Un cadre du ministère de la Santé a réussi à cofonder une entreprise avec une lobbyiste qui visait son propre ministère, en même temps qu’il touchait son plein salaire de la fonction publique.
Notre Bureau d’enquête a découvert que le 19 janvier dernier, Stéphane Brossard, directeur des technologies de l’information au ministère, est devenu président et actionnaire de Plakett santé numérique.
Il n’a quitté officiellement le ministère que le 11 février.
Dans sa nouvelle aventure professionnelle, l’ex-haut fonctionnaire est associé avec Isabelle Girard, présidente de Plakett Services cliniques.
Peu connue du grand public, cette entreprise se spécialise dans les services-conseils pour les cliniques médicales et les soins de première ligne.
Plakett multiplie les liens avec le ministère de la Santé depuis quelques années (voir ci-contre). Mme Girard est lobbyiste et a obtenu deux contrats de gré à gré.
En plus de Stéphane Brossard, l’entreprise a embauché l’ex-conseiller politique principal du ministre et a donné des mandats de consultant à un ancien sous-ministre associé.
Ministère pas informé
Le ministère de la Santé soutient que Stéphane Brossard l’a avisé le 16 janvier qu’il avait l’intention de quitter son poste pour se lancer en affaires.
Toutefois, il indique ne pas avoir été informé à ce moment de la création de Plakett santé numérique et du rôle d’Isabelle Girard dans cette entreprise.
« À ce moment, le MSSS [ministère de la Santé et des Services sociaux] a demandé à M. Brossard qu’il ne débute pas ses activités d’entreprise avant son départ du MSSS », a précisé une porte-parole du ministère, Marjorie Larouche.
La réglementation n’empêche pas un ex-gestionnaire de se lancer en affaires, mais il doit respecter les règles d’éthique et d’après-mandat applicables.
« Nous n’avons pas d’informations qui nous permettent de croire que M. Brossard n’a pas respecté ces règles », précise le ministère.
Pas d’entrevue
Lorsque contacté au téléphone par notre Bureau d’enquête, Stéphane Brossard a refusé de répondre à nos questions et a promis de nous rappeler. C’est plutôt une firme de relations publiques qui a fourni des explications par courriel.
« De par la nature de nos mandats de consultation, la majorité des membres de l’équipe de Plakett peuvent avoir côtoyé, à différents moments, des employés de plusieurs ministères, dont le ministère de la Santé, notamment M. Brossard », a indiqué Maxime Couture de Catapulte communication.
Pour la professeure Marie-Soleil Tremblay de l’École nationale d’administration publique (ENAP), la situation est questionnable.
« On est dans le gris, il y a un risque réputationnel », dit-elle.
La spécialiste en gestion publique recommande une période d’un an entre le départ d’un haut responsable d’un ministère et l’embauche chez un fournisseur privé.
« Il y a une certaine distance qu’il faut garder entre l’appareil public et les fournisseurs », dit-elle.
– Avec Pascal Dugas Bourdon et Nicolas Lachance, Bureau d’enquête
L’ex-sous-ministre se défend
Un ancien sous-ministre associé qui a par la suite obtenu des mandats de consultant avec Plakett se défend de tout favoritisme.
Photo tirée de Facebook
Luc Bouchard a quitté le ministère en mai 2021. C’est lui qui avait signé les deux contrats donnés sans concurrence à Plakett en 2020.
Puis, à l’automne 2021, il a obtenu deux mandats rémunérés de Plakett.
Joint une première fois par notre Bureau d’enquête, il a d’abord nié avoir travaillé pour l’entreprise.
Quelques jours plus tard, il a reconnu avoir fait de la représentation pour Plakett à l’extérieur du Québec.
Deux mandats qui n’ont pas dépassé quelques heures, assure l’entreprise.
En entrevue, M. Bouchard reconnaît qu’à titre de sous-ministre, il a eu des contacts avec Plakett et sa présidente, Isabelle Girard.
« Plakett est la compagnie qui travaille le plus avec les GMF [groupes de médecine de famille] et cliniques médicales et autres […] C’est la sommité au Québec dans ça », soutient-il.
Contrats de gré à gré
Un des contrats donnés sans concurrence à Plakett était pour l’analyse des différentes technologies de prises de rendez-vous avec un médecin.
Selon des documents obtenus en vertu de l’accès à l’information, Isabelle Girard a présenté son analyse au sous-ministre en novembre 2019.
Pour ce même contrat, elle avait aussi le mandat d’étudier les besoins en informatisation des spécialistes en cabinet.
Luc Bouchard travaille aujourd’hui à l’Institut de la pertinence des actes médicaux (IPAM). Il reconnaît continuer de rencontrer les employés de Plakett à l’occasion.
« On rencontre des fournisseurs [notamment ceux référés par Plakett]. On écoute ce qu’ils ont à dire, that’s it, that’s all. Après, on les réfère au ministère de la Santé ou à la FMSQ », dit-il.
L’IPAM a été créée dans le cadre de l’entente entre la Fédération des médecins spécialistes du Québec et le Conseil du trésor, au moment où Christian Dubé en était responsable. L’Institut vise à identifier des sources d’économie annuelles dans la rémunération des médecins.