Écologie: le militant Paul Watson reste en détention au Groenland, suspendu à une éventuelle extradition au Japon

Paul Watson restera 28 jours de plus dans sa cellule de Nuuk, au Groenland, en attendant que le ministère danois de la Justice tranche sur la demande d’extradition du Japon. C’est ce qu’a décidé un juge de la Haute Cour du territoire danois autonome mercredi 4 septembre. La prochaine audience a été fixée au 2 octobre. Ce sera la troisième depuis l’arrestation du militant, connu pour ses campagnes anti-baleinières qu’il mène depuis cinquante ans contre les navires japonais. « C’est une mascarade juridique et un scandale politique », a réagi le militant écologiste en sortant du tribunal, avant d’ajouter : « Ils refusent de regarder les preuves. S’ils les regardaient, je serais disculpé. »

« Le juge s’entête à refuser de visionner les éléments de preuves qu’on a à disposition qui permettent d’innocenter Paul Watson. C’est surréaliste », a renchéri Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, dans l’émission C’est pas du vent, en direct sur RFI juste après l’audience. Selon cette fidèle alliée de l’activiste de 73 ans, « le juge dit que ce n’est pas à la Cour groenlandaise de décider de l’extradition, et que tant qu’il n’y a pas de décision d’extradition, Paul doit être maintenu en détention, et que donc les preuves ne sont pas utiles. Mais c’est quand même à cette cour de décider du maintien en détention de Paul Watson, et que ces preuves peuvent permettre sa libération. Tout cela n’a pas de sens. On est dans la violation des droits de Paul. On est dans un simulacre de justice. » Les avocats ont fait appel de cette décision devant la Haute Cour du Groenland.

Paul Watson a été arrêté le 21 juillet à Nuuk, capitale du territoire danois autonome, en vertu d’une demande d’extradition du Japon, émise en 2012 via une notice rouge d’Interpol. Tokyo l’accuse de conspiration d’abordage, d’obstruction aux affaires et de blessures envers un marin à bord d’un navire harponneur de baleine, lors d’un accrochage en Antarctique en 2010, un sanctuaire pour les baleines. Il avait été arrêté une première fois en Allemagne en 2012, d’où il s’était échappé.

Mais les faits sont contestés par Sea Shepherd France, l’ONG de protection de l’océan et des animaux marins que Watson a créée en 1977.

« Contraire aux valeurs européennes »

À Paris, un rassemblement de soutien a été organisé à midi le 4 septembre, peu avant l’audience. Des images diffusées en direct sur grand écran ont montré Paul Watson arrivant au tribunal. Sur le parterre d’une centaine de personnes, un certain nombre étaient vêtues du t-shirt noir et du célèbre logo pirate de l’ONG, ou portaient des pancartes avec l’effigie du personnage.

Dans ce qui était aussi une opération de communication bien réalisée, Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, est apparue en live sur grand écran pour commenter la situation judiciaire de Paul Watson, depuis Nuuk.
Dans ce qui était aussi une opération de communication bien réalisée, Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, est apparue en live sur grand écran pour commenter la situation judiciaire de Paul Watson, depuis Nuuk. © GBD/RFI

Je trouve ça très inquiétant que, même sur quelqu’un qui a la notoriété de Paul Watson, on puisse être dans un tel simulacre de justice. C’est effrayant pour tous les lanceurs d’alerte et les activistes.

L’événement était organisé par l’association Canopée et un média indépendant en ligne, Vakita, lancé par le journaliste Hugo Clément à l’origine de la pétition de soutien à Paul Watson, qui a réuni plus de 767 000 signatures. Plusieurs personnalités étaient au rendez-vous : Cyril Dion, réalisateur et ancien membre de la Convention citoyenne pour le climat, l’animateur Nagui, la militante Camille Etienne ou encore le président de la Fondation Brigitte Bardot de défense des animaux, Christophe Marie.

Annoncé, le secrétaire d’État chargé de la Mer et de la Biodiversité, Hervé Berville, a dû annuler pour partir à Calais, après le naufrage mortel d’un bateau de migrants. Sa représentante, Anne-Sophie Roux, a rappelé qu’« il y a un consensus scientifique très clair sur le fait qu’on a besoin d’un océan et des populations de baleines en bonne santé si l’on veut maintenir des conditions de vie habitables sur cette planète. Paul Watson est un symbole de la protection de l’océan, dont le combat nous concerne tous. En 2024, on ne peut pas considérer que protéger les baleines est un crime ».

Dans ce dossier aussi politique que judiciaire, Paris a entamé une défense diplomatique de Paul Watson, qui résidait en France depuis un an, en demandant à Copenhague de ne pas l’extrader. Présente également, l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint, juriste en droit international de l’environnement : « C’est contraire aux valeurs européennes que d’extrader un lanceur d’alerte, défenseur du vivant, dans un contexte où ces défenseurs sont de plus en plus en danger à travers la planète. La criminalité environnementale qui explose le plus, ce n’est pas ce dont se rendrait coupable Paul Watson, mais le Japon. On est dans un moment où l’on a besoin d’une intervention politique pour prévenir les atteintes fondamentales aux libertés humaines. »

« Je pense que s’il était extradé au Japon, non seulement il n’aurait pas de procès équitable, mais il pourrait finir ses jours dans les prisons de ce pays, et nous ne pouvons pas l’accepter », a prévenu François Zimeray, l’un de ses avocats, dans un témoignage enregistré face caméra depuis le Groenland.

Guerre des images

Ce 4 septembre, l’ancien harponneur Shintaro Takeda, présent à bord du baleinier en 2010, a confié à l’AFP à Tokyo que les militants de Sea Shepherd avaient « essayé d’entraver notre hélice de cordes, et tout un tas de choses comme ça », ajoutant : « Le bateau de Sea Shepherd a enfoncé le Shonan Maru 2 et a coulé. Personne n’est mort, mais ce n’est pas passé loin. » L’ancien pêcheur fait référence à l’Ady Gil, une embarcation hi-tech, mais frêle à côté du navire nippon, alors propriété d’un militant néo-zélandais de Sea Shepherd.

De son côté, dans une vidéo d’une dizaine de minutes tournée à Nuuk, Lamya Essemlali est revenue en détail sur les trois chefs d’accusations qu’elle s’est employée à démonter. « Ce qui a déclenché toute cette affaire, c’est l’éperonnage de l’Ady Gil par le Shonan Maru 2 qui a percuté la proue de l’Ady Gil… », commence-t-elle, tandis que sont projetées des images de Sea Shepherd, où l’on voit le baleinier japonais virer de bord et détruire l’embarcation. Un épisode violent et rare dans le milieu maritime.

Elle a également battu en brèche les accusations de blessures au jet d’acide byturique (boule puante) dont serait co-responsable Watson – celui-ci n’était même pas à bord, a-t-elle répété –, affirmant, avec force images d’archives, que c’est le propre gaz lacrymogène envoyé par l’équipage japonais qui se serait retourné contre lui. « Le juge a accepté de visionner les images des Japonais, mais a refusé de visionner les nôtres », a regretté Lamya Essemlali. Elle a annoncé que celles de l’ONG seraient bien mises en ligne sur un site internet dédié à l’affaire. Une nouvelle guerre, des images cette fois, est engagée entre Sea Shepherd et le Japon, par l’entremise de la justice danoise.

Mais pour François Zimeray, « la vraie raison » de la traque de Paul Watson va au-delà de ces faits vieux de quinze ans : « C’est qu’il a toute sa vie dénoncé les pratiques illégales, notamment de ce pays, et qu’en le défiant, il lui a fait perdre la face, et c’est de cela qu’il ne sera jamais pardonné », a-t-il déclaré. Depuis 1977, Paul Watson livre une bataille de longue haleine contre les navires baleiniers du Japon, l’un des trois derniers pays à poursuivre la chasse au mammifère marin, malgré un moratoire en vigueur depuis 1986 pour le protéger.

À lire aussiLe Japon demande l’extradition du défenseur des baleines Paul Watson et annonce qu’il va chasser un nouveau cétacé

Les reporters de Vakita avaient pu rencontrer Paul Watson dans sa cellule, au lendemain de la seconde audience, le 16 août. Le militant, personnage controversé et contesté pour cela jusque dans son propre camp, a défendu sa « stratégie de non-violence agressive » : « Intervenir de manière agressive, mais en veillant à ne pas blesser qui que ce soit. Et nous n’avons jamais blessé une seule personne. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger la vie, biodiversité et l’interdépendance dans l’océan. Si nous ne le faisons pas, nous ne survivrons pas. »

Depuis sa cellule, le marin peut observer le fjord et apercevoir, peut-être, ses protégées. « Tant que je serais là (en prison à Nuuk, ndlr), les gens parleront de ce que fait le Japon en tuant illégalement des baleines, et de la cruauté de la chasse à la baleine (…) Je serais extrêmement surpris si le Danemark m’extradait vers le Japon. Pourquoi un pays qui a un bilan incroyable en matière de respect des droits de l’homme m’enverrait-il dans un pays qui a un bilan épouvantable dans ce domaine et une justice médiévale ? »

Bête noire du Japon, Paul Watson en est une aussi pour le Danemark, où des massacres de dauphins ont lieu chaque année, sous la protection des autorités.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *