Depuis une dizaine de jours, la Corée du Nord s’exerce à une démonstration de force. Huit missiles balistiques tirés en deux semaines, dont un au-dessus du Japon, douze avions de combat défilant dans le ciel… En riposte, la Corée du Sud et les États-Unis serrent la vis et n’hésitent pas à répondre militairement aux provocations de Pyongyang. Un bras de fer politique habituel, qui permet à la Corée du Nord d’étaler ses capacités militaires pour s’imposer comme une force crédible.
La course à l’armement de la Corée du Nord est clairement en phase d’accélération. Depuis le début de l’année, « trente essais de missiles balistiques ont été lancés par Pyongyang », dénombre Antoine Bondaz, directeur du programme Corée à la Fondation pour la recherche stratégique et enseignant à Sciences Po. Un record de tests qui continue de se poursuivre, puisque la Corée du Nord a de nouveau projeté deux missiles à courte portée jeudi 6 octobre en direction de la mer du Japon, deux jours après l’envoi d’un missile de type Hwasong-12 (à portée intermédiaire) qui a survolé l’île nippone et provoqué le signal d’alerte dans deux régions du nord. Et deux autres missiles balistiques tirés dans la nuit de samedi à dimanche 9 octobre, a annoncé l’armée sud-coréenne, citée par l’agence de presse Yonhap.
En face, Washington, Tokyo et Séoul y voient une provocation claire, « absolument inacceptable » d’après le Premier ministre japonais Fumio Kishida. Les deux camps s’opposent dans un bras de fer militaire maintenant récurrent. Mais selon Antoine Bondaz, les tests de missiles perpétrés par la Corée du Nord ne sont pas sans précédent. Pour lui, cette escalade militaire reste « pour l’instant, une situation connue puisqu’il y a déjà eu de nombreux cycles de tensions dans la péninsule coréenne par le passé ».
Ces tensions cycliques permettent à Pyongyang de continuer à développer son arsenal défensif, et « d’envoyer un message politique qui dit : « Nous avons des capacités de dissuasion et des moyens de pression pour peser contre les autres pays » », soutient Théo Clément, consultant international et doctorant sur le sujet de la Corée du Nord.
Des capacités militaires en plein essor
Des moyens de pression militaires, et une panoplie défensive qui s’est fortement étendue sous l’ère Kim Jong-un, depuis 2011. « Le nombre de tests de missile ne fait qu’augmenter. On en compte 170 depuis son arrivée au pouvoir, alors que sous son père, Kim Jong-il, il n’y a eu qu’une quinzaine d’essais en quinze ans », signale Antoine Bondaz.
Cependant, la gamme d’armement nord-coréenne est en réalité très difficile à quantifier, faute de source précise. « Grâce à la télémétrie, on a une idée relative des trajectoires que leurs missiles peuvent parcourir, et on calcule à peu près la charge qu’ils peuvent transporter. Mais on ne sait pas exactement ce que le pays retire de ces tests, s’ils récupèrent des données pour savoir quoi améliorer. On ne connaît pas non plus le nombre exact des missiles », s’interroge Théo Clément.
Ce que l’on sait, c’est que la Corée du Nord a développé son arsenal militaire autour des armes non-conventionnelles (nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques), avec l’accent largement mis sur le nucléaire. « Le pays est extrêmement avancé sur ses capacités nucléaires et balistiques. Le développement de ses missiles relève de la prouesse technologique », souligne le doctorant. Son statut de puissance nucléaire, inscrit jusque dans sa Constitution en 2012, a d’ailleurs été déclaré par Kim Jong-un comme « irréversible » en septembre.
En contrepartie, son armement conventionnel, ses tanks, fusils et les armes utilisées par l’infanterie sont « très vieillissants, voire obsolètes et ont des dizaines d’années de retard », d’après Théo Clément. Pour pallier ce retard, la Corée du Nord a donc fait le choix de se concentrer sur les éléments les plus dissuasifs, aussi pour rattraper sa voisine, la Corée du Sud. « Le Nord a avant tout investi dans des capacités asymétriques, dans le sens où il y a un fossé très fort entre la Corée du Sud et la Corée du Nord au niveau des armes conventionnelles. Séoul dépense beaucoup plus en armement que Pyongyang, et elle a des équipements bien plus nombreux et modernes. De son point de vue, le Nord essaie donc de rétablir une forme d’équilibre militaire », explique Antoine Bondaz.
Des essais balistiques habituels et cycliques
Mais faut-il s’inquiéter pour autant de cette période d’escalade dans la péninsule coréenne ? Pour les deux spécialistes, les tests de missiles répétés s’inscrivent en réalité dans la continuité de la campagne d’essais militaires de Pyongyang. « Il y a déjà eu plusieurs épisodes d’essais cette année, et s’ils sont rapprochés dans le temps, c’est pour des raisons essentiellement géopolitiques, avec la visite de Kamala Harris à Séoul, les exercices militaires joints de Washington, Séoul et Tokyo… Mais il ne faut pas non plus y voir quelque chose d’inouï », assure Théo Clément.
Plutôt que la menace d’une prochaine attaque, il s’agit d’une démonstration de force pour prouver sa crédibilité. « La Corée du Nord continue de développer son arsenal pour rendre sa dissuasion nucléaire et ses capacités conventionnelles davantage crédibles », souligne Antoine Bondaz. Pour lui, une escalade militaire avec la dictature coréenne est toujours cyclique : d’abord une période de tensions où le pays essaie d’établir un rapport de force positif, avant de pouvoir potentiellement discuter, le plus souvent par des dialogues indirects via certains États intermédiaires, comme la Suède en 2017. Enfin, une phase de négociations et de possibles concessions. « Pour l’instant, on en est loin. On est en plein dans la période de rapport de force. »
Montrer sa puissance contre l’ennemi
La Corée du Nord entretient une position presque paranoïaque vis-à-vis du reste de la planète, d’après Théo Clément. « Pyongyang fait beaucoup d’efforts pour se montrer très puissante, mais c’est plus, à mon sens, le fruit d’une posture de faiblesse. Une façon de montrer que si on est attaqué, on peut se défendre. Les Nord-Coréens vivent dans l’idée que la sécurité du pays ne tient qu’à un fil, la propagande leur martèle que les Américains sont à deux doigts d’attaquer. Il y a une situation miroir où, ce qu’on projette sur la Corée du Nord dans les médias et les discours politiques, elle le projette elle-même sur le reste du monde. »
Les deux experts s’accordent donc à penser que ces missiles servent plutôt à Kim Jong-un pour s’imposer à la table des discussions internationales, et être pris au sérieux. « L’idée est de rappeler au monde qu’il existe, car on parle finalement peu de la Corée du Nord depuis le début du mandat de Joe Biden. On en parle que lorsqu’il y a des tests de missiles ou des grands événements qui sont mis en scène », indique le chercheur. Et ça, Théo Clément l’a bien compris.
Un contexte favorable aux essais de missile
Bénéficier de l’attention, mais aussi des tensions géopolitiques. Du fait du contexte international, une fenêtre d’opportunité s’est largement ouverte à la Corée du Nord, pour mener ses tests balistiques sans trop de perturbations. « Il y a trois facteurs qui ont profité à Pyongyang, énumère Antoine Bondaz. La banalisation, puisqu’on a tendance à s’être habitué à ces essais balistiques. La distraction, comme tous les yeux sont braqués vers l’Ukraine. Puis la désunion, de plus en plus forte au sein de la communauté internationale. » Pour cause, la Chine et la Russie ont mis leur véto sur un projet de résolution du Conseil de sécurité condamnant la Corée du Nord en mai dernier, alors que les sanctions faisaient encore l’unanimité en 2017.
Pyongyang teste ainsi le seuil de tolérance des États-Unis et de la Corée du Sud, et profite de ces périodes de tensions à des fins opportunistes, commerciales et financières. D’après les services secrets américains, la Russie recevrait des armes et du matériel militaire de la Corée du Nord, ce que le pays dément. Si véridique, cette importation serait fermement condamnée par l’ONU. « La Corée du Nord joue la proximité avec la Russie pour des raisons ni idéologiques, ni stratégiques, mais bien pour contourner les sanctions plus facilement, là où ces sanctions internationales empêchent quasiment 97% des exportations nord-coréennes », argue Théo Clément.
Le pays viole donc en toute impunité ses engagements et les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, face à une communauté internationale presque impuissante. Après les missiles balistiques tirés cette semaine, Séoul et Washington s’attendent à ce que la Corée du Nord lance prochainement un nouvel essai nucléaire, elle qui ne renoncera jamais à sa possession de la bombe atomique.