Au vieux campeur, l’entreprise familiale qui résiste aux géants du sport

Depuis quatre-vingts ans, la chaîne de magasins Au vieux campeur est une institution pour les passionnés de sports de plein air. « Il y a un petit côté vieillot, depuis le début rien n’a changé : le nom, le logo, même l’emplacement des boutiques… », analyse Nathalie Fleck, professeure spécialiste du management des marques à l’université du Mans. Ce qui n’empêche pas cette entreprise familiale de surfer sur l’engouement autour de ces sports de nature : depuis les années 2000, le chiffre d’affaires a doublé et devrait se situer aux alentours de 160 millions d’euros en 2022. En 2023, un nouveau magasin Au vieux campeur ouvrira ses portes, probablement à Bordeaux.

L’histoire du vieux barbu à la veste à carreaux a commencé en 1941. En rentrant de la guerre, Roger de Rorthays, fan de scoutisme et de randonnée, décide d’ouvrir « une boutique avec tout ce qu’il aimait », alors que se développent les congés payés. Avec son épouse Solange, ils cousent eux-mêmes les toiles de tente et les foulards de scout. Le succès arrive vite et le premier magasin, au 38 rue des Écoles dans le 5e arrondissement parisien, devient trop étroit. En 1956, une boutique est à vendre, au 48 rue des Écoles : le couple de commerçants saute sur l’occasion pour y regrouper tous ses rayons. Puis, à partir de 1973, ils commencent à essaimer dans le voisinage.

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Un village « Vieux campeur »

Aujourd’hui, l’entreprise familiale détient une vingtaine de boutiques dans le Quartier latin, chacune consacrée à une discipline : escalade, plongée sous-marine, running… « Au départ, ce n’était pas volontaire : on a toujours voulu rester dans Paris, mais on ne trouvait pas de local suffisamment grand, raconte Aymeric de Rorthays, petit-fils du fondateur, qui dirige l’entreprise avec son frère Ludovic. Aujourd’hui, la question ne se pose même plus, on appelle ça notre village et les clients adorent ça », assure le patron. Une vision partagée par Nathalie Fleck : « Ça donne au client l’impression d’être dans une petite boutique indépendante, alors qu’il y a un groupe derrière, mais ça, le consommateur ne le voit pas. » Certains s’y perdent pourtant : « Où est-ce que je peux trouver des sacs de trail ? », demande un client, à peine entré dans le magasin de running. « Pour ça, il faut aller au 44 rue des Écoles », répond Antoine, vendeur depuis deux mois et déjà habitué à cette question récurrente.

De nombreux clients viennent aussi en boutique pour recevoir des conseils. « On est tous sportifs, donc on sait ce que c’est qu’une blessure et on peut conseiller au mieux », confirme Arthur, vendeur au magasin de running. « Ce n’est pas vraiment une relation client-vendeur, mais juste une discussion humaine, on tutoie très facilement », ajoute-t-il.

Hyperspécialisé

Comment expliquer ce succès, face à la concurrence de géants comme Decathlon ou Intersport ? Au vieux campeur mise sur l’hyperspécialisation, quand Decathlon est beaucoup plus généraliste. « Nous, on a 80 références de chaussons d’escalade, je crois qu’ils en ont six », illustre le patron. « Aujourd’hui, on ne les considère même plus comme des concurrents. Mais ce qui est pas mal, c’est qu’ils amènent des gens à pratiquer une activité et ensuite, quand ils sont davantage aguerris, ils viennent chez nous trouver le bon équipement », assure Aymeric de Rorthays. Même constat pour Pauline Boulet, journaliste indépendante spécialiste des sports de montagne : « J’ai souvent entendu dire que ce qui venait de chez Decathlon était bien pour une pratique amateur, mais manquait de technicité. »

« Au vieux », on se targue aussi de proposer des produits durables et de qualité, même si les prix sont plus élevés que dans la grande distribution. Par exemple, impossible de trouver en boutique la doudoune North Face à 99 €, qui a pourtant fait un carton cet hiver. « Cette version n’a pas une qualité à la hauteur de nos standards, assure le directeur général. Elle durera une ou deux saisons maximum, donc on a décidé de ne pas la commercialiser car cela ne correspond pas à ce que nos clients viennent chercher chez nous. Une vraie doudoune de chez North Face c’est 249 € environ », précise-t-il. Un atelier, situé en Normandie, répare aussi les produits abîmés.

L’importance de s’autofinancer

Le célèbre barbu a quand même connu des moments difficiles, notamment pendant la crise du Covid. « Ça nous a coûté 30 millions d’euros de chiffre d’affaires », explique Aymeric de Rorthays. Ils assurent ne pas avoir reçu d’aides de l’État, à part le chômage partiel. « Nous n’avions jamais les bons critères pour y avoir droit, et puis ce n’est pas dans notre culture d’aller chercher des aides. » Ils ont alors utilisé l’argent mis de côté et négocié les loyers.

L’entreprise tient farouchement à son indépendance et ne veut pas faire entrer d’actionnaire extérieur à son capital : « Ça serait trop de contraintes. L’avantage quand vous êtes 100 % propriétaire, c’est que si une année vous avez un moins bon rendement, vous pouvez juste dépenser moins, vous n’avez pas un train de vie à assumer » – comprendre : un actionnaire à rémunérer. Les deux petits-fils Rorthays étaient prédestinés à reprendre la boutique : « La question ne s’est jamais posée, ça s’est fait naturellement », assure le cadet.

Vogue du commerce indépendant

Mais cette indépendance financière implique aussi des sacrifices. Les investissements sont plus timides. En 2021, quand Au vieux campeur a décidé d’ouvrir une boutique dédiée aux mobilités urbaines, le choix a été fait de ne pas vendre de vélos et de se concentrer sur les équipements à destination des cyclistes. « C’est aussi du réalisme : ça nous coûterait très cher d’avoir un stock énorme comme celui qu’on a pour les autres produits, et ça ne serait pas viable financièrement avant très longtemps », explique Aymeric de Rorthays.

Pour l’instant, la recette marche. D’autant qu’il y a aussi « un ras-le-bol des grandes surfaces, décrypte la professeure de management des marques Nathalie Fleck. Tandis que ce côté commerce indépendant revient complètement au goût du jour ».

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Quatre-vingts ans de sports de plein air

1941.Création d’Au vieux campeur par Roger et Solange de Rorthays. Les premiers catalogues deviennent progressivement saisonniers et se parent du petit bonhomme barbu.

Années 1950.Nouvelles boutiques à Paris. Le catalogue passe à 100 pages illustrées.

1960-1970.Au vieux campeur accompagne le boom des sports d’hiver. Il est de ceux qui lancent le principe du « on vous rembourse la différence si vous trouvez moins cher ailleurs ». Jacques-Yves de Rorthays succède à son père Roger à la fin des années 1970.

Années 1980.Sur le logo, le barbu troque sa cigarette pour une marguerite. Première boutique hors de Paris, à Lyon.

Années 1990.La carte de fidélité fait son apparition.

Années 2000-2010.Le site Internet bondit avec 10 000 références.

Années 2020.L’enseigne ouvre en 2021 un espace au Printemps Haussmann (Paris), soit 46 boutiques dans 11 villes françaises : Paris, Lyon, Thonon-les-Bains, Sallanches, Toulouse, Strasbourg, Albertville, Marseille, Grenoble, Chambéry, Gap.
Printemps 2023. Ouverture prévue à Bordeaux.

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