En Allemagne, un petit village focalise le débat sur la sortie du pays des énergies fossiles. Lützerath doit disparaître pour permettre l’extension d’une gigantesque mine de charbon à ciel ouvert. Mais les activistes écologistes ne l’entendent pas de cette oreille. Ils occupé le village depuis deux ans, muée en « zone à défendre » (ZAD) et promettent de défendre chaque centimètre de son territoire. L’évacuation est prévue pour le début de cette semaine.
Dans le pâle soleil de cet après-midi d’hiver, des animaux en peluche sont assis soigneusement sur un monticule d’herbe. « Tout ce que nous voulons, c’est un avenir », signé « Vos enfants », est écrit sur un panneau blanc. Seulement quelques mètres plus loin, l’herbe s’arrête brutalement. Après c’est le vide. D’un gouffre profond de plusieurs centaines de mètres, s’élèvent d’immenses excavatrices. Ce paysage lunaire s’étend jusqu’à l’horizon.
« Bienvenue au bord de la mine de charbon à ciel ouvert Garzweiler II, le plus grand émetteur de CO2 d’Europe », lance Johanna, membre de Lützerath Lebt, une association d’activistes écologistes qui occupent depuis juillet 2020 ce petit hameau situé entre Aix-La-Chapelle et Cologne. « Et sous nos pieds se trouvent actuellement 280 millions de tonnes de lignite qui ne doivent plus être brûlées ! Car sinon, l’Allemagne ne pourrait pas respecter l’accord de Paris sur le climat et la limite des 1,5 degrés [de réchauffement par rapport à l’ère pré-industrielle] ».
Des routes dans les airs
Nous sommes dans le « Rheinisches Revier », le bassin minier rhénan. Depuis des décennies, on extrait ici du charbon, plus précisément du lignite, qui alimente des centrales thermiques dont on aperçoit des cheminées fumantes à l’horizon. « Des dizaines de villages ont disparu dans cet immense cratère », raconte Johanna.
Si tout autour s’élèvent des éoliennes, comme pour montrer le chemin vers l’avenir, l’entreprise qui exploite Garzweiler II n’est pas encore prête à lâcher le charbon si lucratif.
En octobre 2022, RWE a signé un accord avec le gouvernement fédéral et le gouvernement du Land Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Le géant de l’énergie s’engage à mettre un terme définitif à l’exploitation des mines de charbons dans le bassin rhénan en 2030, et donc huit ans plus tôt qu’initialement prévu. En échange, RWE a le droit d’agrandir la mine existante. Cinq villages menacés seront finalement sauvés de la disparition. Mais pas Lützerath qui sera le dernier à être rasé. « Pourtant il existe de nombreuses études menées par des instituts scientifiques renommés qui affirment que même dans la crise énergétique actuelle, le charbon sous Lützerath n’est pas nécessaire pour garantir la sécurité énergétique de l’Allemagne », souligne Johanna. « Nous ne sommes pas seulement ici pour sauver un village. Nous sommes là pour défendre notre survie ».
Depuis 2006, les habitants ont petit à petit quitté Lützerath après que leurs terrains ont été rachetés par RWE. Le dernier agriculteur récalcitrant a dû quitter les lieux l’année dernière après une longue bataille en justice. Officiellement, le village appartient à l’entreprise de l’énergie. « Et chaque personne qui est encore sur place à partir du mardi 10 janvier commet légalement une violation de propriété », prévient un ambulancier, venu dans le camp des activistes pour prêter main forte et qui, comme les autres, ne compte pas bouger. Bien au contraire. Lüzerath est devenu une « zone à défendre » (ZAD).
À l’approche du « Jour X », les « zadistes » ne chôment pas : ils érigent des immenses troncs d’arbre sur plusieurs places du village. Ces mâts sont reliés aux cabanes construites dans les arbres par un système de tyroliennes. « La police ferme les routes à terre. On en construit de nouvelles dans les airs », plaisante une jeune étudiante en médecine, originaire d’Hambourg. Les militants espèrent ainsi échapper plus longtemps à la police. « Si nous nous trouvons à plus de trois mètres et demi de hauteur, les forces de l’ordre doivent envoyer des équipes spécialisées pour nous chercher. Et ces équipes sont bien moins nombreuses que les policiers lambda », explique un bûcheron venu du sud de l’Allemagne pour prêter main forte et faire profiter les autres de son savoir-faire.
« Les images ne seront pas belles »
Munis de pelles et de pioches, d’autres jeunes creusent des tranchées dans le sol gorgé des pluies des derniers jours. « On espère que cela ralentira des véhicules lourds qu’ils n’hésiteront pas d’envoyer », soupire une jeune femme qui transpire à grosses gouttes malgré les rafales de vent qui s’engouffrent dans les bâches en plastiques qui font office d’auvents.
L’objectif des « zadistes » à Lützerath est clairement défini : ils vont tenter de retarder l’évacuation du village, si possible jusqu’à fin février. Car la législation allemande interdit la coupe d’arbres à partir du 1er mars et jusqu’au mois d’octobre. Au-delà de fin février, la destruction du hameau serait alors impossible.
Ce scénario ne met pas seulement les défenseurs du climat sous pression : dans les jours à venir, la présence policière s’annonce massive. Les autorités rhénanes souhaitent déployer entre 1400 et 1800 agents par jour à Lützerath mais n’en a pas les moyens. Les autres Länder enverront donc des renforts en personnels mais aussi du matériel, des chiens ainsi que des unités de police montée, rapporte l’hebdomadaire Der Spiegel.
La tension monte. Les craintes de possibles violences sont palpables. « Je suis assez certain que les images ne seront pas belles », a confié le ministre de l’Intérieur de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Herbert Reul (chrétien-démocrate), il y a quelques jours à la chaine de télévision publique ZDF. « Quand les uns résistent et les autres doivent intervenir cela ne ressemble pas à une scène comme sous le sapin de Noël. J’espère que la raison prévaudra des deux côtés ».