Agriculteurs: la tension monte d’un cran en France avec le démarrage du «siège» de Paris

La FNSEA et les Jeunes agriculteurs de la région parisienne et du nord de la France avaient annoncé des opérations de blocage autour de Paris dès 14h ce lundi, à la veille du discours de politique générale du Premier ministre Gabriel Attal.

Des retenues ont désormais lieu sur au moins quatre autoroutes à quelques dizaines de km de Paris, selon le site gouvernemental Sytadin, dans des opérations encadrées par les forces de l’ordre. Au total, huit « points de blocage » autoroutiers ont été prévus par les principaux syndicats de la profession, afin de faire un « siège de la capitale » annoncé « pour une durée indéterminée ».

Les points de blocage des agriculteurs autour de Paris.
Les points de blocage des agriculteurs autour de Paris. © Studio graphique FMM

Le siège de Paris en cours

À 14h, à la gare-péage de Buchelay dans les Yvelines au nord-ouest de Paris, l’autoroute A13 était bloquée dans le sens province-Paris. Les agriculteurs se disent prêts à rester plusieurs jours si leurs demandes ne sont pas satisfaites.

De l’autre côté de la capitale, à Jossigny (Seine-et-Marne), des tracteurs ont été positionnés dans les deux sens de circulation pour bloquer l’A4. En moins de deux heures, les agriculteurs ont transformé cette portion de l’autoroute en petit village. Des groupes électrogènes, des toilettes de chantier, des braseros, ont été installés pour passer au moins trois jours sur place. Dans la bétaillère, de la paille est prévue pour dormir à la bonne franquette. Les agriculteurs sont patients et bien organisés aussi. Ils vont se relayer pour tenir un maximum de jours : « Je suis associé avec un autre agriculteur, je fais 12 h aujourd’hui, il fait 12 h la nuit », explique l’un deux.

Reportage au barrage des agriculteurs sur l’autoroute A4, l’axe qui relie Reims à la capitale

Nathanaël Vittrant

« Aujourd’hui c’est Paris. Peut-être que demain, ce sera Bruxelles »

Autour d’un grand bûcher de palettes, les agriculteurs et les plus rares agricultrices qui occupent l’autoroute A4 échangent en plaisantant, parfois avec les forces de l’ordre, ce qui donne à cette occupation l’allure d’un évènement officiel. Mais cette ambiance bon enfant ne doit pas faire oublier leur colère, que l’intervention du pompier Gabriel Attal en fin de semaine dernière n’est pas parvenu à éteindre.

« C’est un point de blocage sur 85 qui est satisfait donc on attend vraiment beaucoup de choses cette semaine de la part du gouvernement et de l’Europe », explique Christophe Parent, représentant local de la FNSEA le principal syndicat agricole, au micro de RFI.

L’Europe revient très souvent dans les conversations. Comme Emmanuel, les agriculteurs français veulent capitaliser sur la colère qui s’exprime aussi en Roumanie, en Pologne, en Allemagne, en Espagne et ailleurs.

« Notre objectif aujourd’hui c’est Paris. Peut-être que demain, ce sera Bruxelles, mais pas tous seuls évidemment, avec les 6, 7, 8 pays qui sont dans la même galère que nous », espère Christophe Parent.

Un sujet revient à plusieurs reprises dans les conversations : « On ne comprend pas pourquoi on est obligé de mettre 4 % de jachère alors qu’une grande partie de l’Ukraine n’est pas cultivée, qu’il manque énormément de céréales dans le monde. On importe plus qu’on exporte. À un moment donné : stop », martèle-t-il.

« Les mêmes règles européennes pour tous », « stop aux exportations hors normes ». Les slogans plaqués sur les tracteurs aussi rappellent que la réponse au malaise des travailleurs de la terre ne pourra pas se trouver qu’à Paris.

L'animatrice télé Karine Le Marchand (au centre) est venue soutenir les agriculteurs mobilisés sur l'A4, le 29 janvier 2024. Proche du monde agricole, elle avait déclaré au journal Le Parisien le 25 janvier : «Si les agriculteurs manifestent à Paris, je monterai sur leurs tracteurs.» Sa venue a été applaudie par les agriculteurs présents.
L’animatrice télé Karine Le Marchand (au centre) est venue soutenir les agriculteurs mobilisés sur l’A4, le 29 janvier 2024. Proche du monde agricole, elle avait déclaré au journal Le Parisien le 25 janvier : «Si les agriculteurs manifestent à Paris, je monterai sur leurs tracteurs.» Sa venue a été applaudie par les agriculteurs présents. © Bertrand Guay / AFP

Au total, huit « points de blocage » sur de grandes autoroutes à quelques kilomètres ou dizaines de kilomètres du périphérique parisien sont prévus par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs (JA).

Trente départements sont touchés, selon la gendarmerie, et 16 autoroutes sont concernées par cette mobilisation qui touche toute la France.

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Autre objectif : bloquer Rungis

Un convoi de tracteurs est parti du sud-ouest de la France pour aller bloquer le marché de Rungis, en banlieue parisienne. Il est attendu sur place mardi 30 janvier au soir ou mercredi matin. Rungis, c’est le premier marché de produits frais au monde, celui où s’approvisionne une très grande majorité des bouchers, poissonniers, primeurs et restaurateurs d’Île-de-France.

Pour éviter ce blocage, ainsi que celui des aéroports d’Orly et de Roissy, le déploiement de 15 000 policiers et gendarmes a été annoncé sur l’ensemble du territoire.

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Le marché de Rungis, qu’est-ce que c’est ?

Situé au sud de Paris, le marché international de Rungis est structuré en pavillons spécialisés destinés à fournir des produits frais aux professionnels de Paris, mais aussi à toute la région Île-de-France. Preuve de son importance, c’est aussi le plus grand marché de produits agricoles au monde, un lieu donc essentiel pour une bonne partie du pays

Rungis en chiffres, c’est :

  • 234 hectares de superficie, l’équivalent d’une ville dans la ville
  • 3 millions de tonnes de marchandises qui y transitent par an dont plus de la moitié de produits alimentaires
  • un chiffre d’affaires annuel de 10 milliards d’euros

Si les agriculteurs veulent rejoindre Rungis pour manifester, c’est tout simplement parce que c’est le marché central de la capitale, de sa banlieue, des départements limitrophes et de l’Europe. Concrètement, presque tout ce que l’on trouve sur les étals des primeurs, des bouchers, des poissonniers ou encore à la carte des restaurants de la région parisienne, passe par Rungis. Et pour ce faire, les marchandises arrivent chaque jour par centaines de camions affrétés jusqu’aux hangars, mais aussi par trains ou par avion. Une mécanique et une logistique bien rodées qui nourrissent 18 millions d’habitants, un peu moins d’un Français sur 3.

Un lieu inauguré en 1969, devenu une véritable institution, et qui a remplacé les vieilles Halles du centre de Paris.

Parallèlement, des opérations escargot organisées par les taxis, qui réclament à l’Assurance maladie une renégociation des conditions de rémunération du transport de patients, bloquent plusieurs axes à Paris, Marseille ou Bordeaux.

De « nouvelles mesures prises dès demain », annonce le gouvernement

De « nouvelles mesures seront prises dès demain » en faveur des agriculteurs, a annoncé la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot. « Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a fait savoir que de nouvelles mesures seront prises dès demain », a affirmé Mme Thevenot devant la presse.

La porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot à l’issue du Conseil des ministres: de «Nouvelles mesures seront prises dès demain»

Pierrick Bonno

Gabriel Attal, qui fera sa déclaration de politique générale mardi 30 janvier, a d’ores et déjà dévoilé vendredi 26 janvier des mesures d’urgence, dont l’abandon de la hausse de la taxe sur le gazole non routier (GNR), des indemnités gonflées pour les éleveurs dont les bovins ont été touchés par la maladie hémorragique épizootique, des sanctions lourdes contre trois industriels de l’agroalimentaire (non nommés) ne respectant pas les lois Egalim sur les prix. Mais ces annonces sont insuffisantes par les syndicats.

Mais les agriculteurs disent réclamer autre chose que des « mesurettes » dans une France qui a perdu les trois quarts de ses exploitants en 50 ans et recourt de plus en plus aux importations : un poulet consommé en France sur deux vient d’ailleurs, comme 60% des fruits.

Le président français Emmanuel Macron a donné « pour consigne » de « garantir que les tracteurs ne se rendent pas à Paris et dans les grandes villes pour ne pas créer des difficultés extrêmement fortes ». Il a réuni dans l’après-midi plusieurs ministres à l’Élysée pour un« point sur la situation agricole ». Il doit ensuite partir en Suède mardi et mercredi, avant un Conseil européen extraordinaire à Bruxelles jeudi. Emmanuel Macron va donc s’entretenir avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen à Bruxelles de la crise du monde agricole et des mesures de soutien que les agriculteurs demandent au niveau de l’UE, a annoncé l’Élysée.

Les patrons des syndicats agricoles français majoritaires, FNSEA et JA (Jeunes agriculteurs), ont rendez-vous à 18h avec le Premier ministre. Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, assure qu’aucune région de France ne sera épargnée par les blocages routiers, et qu’un système de roulements « pour permettre aux manifestants de se reposer » est prévu dans l’attente de nouvelles annonces.

Les agriculteurs participent au blocus de l'autoroute M7 à Pierre-Bénite, près de Lyon, dans le centre-est de la France, le 29 janvier 2024.
Les agriculteurs participent au blocus de l’autoroute M7 à Pierre-Bénite, près de Lyon, dans le centre-est de la France, le 29 janvier 2024. AFP – JEFF PACHOUD

Barrages et manifestations dans d’autres régions en France

À Lyon, un blocage a débuté « doucement », « le gros des troupes arrivera demain (mardi) », selon Michel Joux, patron de la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes.

Dans le Lot, des agriculteurs ont pénétré dans un supermarché Leclerc à Capdenac pour y prélever des produits importés. Selon la préfecture, ils ont emporté l’équivalent de 25 chariots. Des denrées ont été remises aux Restos du cœur, a affirmé Julien Vielcazal, président des JA du Lot, à une correspondante de l’AFP.

L’aéroport de Toulouse sera visé par des agriculteurs mardi.

Signe d’une certaine fébrilité, la préfecture de la Drôme a demandé aux habitants du département « de ne pas constituer de stocks alimentaires », assurant que « les principales grandes surfaces de la Drôme restent correctement approvisionnées en denrées alimentaires et en carburant ».

En Allemagne, les agriculteurs bloquent l’accès à plusieurs ports, dont Hambourg

Entre blocages d’autoroutes et défilés de tracteurs, la grogne agricole s’était d’abord manifestée en décembre et janvier en Allemagne, avant de toucher la France, mais aussi la Roumanie, la Pologne, ou encore la Belgique. Des dizaines de tracteurs ont organisé une opération escargot dimanche sur une autoroute du Sud belge.

Ce lundi, en Allemagne, des agriculteurs ont bloqué les axes de circulation menant à plusieurs ports, dont celui de Hambourg (nord), le plus grand du pays, provoquant le blocage d’une partie du « trafic des camions ».

Épisodes climatiques extrêmes, grippe aviaire, flambée des prix du carburant ou afflux de produits ukrainiens exemptés de droits de douane, les facteurs communs de mécontentement ne manquent pas. La nouvelle Politique agricole commune européenne (PAC), qui renforce depuis 2023 les obligations environnementales, et les législations du « Pacte vert » européen (ou « Green Deal »)- même si elles ne sont pas encore en vigueur – cristallisent tout particulièrement la colère.

D’autres ports maritimes allemands ont également été perturbés. En Basse-Saxe (nord), des agriculteurs ont bloqué les accès au Jade-Weser-Port, un port de conteneurs près de la ville de Wilhelmshaven, avec environ 40 tracteurs, selon la police. Dans le port de Bremerhaven (nord), un « rassemblement » d’agriculteurs sur un axe routier crucial a entraîné un « important ralentissement » du trafic.

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