En Argentine, des électeurs résignés votent pour élire leur prochain président

Les bureaux de vote ont fermé en Argentine à 18h heure locale (21h TU, 23h heure de Paris) pour les élections générales, pendant lesquelles les Argentins choisiront également leur futur président. Les premières tendances ne sont attendues qu’à 23h heure locale (2h TU), rapporte notre correspondant à Buenos Aires, Théo Conscience.

D’un côté, Javier Milei, un économiste ultralibéral, « dégagiste », qui veut « tronçonner » l’État et dollariser l’économie. De l’autre, Patricia Bullrich, une ex-ministre de droite qui promet une « main dure » contre « grévistes professionnels » et délinquance. Et Sergio Massa, un ministre de l’Économie (centre-gauche) à la lutte contre une inflation record et un taux de pauvreté de plus de 40 %, qui jure que « le pire est [bientôt] passé ».

Avec environ 35 % des intentions de vote selon les derniers sondages, Javier Milei est presque assuré d’arriver en tête et de passer au second tour. Il répète même à l’envi qu’une victoire dès ce dimanche soir est possible. Les sondages l’avaient, il est vrai, largement sous-estimé lors des primaires obligatoires mi-août, et le système électoral argentin permet à un candidat de l’emporter dès le premier tour s’il obtient 45 % des suffrages, ou 40 % avec au moins 10 points d’avance sur son premier concurrent.

Derrière lui, Sergio Massa et Patricia Bullrich sont crédités d’environ 30 % des intentions de vote et se disputent une place pour le second tour, avec un avantage de quelques points pour le premier.

La pole position de Javier Milei montre la résignation de beaucoup d’électeurs face à plus de dix ans de stagnation économique. Elle traduit aussi la désaffection pour les deux grands blocs qui dominent la politique depuis 20 ans : une coalition péroniste (centre-gauche), au pouvoir de 2003 à 2015 puis, depuis 2019, avec le président sortant Alberto Fernandez, et un bloc de centre-droit qui gouverna de 2015 à 2019 avec Mauricio Macri.

Le vote des femmes déterminant

Le vote des femmes aura une importance toute particulière dans ce scrutin. Javier Milei, aussi ultra-conservateur sur les questions sociétales qu’ultralibéral économiquement, s’est dit opposé au droit à l’avortement. Or la légalisation de l’IVG a été obtenue de haute lutte par le mouvement féministe il y a trois ans seulement.

« C’est un fou ! Mais je ne pense pas que cela arrivera. Parce que s’il l’osait, il aurait un gros problème, un gros problème social avec des femmes ! Il y aurait beaucoup de manifestations ! », estime Natalia Perez, 19 ans, quand on lui pose la question de savoir si Javier Milei pourrait en effet tenter de revenir sur le droit à l’avortement en Argentine en cas d’élection.

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Pour Ruth Zurbriggen, membre du mouvement féministe la Revuelta dans la province de Neuquén, la problématique se pose autrement. Elle constate que ce sont avant tout des hommes, de jeunes hommes, qui sont attirés par Javier Milei : « Son programme est profondément antiféministe. Le mouvement féministe en Argentine a provoqué un changement des mœurs sur les points cruciaux de la vie quotidienne. Or mettre les hommes dans une position où ils ne peuvent désormais plus faire ce qu’ils veulent, c’est leur enlever leur pouvoir. Donc, je crois que cette adhésion à Milei est une vengeance ». Javier Milei estime que « la femme a le droit de décider de son corps, mais que l’enfant qu’elle porte n’est pas son corps », ajoute-t-elle.

Affiche de campagne du candidat de centre-gauche, l'actuel ministre de l'Économie, Sergio Massa, à Buenos Aires, le 19 octobre 2023.
Affiche de campagne du candidat de centre-gauche, l’actuel ministre de l’Économie, Sergio Massa, à Buenos Aires, le 19 octobre 2023. AP – Natacha Pisarenko

Rien n’est encore joué. Mais le favori des sondages y croit. À l’issue d’une campagne éreintante marquée par les surenchères du candidat populiste, les milieux économiques, inquiets, aspirent eux à un retour à l’ordre qui pourrait profiter à la candidate de droite.

Quelle que soit l’issue du scrutin, les lendemains inquiètent les Argentins. La « dollarisation » prônée par Milei a été décriée dans un manifeste par 170 économistes de divers bords, comme un « mirage » au périlleux coût social et inflationniste.

La continuité, avec Massa, n’augure pas d’échappatoire rapide à l’inflation, mais d’ajustements au mieux graduels, sous la pression du Fonds monétaire international (FMI), dans une économie historiquement sur-subventionnée et en déficit budgétaire pathologique. Et Bullrich, avec le libéral Macri dans son ombre, évoque le souvenir d’une (autre) crise en 2018-2019, quand le pays a dû contracter auprès du FMI un colossal prêt de 44 milliards de dollars, qu’il peine à ce jour à rembourser.

Javier Milei a multiplié les annonces chocs durant cette campagne présidentielle. L’une de ses propositions a créé un vif débat au sein de l’opinion publique : celle de créer un système de « chèques éducation » à la place du traditionnel système d’éducation publique, rapporte notre envoyée spéciale, Stefanie Schüler. Selon l’idée du candidat, ces « chèques éducation » sont une subvention accordée aux familles, grâce à laquelle elles pourront ensuite payer l’établissement de leur choix.

Si Milei était élu président, l’ensemble des établissements publics en Argentine serait rendu payant. Ce serait le cas notamment de l’université nationale de Comahue, dans la province de Neuguén. Une perspective que Francisco Bernan, étudiant en première année, considère d’un bon œil. « J’ai fait toute ma scolarité dans les écoles publiques. Et il y a d’énormes problèmes. Par exemple : au collège et lycée, je n’ai pratiquement pas eu de cours à cause du manque d’eau dans les toilettes. Quand les toilettes sont hors service, il n’y a pas de cours. Je pense qu’en appliquant le modèle des chèques que propose Milei, la qualité de l’éducation s’améliorera », estime-t-il.

Les syndicats d’enseignants sont en revanche vent debout. « Ces chèques éducation ne sont rien d’autre qu’un euphémisme très intelligent. Ça permet à Milei de ne pas dire haut et fort qu’il va privatiser l’éducation publique. C’est un danger : il veut faire d’un droit une marchandise », dénonce Sylvia Brouchu, professeure d’histoire.

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