Des partisans de l’ancien président brésilien d’extrême droite Jair Bolsonaro, ont investi le Congrès après que des manifestants ont envahi le palais présidentiel et la Cour suprême, à Brasilia, le 8 janvier 2023. REUTERS – STRINGER
Des milliers de partisans de l’ancien président Jair Bolsonaro ont envahi dimanche le Congrès, le palais présidentiel et la Cour suprême à Brasilia, une semaine après l’investiture du président de gauche Lula. Les forces de sécurité ont semblé dépassées. Pourtant, les signes annonciateurs étaient nombreux.
Ce qui a surpris, c’est la facilité avec laquelle les manifestants ont approché les bâtiments officiels, alors qu’on savait qu’il y avait des tensions, que beaucoup de partisans de Jair Bolsonaro contestaient la victoire de Lula et cherchaient à en découdre, rappelle Martin Bernard, notre correspondant au Brésil. Les manifestants ont franchi un barrage de police, apparemment sans grande résistance, et ils ont tout saccagé dans leur sillage à la présidence, au Congrès et à la Cour suprême. Si les autorités semblaient dépassées, cela faisait pourtant des mois que les militants bolsonaristes évoquaient une action violente. Dès la victoire de Lula, des centaines de pro-Bolsonaro ont en effet commencé à camper devant les QG de l’armée pour réclamer un coup d’État. Fin décembre, la police avait déjoué une tentative d’attentat.
« Les différents groupes se sont organisés ces derniers mois »
Brasilia, São Paulo, Rio, Belo Horizonte… Dans toutes les grandes villes, les Bolsonaristes campaient toujours jusqu’à vendredi, quand la police les a évacués. Avant qu’ils ne regagnent les lieux le lendemain. Des bus remplis de partisans de Bolsonaro n’ont alors cessé d’arriver dimanche, tandis que sur les réseaux, les appels à la violence et à l’insurrection devenaient de plus en plus violents. Les médias et les élus pro-Lula ont alors été forcés de tirer le signal d’alarme.
Pour Odilon Caldeira Neto, professeur d’histoire de l’université fédérale de Juiz-de-Fora et coordinateur de l’Observatoire de l’extrême droite, « c’était prévu. Les différents groupes se sont organisés ces derniers mois, articulés par Bolsonaro puis mobilisés par certains militaires comme le général Braga, le général Augusto Heleno. Et ils ont eu le soutien financier de chefs d’entreprises de secteurs financiers stratégiques pour le camp Bolsonaro, comme le secteur de l’agronégoce. Par ailleurs, il faut souligner que certains secteurs de la police militaire, qui démontraient déjà un certain degré de bolsonarisation au cours de ces dernières années, ont été plus que laxistes face aux agitations antidémocratiques », souligne-t-il.
Quel rôle pour les forces de sécurité ?
Autant d’éléments qui posent la question du rôle des forces de sécurité. Les pro-Bolsonaro semblent avoir bénéficié de complicités auprès des forces de sécurité à Brasilia. Et samedi, le chef de la sécurité de Brasilia, Anderson Torres, a quitté le pays pour la Floride où se trouve encore Jair Bolsonaro.
Le président Lula a déclaré l’intervention fédérale, avec l’appui de l’armée, pour rétablir l’ordre à Brasilia. Lula a qualifié ces manifestants de « fascistes fanatiques » qui « paieront pour ce geste antidémocratique ».
Ces images ne sont pas sans rappeler la prise d’assaut du Capitole, il y a deux ans, aux États-Unis. C’est une attaque frontale contre la démocratie brésilienne, une semaine après l’investiture de Lula. « Mais il faut aussi souligner les particularités brésiliennes, pointe Odilon Caldeira Neto. La question de la militarisation est encore plus importante dans le cas brésilien, parce qu’elle s’appuie sur la présence des militaires dans la politique brésilienne, qui est une tradition de la pensée et de la pratique autoritaire, ainsi que de l’extrême droite brésilienne. Par ailleurs, l’épisode brésilien est encore plus traumatisant car le gouvernement Lula existe déjà, il a déjà été investi. Donc je dirais qu’il y a une nette ressemblance avec les États-Unis : les mythes conspirationnistes sont évoqués de la même manière, mais l’intensité et l’impact politique des événements au Brésil sont encore plus graves. »
Un coup d’éclat
Le ministre de la Justice Flavio Dino a parlé de « terrorisme » et condamné les « putschistes ». Il n’y a pas eu de tirs ni de morts. De ce point de vue, il s’agit plutôt un coup d’éclat que d’un coup d’État. Mais c’est un fait sans précédent et cela va marquer très profondément le début du troisième mandat de Lula.
Des figures de premier plan ont joué un rôle dans ces événements et la radicalisation des manifestants, estime le coordinateur de l’Observatoire de l’extrême droite : « Ernesto Araujo, par exemple, ancien ministre des Relations extérieures, a posté des vidéos en soutien à l’escalade antidémocratique. On retrouve aussi des figures bolsonaristes au sein des forces de l’ordre. Donc le problème du bolsonarisme, en tant qu’expression articulée de l’extrême droite au Brésil, est loin d’être résolu. Cet événement a une dimension d’apothéose, mais il s’inscrit dans une dynamique plus ample de radicalisation et d’articulation d’éléments antidémocratiques. »