À table avec Mathilde Favier, la prêtresse des relations publiques mode

L’idée a jailli lors de la conférence de rédaction : et si, pour changer, on décidait de faire passer à table l’une de nos « socialites françaises » ? Son nom a aussitôt été prononcé : Mathilde Favier, la plus élégante des public relations managers, titre que l’on pourrait traduire par « responsable des relations avec la crème des célébrités ». Depuis douze ans, cette Parisienne pur jus est chargée d’habiller les VIP en Dior (son employeur) et de faire rayonner la maison de l’avenue Montaigne un peu partout dans le monde. Rendez-vous est donc pris à Cannes, lors de la dernière édition du Festival, fin mai. Pendant cette longue semaine de cinéma, il n’y a pas vraiment d’heure. Pas vraiment de déjeuner donc. «Tout peut se décider à la dernière minute, lance cette liane à l’éternelle coupe garçonne. Pendant dix jours, je vis mon portable allumé 24 h/24 h. »

À Rome, fais comme les Romains. À Cannes, fait comme les people : attable-toi tôt ou tard, mais surtout, déjeune vite. On me prie donc d’arriver à midi en m’expliquant que les fittings (les essayages) commencent rarement avant 14 heures. Nous devrions donc avoir du temps. Ce jour-là, la chaleur, écrasante, est en avance. Comme Mathilde Favier. Dans la vaste suite Dior installée toute l’année au sixième étage de l’hôtel Barrière Majestic, elle est déjà installée et discute avec son collègue Peter Philips, directeur de la création et de l’image du maquillage. L’échange est joyeux et animé. Il est question des événements à venir, des lancements prévus et des célébrités à embellir. Lorsque je m’annonce, le make-up artist d’origine belge me salue et me laisse seule avec cette icône Dior, vêtue d’une robe maison – évidemment – en popeline de coton imprimé et chaussée de Birkenstock bleues en édition limitée.

Feuilles de laitue pliées

Avant même de commander nos plats au room service du Majestic, j’ai envie de lui poser une question sur le fameux « je ne sais quoi », formule désignant ce « truc en plus » qu’ont les Françaises et qui fascine tant les étrangers. « Je crois que c’est avant tout question de liberté », souffle-t-elle, amusée, en commandant une salade César, sans parmesan et avec sauce à part. « Maria Grazia Chiuri, la directrice artistique de Dior, a bien compris notre culture et soigne dans ses collections ce formidable état d’esprit. »

«We should all be feminist »« Why Have There Been No Great Women Artists ? » ou encore « C’est non non non et non ! » : on se souvient de ces slogans féministes imprimés sur les T-shirts et les messages d’empowerment distillés à chaque défilé. « En fait, nous, les Français, nous accordons simplement la liberté de faire des erreurs et de nous affranchir des codes. » Entre deux bouchées de feuilles de laitue soigneusement pliées, celle qui est aussi la sœur de Victoire de Castellane, la célèbre créatrice de joaillerie, revient sur une anecdote que lui a racontée Jacques Grange, grand ami de sa famille. Le très chic décorateur, à l’origine des intérieurs de Caroline de Monaco, d’Aerin Lauder ou de Pierre-André Maus, lui a un jour révélé que les propriétaires des appartements qu’il livre à l’étranger ne touchent souvent à rien. Ni aux fleurs ni aux bibelots. Comme s’ils avaient peur d’une éventuelle faute de goût. « Les Français, eux, n’en font qu’à leur tête, renchérit Mathilde Favier. Oser est quand même plus drôle et surtout, cela fait de soi quelqu’un. » Cette liberté de style revendiquée, elle tente aussi de l’insuffler aux autres, notamment aux actrices. Ce qui n’est pas toujours évident. « Je leur propose toujours des pièces qui leur vont tout en leur faisant prendre de petits risques esthétiques, prévient-elle. Pour qu’elles osent explorer d’autres facettes de leur personnalité. »

Il faut dire que Madame Favier est tombée dans la fashion marmite quand elle était petite. De sa scolarité à Lübeck, établissement du XVIe arrondissement de Paris qui a vu sortir Emmanuelle Alt (ex-rédactrice en chef de Vogue) ou Camille Miceli (directrice artistique d’Emilio Pucci), elle conserve une éducation impeccable et un certain vernis social. «Lorsque j’étais enfant, confie-t-elle, on m’a appris la conscience de l’autre. À l’école, nous n’avions pas le droit de donner nos noms de famille, nous portions un uniforme avec des collants en laine qui grattent (le nylon, ce n’était pas à Lübeck) et nos trousses étaient toutes identiques. » Les souvenirs lui reviennent pendant qu’elle tartine de beurre une fine tranche de pain aux céréales. « Cette discipline forge l’humilité et vous rappelle de rester à votre place. C’est très précieux dans mon métier. »

Optimisme et thé vert

Mathilde Favier a « connu des hauts et des bas, comme tout le monde ». Son premier job, elle le doit à son oncle, Gilles Dufour, alors directeur artistique des studios de création de la maison Chanel, qui lui trouve un stage à Glamour à la fin des années 1980. « Une époque formidablement drôle et joyeuse » durant laquelle elle rencontre lors d’un voyage de presse le futur père de ses enfants, l’homme d’affaires Roberto Agostinelli. De l’ouest parisien au Gotha international, le pas est franchi. À la fermeture du magazine en 1993, elle devient rédactrice en chef mode de Femina Hebdo, puis monte le bureau de presse des maisons Prada et Miu Miu en France avant de rejoindre en 2011 « la famille Dior », selon les mots de Delphine Arnault, sa grande patronne. « J’ai conscience que la vie n’est pas linéaire, s’enthousiasme cette éternelle optimiste devant son thé vert. J’ai changé plusieurs fois de métier, mais à chaque fois je me suis amusée. Je me souviens de mes débuts dans la presse, c’était une époque de grande insouciance qui a marqué l’émergence du photographe Mario Testino, de Carine Roitfeld… On lançait des projets fous, on n’avait peur de rien. Il n’était pas encore question d’argent ou de contrats. La liberté et la créativité étaient totales. » Les mœurs ont bien changé. Tout est plus encadré, surtout au cœur des grandes maisons. Elle l’admet elle-même: « L’époque est plus grave. Et les enjeux financiers ne sont plus les mêmes. Tout ceci invite à plus de réflexion. Chaque projet est étudié. Concernant les célébrités, c’est pareil. Désormais elles sont pour la plupart sous contrat. »

Témoin de Nicolas et Carla

Son téléphone sonne. Un essayage VIP vient tout juste d’être décalé. Mathilde Favier doit filer. Et même pas le temps de prendre un dessert. Elle saisit gracieusement son panier logoté. On comprend que le magazine américain Harper’s Bazaar ait un jour consacré un papier élogieux à l’énergique témoin de mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni. « Cannes c’est ça : l’imprévu. » Avant de partir, on lui demande son souvenir le plus fort. « J’en ai mille, mais le plus incroyable reste l’histoire de la robe d’Emma Stone en 2015. Un fourreau léger en dentelle pastel. Ravissant, mais transparent. Il fallait réaliser une doublure en urgence la veille de monter les marches ! Or à Cannes, nous n’avons pas à dispo les réserves de tissu Dior. Je n’ai rien trouvé de mieux que de décrocher les voilages de ma chambre au Majestic pour la faire réaliser par nos ateliers, installés dans l’hôtel le temps du festival. » L’art de la légèreté, toujours.

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