Condamnation de la Suisse pour inaction climatique: un jugement «sans précédent» à la portée mondiale

La CEDH ne s’était encore jamais prononcée sur la responsabilité des États en matière de changement climatique. Ce mardi, les magistrats ont estimé que la santé et la vie des Aînées pour le climat étaient menacées par le changement climatique. Ils ont jugé la Suisse coupable d’avoir violé l’article 8 sur le droit au respect de la vie privée et familiale et le paragraphe 1 de l’article 6 sur l’accès à un tribunal de la Convention européenne des droits de l’Homme. Ils ont aussi estimé que la Suisse n’avait pas réduit suffisamment ses émissions de gaz à effet de serre.

Suite à cette décision, les autorités helvètes vont devoir prendre des mesures, souligne Raphaël Mahaim, l’avocat des plaignantes. « La Cour a dit que la Suisse doit non seulement se doter d’un budget carbone mais aussi avoir des objectifs intermédiaires de réduction des gaz à effet de serre », selon elle.

L’Office fédéral de la justice, qui représente le gouvernement suisse devant la Cour, a indiqué qu’il prenait « acte de l’arrêt de la grande Chambre. Cet arrêt est définitif. Cet arrêt détaillé sera analysé avec les autorités concernées et les mesures que la Suisse doit prendre pour l’avenir seront examinées », a-t-il indiqué. Concrètement, Berne va devoir se doter d’outils législatifs et techniques pour limiter ses émissions de gaz à effet de serre, selon un calendrier compatible avec le respect de l’Accord de Paris.

Une portée mondiale

Si le verdict de la Cour concerne aujourd’hui uniquement la Suisse, il fait jurisprudence. Il pourra ainsi être invoqué pour obliger les 45 autres États signataires de la Convention européenne des droits de l’homme à revoir, eux aussi, leurs ambitions climatiques car avec ce jugement, la Cour reconnaît expressément que les grands objectifs pas détaillés ne suffisent plu. Les États doivent avoir un plan précis de réduction des émissions de gaz à effet de serre avec des objectifs chiffrés et cohérents avec le but à atteindre : limiter le réchauffement climatique à +2 degrés au pire.

« Beaucoup d’États membres du Conseil de l’Europe vont revoir leur politique au vu de cette décision et mettre en place, dès à présent, les changements nécessaires […] afin d’éviter des contentieux », estime Stéphanie Caligara, juriste à l’ONG Global Legal Action Network (Réseau mondial d’action juridique, GLAN).

À écouter aussiLa Suisse condamnée pour son inaction climatique : « C’est une décision historique »

Un constat partagé par l’ONG Greenpeace Suisse qui salue une décision « sans précédent ». « Tous ces États peuvent désormais être sollicités par leurs citoyens pour examiner leur politique climatique afin de garantir le respect des droits humains, en se basant sur cette jurisprudence de la CEDH », ajoute l’organisation. Cette décision a également une portée mondiale et l’ONG l’assure, elle va désormais, de concert avec l’association des Aînées pour le Climat, saisir de ces enjeux la Cour de justice internationale à La Haye.

« Un scandale »

Le premier parti helvétique, l’Union démocratique du centre (UDC), une formation de droite radicale, a exigé que la Suisse quitte le Conseil de l’Europe après sa condamnation. Dans un communiqué, l’UDC a affirmé que l’arrêt était « inacceptable » et constituait « un scandale ». « Les juges de Strasbourg n’ont même pas pris en compte le fait que la Suisse est exemplaire en matière de réduction des émissions de CO2. L’UDC condamne fermement cette ingérence de juges étrangers et demande le retrait de la Suisse du Conseil de l’Europe », a ajouté la formation politique.

L’UDC estime en revanche qu’« avec leur jugement d’aujourd’hui, les juges de Strasbourg se transforment en marionnettes d’activistes et ont maintenant définitivement perdu leur crédibilité. Leur ingérence effrontée dans la politique suisse est inacceptable pour un pays souverain », assène-t-il.

Qui sont les Aînées pour le climat qui ont fait plier la Suisse ?

Selon son site Internet, l’association, créée en 2016, compte « plus de 2500 membres et environ 1200 sympathisant·es ». Pour être membre, il faut être une femme âgée de 64 ans ou plus et être domiciliée en Suisse. L’âge moyen des membres est de 73 ans.

L’association compte exclusivement des femmes car « les femmes âgées sont extrêmement vulnérables aux effets de la chaleur », indique-t-elle.

L’association compte deux coprésidentes. Anne Mahrer est Genevoise. Bibliothécaire de métier, elle a toujours lutté pour la protection de l’environnement, au sein du mouvement antinucléaire d’abord, dans les années 1970, selon le Forum des cent personnalités qui font la Suisse, publié par l’hebdomadaire L’Illustré.  Elle a aussi été députée, au sein du parti des Verts.

Rosmarie Wydler-Wälti est conseillère d’éducation et conjugale à Bâle. Elle a été marquée par l’année « traumatisante » de 1986, avec la catastrophe nucléaire de Tchernobyl et l’incendie d’un hangar de produits chimiques près de Bâle, a-t-elle raconté dans un portrait publié par l’organisation des Suisses de l’étranger.

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