À partir de ce lundi, la Russie est soumise à un embargo des Européens sur ses exportations de brut par la mer. Pour préserver sa manne pétrolière, elle pourrait contourner cette interdiction en suivant l’exemple du Venezuela et de l’Iran. Ces deux pays sous embargo pétrolier continuent à exporter par des voies détournées.
La République islamique est passée maître dans ce commerce clandestin. Il y a à peine une semaine, une importante cargaison de brut iranien (700 000 barils) a été déchargée dans le port syrien de Banias. Le bateau qui en assurait le transport avait été repéré et bloqué en Grèce par les autorités américaines. Il a fini par repartir vers sa destination finale sur une décision de la justice grecque. Les péripéties de ce tanker ne sont que la partie émergée de ces ventes occultes.
En théorie, le pétrole iranien n’est quasiment plus exportable depuis 2018 et 2019, années de l’embargo décrété par les États-Unis. En pratique, l’or noir continue de sortir du pays, jusqu’à un million de barils par jour ces derniers mois. Sur le moyen terme, les sanctions américaines ont au moins divisé par deux les exportations de brut iranien. Elles sont donc efficaces, mais pas totalement étanches.
Téhéran a constitué une flotte de pétroliers fantômes pour assurer les livraisons
Ce sont souvent des vieux bateaux, circulant parfois sans assurance. À l’abri des regards, au large de la Malaisie par exemple, les équipages mélangent des origines de pétrole, ou transbordent des cargaisons sur d’autres navires et falsifient les documents sur la marchandise. Des pratiques compliquées, coûteuses et qui ralentissent les échanges, mais qui parviennent à leur objectif. L’autre défi de ce commerce occulte pour l’Iran, interdit de toute transaction en dollar, est d’obtenir un paiement sur un marché fonctionnant avec la devise américaine. C’est là qu’interviennent les chambres de compensation iraniennes. Leur rôle est de convertir ces pétrodollars via un labyrinthe de sociétés écrans. Elles ont des filiales dans des pays bienveillants, comme la Chine -le principal destinataire de ce brut vendu sous le manteau-, la Turquie ou encore les Émirats arabes unis. Les banques occidentales refusent de financer de tels contrats par crainte des représailles américaines, mais elles peuvent être utilisées par les chambres de compensation iraniennes, à leur insu, ou par des sociétés écran non répertoriées par les services américains.
La Russie conserve le droit d’exporter son pétrole, en quoi sera-t-elle tentée d’imiter l’Iran ou le Venezuela ?
La Russie avait l’habitude de déléguer le transport de son brut à des sociétés de fret et d’assurances européennes, ce qui lui est maintenant interdit s’il dépasse le plafond des 60 dollars le baril. Elle a donc intérêt à recourir à cette flotte fantôme pour continuer à desservir les marchés européens par des voies détournées et éventuellement pour vendre son huile au-delà des 60 dollars, ce qui dépend aussi des conditions du marché et du bon vouloir des acheteurs.
L’Iran et le Venezuela disposent d’une flotte fantôme de 200 tankers, environ le tiers serait déjà au service de la Russie
Depuis cet été, le marché des tankers d’occasion s’est enflammé. De vieux navires ont vu leur prix doubler sous la pression d’une nouvelle demande, émanant sans doute d’acheteurs liés à la Russie. Et depuis le mois d’octobre, une partie des pétroliers basés jusqu’alors à Chypre et à Malte sont partis se faire enregistrer ailleurs, là où ils pourront continuer à convoyer du pétrole russe sans entrave, comme ils avaient coutume de le faire. On verra dans les prochaines semaines si les capacités de ce fret fantôme suffisent à couvrir les besoins de Moscou. Les experts en doutent. La Russie anticipe ce manque à gagner : hier, elle s’est dite prête à réduire sa production.