La 60e édition du Salon international de l’agriculture a commencé dans la confusion. Alors qu’Emmanuel Macron est arrivé au parc des expositions de la porte de Versailles autour de 8 heures (7 heures TU), au premier jour de l’événement, des manifestants sont entrés de force dans les lieux sans être fouillés, avant l’ouverture officielle.
Parmi eux, des agriculteurs exaspérés de la Coordination rurale, de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) et des Jeunes Agriculteurs, reconnaissables à leurs drapeaux et casquettes distinctives. Cherchant le président de la République dans les allées, ils en sont venus aux mains avec le service d’ordre qui tentait de les stopper, et des coups ont été échangés, selon des journalistes AFP.
De nombreux CRS ont été déployés à l’intérieur et les manifestants ont été contenus, mais sifflets et huées étaient assourdissants. « Rendez-le ! », « Macron démission ! », a-t-on pu entendre dans les rangs des manifestants. « La chasse au Macron est ouverte ! », ont scandé des militants du syndicat majoritaire FNSEA.
Valérie Gas, envoyée spéciale de RFI au salon, parlant d’un « scénario catastrophe » pour le président de la République. « L’ambiance est extrêmement tendue. Les journalistes ont même été exfiltrés dans un endroit plus calme », précise-t-elle.
« On ne répondra pas en quelques heures à cette crise agricole »
Finalement, le président Macron, accompagné des ministres Marc Fesneau (Agriculture) et Agnès Pannier-Runacher (ministre déléguée) a improvisé une réunion avec des agriculteurs et des représentants syndicaux, pendant environ deux heures, et demandé que le Salon puisse ouvrir formellement pour accueillir les visiteurs.
Emmanuel Macron a aussi appelé à l’apaisement : « C’est un moment de fierté, de reconnaissance et donc, il faut que ce Salon se passe bien, dans le calme pour l’agriculture française. » « On ne répondra pas en quelques heures à cette crise agricole », a-t-il ajouté.
Il a ensuite évoqué des premières mesures, comme reconnaître, dans la loi, l’agriculture et l’alimentation « comme un intérêt général majeur » de la France. Emmanuel Macron a annoncé la tenue d’une réunion avec « l’ensemble des organisations syndicales » dans trois semaines à l’Élysée. « La confiance, on doit la rebâtir », a martelé le président.
Plus tôt ce matin, le président de la FNSEA avait déclaré vouloir « écouter ce que le président a à nous dire dans une forme de respect du cadre ». Cela « risque parfois d’être un peu tendu », avait ajouté le responsable syndical, par ailleurs président du conseil d’administration du géant industriel Avril.
« On attend des réponses très claires, une vision très claire. Il a toutes les clés en main pour amener des réponses. À lui de jouer, à lui de redonner un vrai cap à cette agriculture », complétait son homologue du syndicat allié Jeunes Agriculteurs, Arnaud Gaillot. Des adhérents de la FNSEA et des JA ont passé la nuit sur l’esplanade devant le parc des expositions. Quelques-uns ont dormi sur la paille, d’autres dans des cars.
Une atmosphère plus détendue en soirée au Salon
Après sa matinée très agitée, Emmanuel Macron a poursuivi sa déambulation au Salon de l’agriculture dans un calme relatif. Moins de cris, plus de discussions et un chef de l’État détendu, a pu constater notre envoyé spécial sur place en soirée, Aurélien Devernoix. C’était beaucoup plus calme, mais pour une bonne raison : le hall 4 a été totalement fermé aux nouveaux entrants du fait de la présence du président. Le cortège d’agriculteurs en colère qui poursuivait Emmanuel Macron de ses sifflets a ainsi été bloqué à l’entrée.
Le chef de l’État s’est donc offert de la sérénité, mais la séquence du matin aura laissé des traces. À chaque échange ou presque, Emmanuel Macron évoquait l’instrumentalisation d’une partie des syndicats agricoles par le Rassemblement national. Un agenda politique pour gâcher le Salon, selon le président, qui a justement tenu à rester pour prouver qu’il ne battait pas en retraite. Dans son viseur notamment : le syndicat Coordination rurale, dont les casquettes jaunes étaient présentes en masse dans la foule hostile des premières heures.
« Faux », répondent des membres du syndicat qui se déclarent apolitiques, même si certains ne cachent guère leur proximité avec l’extrême droite. La venue dès dimanche matin du président du Rassemblement national Jordan Bardella donnera sans doute quelques indices supplémentaires. Reste que de nombreux agriculteurs présents ici regrettent la teneur très politique du débat, bien éloignée de leurs préoccupations quotidiennes.
Les principales annonces d’Emmanuel Macron au Salon de l’agriculture
Emmanuel Macron a rencontré, dans la matinée, des représentants d’agriculteurs. Le président de la République a tenu deux sessions de rencontres, dont voici les principaux engagements :
– Un « plan de trésorerie d’urgence » pour soulager les agriculteurs. « Dès la semaine prochaine, les ministres ici présents avec moi (de l’Agriculture, Marc Fesneau, et la ministre déléguée, Agnès Pannier-Runacher), avec leur collègue de l’Économie et des Finances (Bruno Le Maire), rassembleront les banques et l’ensemble aussi des secteurs pour pouvoir mettre en place ces plans de trésorerie. Nous lancerons un recensement dans chaque région des exploitations qui sont dans les plus grandes difficultés de trésorerie pour pouvoir les accompagner », a déclaré Emmanuel Macron.
– Des « prix planchers qui permettront de protéger le revenu agricole », dans le cadre de la préparation d’une nouvelle loi encadrant les relations entre les acteurs de l’alimentation. Le président veut atteindre cet objectif. Ces « prix planchers » seront fondés sur les indicateurs de coût de production sur lequel chaque filière (volailles, lait, viande bovine…) a dû se mettre d’accord pour objectiver les coûts de production des agriculteurs. Ces indicateurs existent déjà, mais ne sont pas suffisamment pris en compte pour la viande de bœuf et le lait, reprochent les éleveurs ; en revanche, la prise en compte de cet indicateur est quasi automatique dans la production de volailles. « C’est la chose la plus engageante qu’on ait jamais faite, ce qu’on est en train de se dire », a avancé Emmanuel Macron.
– « Reconnaître notre agriculture et notre alimentation comme un intérêt général majeur ». Emmanuel Macron a pris cet engagement qui « sera inscrit dans la loi, ce qui permettra de protéger notre agriculture de manière ferme et solide ».
– Davantage d’équilibre dans l’usage des pesticides. Le président de la République a répété vouloir éviter qu’un pesticide soit interdit en France avant le reste de l’Union européenne, pour éviter les distorsions de concurrence. Pour cela, il veut que l’agence française sanitaire Anses, qui est indépendante, reste calée sur le calendrier européen et donc ne décrète pas d’interdiction en France avant les voisins. Les interdictions sont généralement motivées par des impératifs de protection de la santé humaine et de l’environnement. Emmanuel Macron dit aussi vouloir regarder la possibilité de « rouvrir au niveau européen » des molécules interdites, sans expliciter ce qu’il voulait dire.
– Admettre le « droit à l’erreur ». Parmi de multiples engagements gouvernementaux sur la simplification des normes et l’assouplissement des contrôles, Emmanuel Macron a aussi dit aux agriculteurs qu’il voulait étendre le « droit à l’erreur » au monde agricole, « ce qu’on n’a pas réussi à faire jusque-là », en raison notamment de restrictions liées au droit de l’Union européennes et aux normes environnementales. Une proposition de loi LR de la députée Anne-Laure Blin existe en ce sens. « Le droit à l’erreur, je crois que c’est aussi assez simple, c’est de dire quand je fais une connerie une fois on me conseille, on m’aide à la corriger. Si je le fais deux fois, c’est que je fraude », a déclaré le chef de l’État.