États-Unis: excuses historiques de Joe Biden pour les sévices dans les pensionnats pour Natifs américains

« Je m'excuse formellement, en tant que président des États-Unis, pour ce que nous avons fait », a déclaré Joe Biden depuis la réserve amérindienne de Gila River, en Arizona, le 25 octobre 2024.
« Je m’excuse formellement, en tant que président des États-Unis, pour ce que nous avons fait », a déclaré Joe Biden depuis la réserve amérindienne de Gila River, en Arizona, le 25 octobre 2024. © Getty Images via AFP – REBECCA NOBLE

C’est dans une réserve amérindienne d’Arizona, celle de Gila River, que Joe Biden a présenté des excuses historiques. Les mots sont forts, il a parlé d’« un pêché qui entache notre âme », « de l’un des chapitres les plus horribles de l’histoire américaine » et a ajouté « la douleur causée sera toujours une marque de honte importante, une tâche dans l’histoire américaine. » Des excuses qui surviennent à quelques jours de l’élection présidentielle du 5 novembre. L’Arizona étant un État-clé où la communauté amérindienne est très nombreuse.

« Je m’excuse formellement, en tant que président des États-Unis, pour ce que nous avons fait », a déclaré Joe Biden. Mais de quel crime parle-t-il ?

De 1819 à 1969, c’est au moins 18 624 enfants natifs américains – des chiffres parcellaires puisqu’ils se concentrent sur les pensionnats fédéraux – qui ont été placés dans des pensionnats, souvent arrachés à leurs parents. En ces lieux, sévices corporels, sexuels, annihilation de la culture et même mort. Joe Biden le rappelle dans son discours, certains enfants natifs américains, arrachés dès leurs 4 ans à leurs parents, étaient « contraints à des travaux forcés, certains adoptés sans le consentement de leurs parents biologiques, d’autres laissés pour morts et enterrés dans des tombes anonymes. »

Des tombes d’enfants ont été retrouvées dans près de 65 écoles, et c’est au moins 973 enfants natifs américains qui sont décédés dans ces pensionnats – des chiffres sans doute sous-estimés. Ces données ressortent d’un rapport gouvernemental en deux parties, publié en 2022 et 2024, sous l’impulsion de la ministre de l’Intérieur, Deb Haaland, la première ministre native américaine du pays.

« Leurs noms étaient littéralement effacés, remplacés par un numéro »

Toujours selon le rapport gouvernemental, le système des pensionnats fédéraux a déployé des « méthodes militaires et d’altération de l’identité » pour « assimiler » les Natifs Américains.

À leur arrivée à l’école, « les enfants étaient déshabillés, leurs cheveux, qu’on leur disait sacrés, étaient coupés. Leurs noms étaient littéralement effacés, remplacés par un numéro ou un nom anglais », insiste Joe Biden. La ministre de l’Intérieur Deb Haaland témoigne elle-même du traumatisme qu’on fait peser ces pensionnats sur sa famille.

Les exactions commises par les différents gouvernements américains sont à situer dans une politique plus large de violations à l’encontre des peuples natifs américains et d’une politique dite d’« assimilation ».

Les propos du fondateur de la tristement célèbre École industrielle indienne de Carlisle, un pensionnat ouvert en 1879 en Pennsylvanie, éclaire l’idéologie derrière la mise en place de ces pensionnats. « Un grand général a dit que le seul bon Indien est celui qui est mort […] Dans un sens, je suis d’accord avec ce sentiment, mais seulement sur ce point : […] Tuez l’Indien pour sauver l’homme », estimait Richard H. Pratt.

Une « guerre contre les enfants »

L’objectif pour les pensionnats était ainsi défini : écraser et effacer la culture, l’identité, les liens familiaux et communautaires des Natifs américains. Parler sa langue, pratiquer sa religion était puni, entre autres, via des sévices corporels, comme l’indique le rapport gouvernemental.

Ben Sherman, de la nation Sioux Oglala, un ancien ingénieur dans l’aéronautique, placé enfant dans un pensionnat à Pine Ridge dans le Dakota du Sud, parle d’une « guerre contre les enfants ». Il affirme : « N’essayez pas de me dire que ce n’était pas un génocide. Ils [le gouvernement] s’en sont pris à notre langage, notre culture, nos liens familiaux, nos terres. Ils ont réussi à presque tous les niveaux », relate un article du New York Times. Aussi, la mise en place des pensionnats faisait partie d’une politique plus large, celle de l’appropriation par les États-Unis des terres des peuples autochtones, comme le note le rapport gouvernemental.

Un traumatisme transgénérationnel

Si les pensionnats fédéraux ont mis un terme à ces pratiques à la fin des années 1960, les conséquences sont encore tangibles parmi les populations natives américaines. Ceux que l’on appelle les survivants des pensionnats souffrent encore de problèmes de santé graves.

Selon The Indigenous Foundation, une organisation de défense des peuples natifs américains, pour les survivants des pensionnats, « les problèmes de santé mentale, tels que l’anxiété, la dépression, une mauvaise estime de soi, le manque d’identité culturelle et le développement de stéréotype négatif (par exemple, que les personnes natives américaines seraient alcooliques ou paresseuses) perdurent et ces expériences traumatisantes sont transmises de génération en génération ».

Et les nouvelles générations, qui n’ont pas connu les pensionnats, sont plus susceptibles d’avoir des problèmes à l’école. Toujours selon The Indigenous foundation, les élèves natifs américains ont deux fois plus de risque d’abandonner le lycée que les autres élèves, 1,5 fois plus de risque de mourir par homicide ou suicide, et 1,4 fois plus de risque d’être renvoyés.

« Conserver notre droit en tant que peuple à être Indien »

Madonna Thunder Hawk, née dans le Dakota du Sud dans la réserve Yankton Sioux, est une figure du militantisme natif américain. Dans les années 1970, elle s’engage auprès de l’American Indian movement et participera à l’occupation du mont Rushmore ou de l’île d’Alcatraz, entre autres, des actions visant à demander le respect par le gouvernement américain des traités passés avec les nations natives américaines. Plus récemment, elle a participé aux actions contre la construction d’un oléoduc, le Dakota Access Pipeline. Ayant elle-même vécu l’horreur des pensionnats pour Natifs américains, elle a fondé Survival School (École de la survie), une école dont l’objectif est d’offrir des enseignements en adéquation avec les cultures des peuples natifs américains. Un long engagement qui fait l’objet d’un documentaire.

Le militantisme natif américain est vivant et multiple, et la question de la mémoire est primordiale chez lui. Les témoignages des conditions de vie, des sévices et des humiliations au sein des pensionnats sont légion, des témoignages glaçants mis en avant par des organisations et des associations natives américaines. L’un des objectifs de ces organisations, c’est de faire connaître et reconnaître cette histoire.

La ministre Deb Haaland, elle-même, dénonce : « Pendant des décennies, ce terrible chapitre a été occulté de nos livres d’histoire. » The National Native American Boarding School Healing Coalition, qui milite activement sur ce sujet, propose des outils de plaidoyer accessibles aux Natifs américains pour que soit mise en place la loi H. R. 7227, une loi visant à établir une Commission vérité et réparation sur les pensionnats.

Si les excuses du président des États-Unis ont été qualifiées d’historiques, sur le terrain, les Natifs américains, eux, continuent de demander des comptes.

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