France: pourquoi le processus de destitution contre Emmanuel Macron n’aboutira pas

La plus haute instance exécutive de la chambre basse a validé la première étape d’une procédure de destitution visant Emmanuel Macron, par 12 voix contre 10, ce 17 septembre. La cheffe de La France insoumise, dont le parti est à l’initiative de cette demande, Mathilde Panot s’est félicitée sur X de cet « événement inédit dans l’histoire de la Ve République », donnant « rendez-vous prochainement en commission des Lois pour en débattre ». Pour autant, la procédure n’a presque aucune chance d’aboutir en l’état.

RFI : Comment fonctionne le processus de destitution en France ?

Guillaume Tusseau : C’est à l’initiative des parlementaires, soit de l’Assemblée, soit du Sénat. C’est une procédure purement politique, elle ne fait pas du tout intervenir de juge, de magistrat, ou de Cour de justice. Les parlementaires déclenchent la procédure, comme ils l’ont fait aujourd’hui [mardi 17 septembre, NDLR], le bureau de la première Assemblée vérifie la recevabilité. Il faut qu’il y ait un argumentaire qui suggère que le président a mal agi pour lancer la procédure de destitution. Et si ces conditions procédurales sont réunies, le bureau déclare la proposition recevable et elle part à l’examen dans la commission des Lois de la première Assemblée saisie. Ensuite, ce sera examiné en séance plénière où les deux tiers des membres de la première assemblée saisie votent pour la destitution.

Quand aura lieu le vote en commission des Lois ?

Selon la loi organique pour l’application de l’article 68 de la Constitution, le délai du vote est de 15 jours.

Ce projet de destitution contre le président Emmanuel Macron a-t-il une « chance » d’arriver jusqu’au Sénat ? 

Non, parce qu’il faut que les deux tiers de l’Assemblée soient pour. Il s’agit des deux tiers des membres, pas seulement ceux présents le jour du vote. On part donc sur la base des 577 députés qui constituent l’Assemblée nationale. C’est la majorité la plus forte qui soit exigée dans la Constitution. Il y a donc très peu de chances que les deux tiers des députés votent pour la résolution et donc que le texte soit transmis au Sénat.

Il y a peut-être une majorité de députés qui désapprouvent politiquement la dissolution, qui désapprouvent la nomination de Michel Barnier, qui désapprouvent le fait qu’il ait beaucoup attendu avant de désigner un Premier ministre. Mais est-ce que ça rentre dans la définition d’un manquement au devoir manifestement incompatible avec l’exercice de sa fonction ? Là, je suis plus sceptique sur le fait que beaucoup de députés partagent cette analyse.

Ensuite, il y a les calculs politiques. Le Rassemblement national (RN) va être assez satisfait de laisser La France insoumise tenter une opération qui déstabilise le président et les institutions. Le RN peut contrebalancer cette image en disant « Regardez comme j’ai une attitude plutôt pacificatrice, même si je n’en pense pas moins sur l’action d’Emmanuel Macron ». Donc dans les calculs, il est très possible que les différents groupes ne s’associent pas à la démarche. Et puis il y a aussi le fait de s’associer à un texte qui est initialement porté par LFI, qui est un repoussoir pour un certain nombre de groupes.

Si ce processus est voué à l’échec dès le départ, quelle peut-être la motivation de LFI ?

C’est un acte de politique politicienne au sens très médiocre, parce que c’est juste faire de l’agitation, faire du buzz. Mais on peut aussi considérer que c’est un acte politique au sens plus noble et au sens symbolique. À ses yeux, LFI estime que le président de la République n’a pas pris en compte le résultat des élections législatives et qu’il viole les devoirs d’un chef d’État dans un régime parlementaire.

De ce point de vue-là, La France insoumise estime que refuser de nommer Lucie Castets cet été, traîner dans la désignation du gouvernement et nommer un Premier ministre issu du parti qui est en chute libre depuis une dizaine d’années sur le plan électoral, c’est hors des missions qui relèvent d’un chef d’État parlementaire.

Est-ce que la popularité d’Emmanuel Macron va pâtir de ce processus de destitution, même s’il restera en place ?

Non, je ne pense pas. C’est un épiphénomène dans les manuels de droit constitutionnel. Ce sera le premier président contre qui une procédure de ce type-là a été engagée et de cette façon-là. Ça ne va pas renforcer sa popularité en disant à quel point il est maltraité par des partis comme LFI, mais ça ne va pas l’affaiblir non plus.

Quelle est la différence avec le processus de destitution aux États-Unis, « l’impeachment » ?

Aux États-Unis, la procédure est différente parce que les tâches des deux chambres ne sont pas les mêmes. La Chambre des représentants vote l’impeachment qui est la mise en accusation et le Sénat juge. Quand l’impeachment est voté, il y a en général des articles d’accusation qui reprochent au président d’avoir fait quelque chose de répréhensible. C’est arrivé une fois pour Bill Clinton et Andrew Johnson, et deux fois pour Donald Trump.

Ensuite, le Sénat se prononce sur les articles d’impeachment, et il faut une majorité renforcée pour destituer un président. C’est parce que cette majorité renforcée est difficile à atteindre, qu’aucun président n’a fait l’objet d’un jugement de destitution.

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