Au tribunal spécial de La Haye, le procureur révèle le «côté plus sombre» de Hashim Theçi

L’ex-président du Kosovo Hashim Thaçi a mené une campagne sanglante contre ses opposants politiques pendant la guerre d’indépendance (1998-1999), résultant en plus de 100 meurtres, a déclaré l’accusation ce lundi 3 avril lors de l’ouverture de son procès pour crimes de guerre.

Costume gris et cravate bleue, Hashim Thaçi a de nouveau plaidé non coupable ce lundi à l’ouverture de son procès, comme lors de sa première comparution devant le tribunal spécial de La Haye en 2020. « Je ne suis absolument pas coupable », a déclaré l’ancien président. Ses co-accusés, l’un de ses plus proches alliés politiques, Kadri Veseli, l’ancien porte-parole de l’Armée de libération du Kosovo (UCK), Jakup Krasniqi, ainsi qu’une des figures marquantes de l’UCK, Rexhep Selimi, ont tous également clamé leur innocence. Tous font face à six chefs de crimes contre l’humanité et à quatre chefs de crimes de guerre, dont meurtre, torture, disparitions forcées, persécutions et traitements cruels commis lors de la guerre de 1998 et 1999 qui opposait la guérilla séparatiste à Belgrade.

Toujours considérés au Kosovo comme des héros de la guérilla, l’ancien président et ses co-accusés ont, selon l’accusation, ouvertement imposé un règne brutal d’emprisonnements, de torture et de meurtres pour resserrer leur emprise sur le pouvoir pendant et après la guerre. « Pourquoi ont-ils fait cela ? Les preuves montreront que c’était pour gagner du pouvoir », a déclaré le procureur Alex Whiting devant le tribunal spécial pour le Kosovo (KSC), financé par l’UE. « Nous avons l’intention de prouver des centaines de détentions à travers le Kosovo, généralement dans des conditions d’abus terribles, et plus de 100 meurtres », a-t-il indiqué.

 

La guerre du Kosovo a fait 13 000 morts, des Kosovars albanais pour la plupart. Elle s’est terminée quand une campagne de frappes aériennes de l’Otan, au printemps 1999, a contraint les forces serbes à se retirer. Hashim Thaçi a été le premier Premier ministre et président de la jeune nation, qui a autoproclamé son indépendance en 2008. Mais des allégations de crimes commis pendant et après la guerre lui collent à la peau, tout comme des accusations de corruption, dans un pays où les commandants de l’UCK ont conservé un rôle clé dans la vie publique. « Ces quatre hommes étaient sans aucun doute les principaux dirigeants de l’UCK et ils ont été célébrés et honorés pour cela », a déclaré le procureur. « Mais il y avait un côté plus sombre à leur leadership », a-t-il ajouté.

« Climat d’intimidation »

Ils avaient une « politique claire et explicite pour cibler les collaborateurs et ceux qu’ils voyaient comme des traîtres », a poursuivi Alex Whiting. Outre les Serbes et les Roms de souche qui ont perdu la vie, la plupart des victimes étaient des compatriotes albanais du Kosovo. « Dans leur zèle pour cibler et éliminer les personnes qu’ils considéraient comme des opposants », les accusés « ont également persécuté les leurs », a-t-il encore déclaré.

Maître Simon Laws, avocat de victimes, a ensuite pris la parole pour rappeler les tortures subies en détention : les ongles arrachés, les brûlures à la paraffine. « Le jour où ils ont été ciblés par l’UCK, leur vie a changé pour toujours », a raconté l’avocat, qui représente 140 victimes, dont « beaucoup continuent d’avoir peur ». Créé en 2015, le KSC est une instance de droit kosovar, hautement sécurisée et composée de juges internationaux pour protéger les témoins. L’accusation dénonce néanmoins un « climat d’intimidation des témoins » autour de ce procès, certains faisant face à des menaces.

Me Simon Laws a aussi dit parler au nom de la majorité silencieuse, celle qui au Kosovo attend justice et fait confiance à ce tribunal. Formé à la demande de l’Union européenne, ce tribunal est très décrié au Kosovo, rappelle notre correspondante à La Haye, Stéphanie Maupas. Les partisans de l’UCK lui reprochent notamment de vouloir réécrire l’histoire. Et de ne pas s’intéresser aux crimes commis par les Serbes. Eux ont en fait été jugés par le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie.

La parole est désormais aux avocats de la défense. Ensuite, le procureur pourra appeler à la barre le premier de ses 300 témoins.

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