ai saisi un juge d’instruction. Ça a été classé, et classé, et classé », raconte-t-elle à Marie Casadebaig, du service France de RFI.

Manon n’a pas oublié le discours qui lui a été tenu, notamment que l’homme qui l’a agressée « n’avait pas l’intention de (la) violer ». « En fait, il reconnaît les faits, il reconnaît que j’ai dit  »non », mais il n’avait pas vraiment l’intention de violer », poursuit la jeune femme. La CEDH estime que la justice s’est principalement fondée sur le comportement passif de Manon, sans prendre en compte son état de sidération. La Cour note aussi qu’un poids disproportionné a été donné aux déclarations de l’agresseur présumé.

Aujourd’hui, la condamnation de la France est donc un immense soulagement pour Manon, émue : « Cela fait douze ans que je me bats, douze ans que j’ai l’impression de crier dans le vide. Pour la première fois, on me dit que j’ai raison et que la justice française avait tort de ne pas le juger. » Au-delà de l’effet de la condamnation de la France, Manon espère une évolution de la loi. Le Sénat doit encore se prononcer sur un texte intégrant la notion de non-consentement à la définition pénale du viol.

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La justice française « a failli à protéger (…) les requérantes qui dénonçaient des actes de viols »

Dans le détail, la CEDH a condamné la France pour la réponse judiciaire apportée à trois mineures – dont Manon – qui avaient dénoncé en vain des viols et l’a épinglée pour la première fois pour « victimisation secondaire ». La Cour « considère que, dans chacune des trois requêtes », la justice française a « failli à protéger, de manière adéquate, les requérantes qui dénonçaient des actes de viols alors qu’elles n’étaient âgées que de 13, 14 et 16 ans au moment des faits ».

La CEDH estime que les juridictions n’ont pas assez pris en compte les circonstances des faits, comme la consommation d’alcool, ainsi que le consentement des adolescentes, qui se trouvaient en « situation de particulière vulnérabilité », notamment en raison de leur jeune âge. Dans deux dossiers, la Cour relève en outre « l’absence de célérité et de diligence dans la conduite de la procédure pénale ». Elle conclut, dans son arrêt, à la violation des articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention européenne des droits de l’homme.

La France condamnée pour avoir fait subir à Julie une « victimisation secondaire »

L’une des trois requérantes est Julie (nom d’emprunt), qui avait accusé 14 pompiers de viols quand elle était adolescente. En 2019, un juge avait requalifié les faits en « atteintes sexuelles sans violence, contrainte, menace ni surprise », suscitant la colère de la famille et des associations féministes. Deux pompiers avaient été finalement condamnés en novembre 2024 à des peines avec sursis pour atteintes sexuelles.

L’arrêt de la CEDH « est vraiment un coup de semonce adressé à la France », a réagi auprès de l’AFP l’avocat de Julie, Emmanuel Daoud. « La Cour dit que les juridictions françaises ne peuvent pas se comporter ainsi à l’endroit des victimes (…), a fortiori lorsqu’elles sont mineures », et que le droit et la procédure pénale ne les « protègent pas suffisamment » lorsqu’elles « essayent de faire valoir leurs droits », a-t-il relevé.

Dans son arrêt, la CEDH fustige « les stéréotypes de genre adoptés par la chambre de l’instruction de la cour d’appel », soulignant qu’ils étaient « à la fois inopérants et attentatoires à la dignité de la requérante ». Elle estime que Julie a été exposée « à des propos culpabilisants, moralisateurs et véhiculant des stéréotypes sexistes propres à décourager la confiance des victimes dans la justice ». En ce sens, la jeune fille a subi une « victimisation secondaire » ; c’est la première fois que la France est condamnée sur ce point. La CEDH conclut donc à une violation de l’article 14 de la Convention (interdiction de la discrimination). Pour les parents de Julie, cet arrêt « lave l’humiliation et les tourments que nous ont infligés les institutions policières et judiciaires », a relayé Me Daoud.

La France devra verser 25 000 euros à Julie au titre du dommage moral et 15 000 euros à chacune des deux autres requérantes.

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