COP28: «La Terre ne nous appartient pas, nous appartenons à la Terre»

Le balai des leaders politiques a commencé en début d’après-midi dans la plénière. Une litanie de constats d’une planète à la dérive. Des morts forts, relatant les drames et défis nationaux. Des propos sincères sûrement, chez beaucoup. « Nous ne pouvons pas sauver une planète en feu avec une lance à incendie de combustibles fossiles », a déclaré Antonio Guterres, habité par le péril climatique et familier des phrases coup de poing. Le secrétaire général de l’ONU a demandé au G20, qui représente 80% des émissions mondiales, de prendre ses responsabilités. « Not reduce. Not abate. Phase Out (« Pas de réduction ; pas de diminution conditionnée au captage. Une sortie ».) La veille, le président de la COP28, Sultan Ahmed al-Jaber, avait au contraire apporté son soutien à un usage continu des énergies fossiles, plaidant pour une collaboration des pays avec les compagnies pétrolières pour trouver un terrain d’entente. À mots à peine couverts, la bataille est lancée.

♦ Il n’a pas ouvert le bal comme prévu, mais s’est exprimé. Le roi Charles III, connu pour ses convictions environnementales, a participé à sa première COP de monarque britannique. « Les records sont brisés si souvent que nous devenons insensibles à ce qu’ils nous disent », a-t-il déclaré. « Nous menons une expérience effrayante de changement de l’ensemble des conditions écologiques en même temps, à un rythme qui dépasse les capacités de la nature. » Il a plaidé pour une réforme de la finance mondiale adaptée aux nouveaux défis. « La Terre ne nous appartient pas, nous appartenons à la Terre », a conclu le roi.

Les Émirats lancent un fonds privé géant de 30 milliards de dollars pour la transition. C’est l’annonce faite par le président al-Jaber avant de déclarer ouverte la COP28. Hébergé par le gestionnaire de fonds Lunate, basé aux Émirats, Altérra a pour premiers partenaires le plus gros gestionnaire d’actifs au monde, BlackRock, ainsi que le gestionnaire d’actifs canadien Brookfield et l’américain TPG. Il sera dédié aux « solutions » et ambitionne d’atteindre 250 milliards d’ici 2030. La somme est aussi pharamineuse que les détails sur son fonctionnement sont maigres.

France et Kenya lancent une coalition en faveur d’une taxation internationale capable de lever les milliards de dollars dont les pays en développement ont besoin face au changement climatique. « Avec la Barbade, le Kenya et plusieurs autres, nous lançons une « task force internationale » qui devra rendre ses conclusions au G20 de Rio pour mettre en place une taxation internationale lors de la COP 30 » au Brésil en 2025 », a déclaré le président français Emmanuel Macron à Dubaï. Une conférence de presse doit détailler samedi cette initiative, évoquée depuis des années, mais qui s’est précisée depuis le sommet de Paris, en juin 2023. Le président français a également participé à un sommet finance aux côtés et a exhorté les pays riches du G7 mettre fin à l’utilisation du charbon d’ici 2030 pour « montrer l’exemple ».

« L’Afrique est prête à jouer pleinement son rôle dans la lutte contre le changement climatique… », a déclaré le président kényan William Ruto. Fort du succès du sommet de Nairobi, qui a abouti à un consensus des chefs d’États africains, Ruto a plaidé pour le triplement des énergies renouvelables pour sortir du charbon. Pour favoriser la transition énergétique, « il faut considérer l’opportunité que représente les crédits carbone et améliorer le stockage de CO2 », a relevé, pour sa part, le président du Mozambique, Felipe Nyusi. Point de vue partagé par le chef d’État zimbabwéen Emmerson Mnangagwa qui veut développer davantage le marché du carbone. La Namibie, quant à elle, propose de développer sa filière de l’hydrogène vert. Le Congo de Denis Sassou Nguesso insiste sur le rôle vital du bassin du Congo en tant que régulateur mondial du carbone.

Mer. Cinq des plus gros transporteurs maritimes mondiaux (sans le Chinois Cosco) ainsi que la France, la Corée du Sud et le Danemark, s’engagent à l’adoption « d’un cadre réglementaire solide » d’ici 2027 favorisant la transition écologique du secteur. Engagés à réduire leurs émissions de 30% par rapport à 2008, soit au-delà des objectifs de 20% fixés par l’Organisation maritime internationale. Une telle coalition est inédite.

Alimentation. 134 pays, produisant 70% de la nourriture du monde, se sont engagés à donner la priorité à l’alimentation et à l’agriculture dans leurs plans nationaux de lutte contre le changement climatique, dans une déclaration initiée par les Émirats arabes unis. Y figurent notamment les États-Unis, l’Union européenne, la Chine et le Brésil. Ces pays soutiendront les agriculteurs et les autres producteurs de denrées alimentaires vulnérables, notamment en augmentant les financements, en renforçant les infrastructures et en développant des systèmes d’alerte précoce, promet le texte. Pour Elizabeth Nsimadala, présidente de la fédération des agriculteurs d’Afrique de l’Est (25 millions de petits exploitants), cette déclaration est « le coup de feu de la transformation du système alimentaire ». Il reconnait que les 439 millions de petites exploitations familiales sont « la clé du changement requis ». « C’est un pas décisif », a réagi Esther Penunia, secrétaire générale de l’organisation des agriculteurs asiatique pour le développement durable (13 millions de membres). « Mais le réel travail commence. Les gouvernements doivent travailler au côté des réseaux de paysans pour s’assurer que les promesses de Dubaï se traduisent en politiques concrètes et financées. »

Le conflit israélo-palestinien plane dans la plénière. Le président israélien Isaac Herzog, s’est déplacé à Dubaï pour plaider auprès d’homologues la libération des otages encore détenus dans la bande de Gaza. Mais il est reparti avant son discours. La délégation iranienne a, elle aussi, quitté la COP28 pour protester contre la présence des Israéliens.

La Turquie candidate pour la COP31 en 2026. Le président turc Recep Tayyip Erdogan l’a annoncé lors de son discours. Ankara entre ainsi en compétition avec l’Australie.

Le fonds pertes et dommages, opérationnalisé en fanfare ce jeudi, est désormais doté de 700 millions de dollars, contre un peu plus de 400 hier.

♦ Un document de travail en vue de l’accord final a déjà été publié vendredi matin et propose aux pays de se prononcer sur une « réduction » ou une « sortie » des énergies fossiles. Sans doute le paragraphe qui sera le plus vivement débattu ces prochains jours.

L’IMAGE DU JOUR

Le ministre des Énergies des Émirats arabes unis, Sultan Ahmed al-Jaber, a ouvert vendredi 30 novembre le sommet des chefs d'États qui lance douze jours de négociations climatiques : la COP28 qu’il préside, une conférence climat jugée critique pour accélérer la transition vers un monde décarbonné. En réussissant à faire adopter un fonds d'aide aux pays les plus touchés par les phénomènes extrêmes et souvent les plus pauvres, il a remporté une victoire symbolique. Mais il sait que le répit sera de courte durée et que le plus dur l'attend : patron d'une grande compagnie pétrolière, il va devoir arbitrer contre les intérêts de son secteur s'il souhaite que « sa » COP s’achève sur ce que la science recommande : une fin programmée des énergies fossiles. Une position extrêmement controversée et a priori schizophrénique.
Le ministre des Énergies des Émirats arabes unis, Sultan Ahmed al-Jaber, a ouvert vendredi 30 novembre le sommet des chefs d’États qui lance douze jours de négociations climatiques : la COP28 qu’il préside, une conférence climat jugée critique pour accélérer la transition vers un monde décarbonné. En réussissant à faire adopter un fonds d’aide aux pays les plus touchés par les phénomènes extrêmes et souvent les plus pauvres, il a remporté une victoire symbolique. Mais il sait que le répit sera de courte durée et que le plus dur l’attend : patron d’une grande compagnie pétrolière, il va devoir arbitrer contre les intérêts de son secteur s’il souhaite que « sa » COP s’achève sur ce que la science recommande : une fin programmée des énergies fossiles. Une position extrêmement controversée et a priori schizophrénique. © Géraud Bosman-Delzons/RFI

GOOD COP / BAD COP. Carton « Rouge Brésil » ?

Le Brésil s’apprête à rejoindre le groupe des pays pétroliers.

Le carton sera-t-il rouge ou vert pour le président brésilien Lula da Silva ? Le gardien en chef de la forêt amazonienne est mondialement salué pour son engagement en faveur de ce grand puits de carbone naturel, gigantesque havre de biodiversité. Et les chiffres de son début de mandat l’attestent : la déforestation est en recul – côté amazonien du moins, car la destruction de la savane du Cerrado, elle, s’accélère. Ce vendredi, il était parmi les premiers de ses homologues à s’exprimer à la tribune de la COP28. « La Terre en a ras-le-bol des accords sur le climat qui ne sont pas respectés », a tonné ce leader historique de la gauche, qui accueillera la COP30 dans deux ans. L’urgence climatique est une réalité au Brésil, a-t-il dit, vantant que Brasilia a une stratégie climat ambitieuse par rapport aux pays les plus polluants…

Mais voilà : derrière les projecteurs médiatiques, d’autres priorités difficilement conciliables coexistent. Mercredi, le président Lula avait rencontré l’émir du Qatar et a salué son potentiel d’investissements dans des projets d’exploration de pétrole au Brésil. Puis, jeudi 30 novembre, jour de l’ouverture de la COP, le ministre de l’Énergie brésilien s’est dit impatient de rejoindre l’Opep+, l’Organisation des pays producteurs de pétrole. La présidence brésilienne a confirmé jeudi avoir l’invitation, mais n’a pas encore répondu. La plus grande puissance pétrolière d’Amérique du Sud, avec ses 4,6 millions de barils par jour (contre 3,5 pour les Émirats, par exemple) pourrait rejoindre les pays du Golfe et la Russie dès janvier. Les cinq pays accueillant les plus gros volumes attendus de production de gaz et pétrole (en millions d’équivalents barils de pétrole) sont le Qatar (17%), l’Arabie saoudite (13%), le Brésil (10%), les États-Unis (8%) et les Émirats arabes unis (6%).

Le Brésil a longtemps tergiversé sur la question. Il y a plus d’une décennie, le même Lula, déjà aux affaires, avait refusé d’intégrer l’Opep. Décidément, les temps changent.

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