Des affrontements ont éclaté samedi soir à Tbilissi devant le Parlement géorgien entre la police et les manifestants pro-européens qui protestaient, pour la troisième soirée consécutive, contre la décision du gouvernement de repousser les discussions sur l’adhésion du pays à l’UE à 2028.
Des policiers masqués en tenue anti-émeute ont tiré des balles en caoutchouc, du gaz lacrymogène et fait usage de canons à eau pour disperser des manifestants qui lançaient des feux d’artifice, selon un journaliste de l’AFP, qui a vu des flammes derrière une fenêtre du bâtiment.
Jeudi et vendredi, des manifestations nocturnes avaient déjà rassemblé plusieurs milliers de personnes à Tbilissi et dans d’autres villes du pays. Elles ont été dispersées par la force par la police, qui a annoncé avoir interpellé près de 150 personnes en deux jours pour « désobéissance » et « vandalisme », tandis qu’au moins 42 policiers ont été blessés.
Le Premier ministre Irakli Kobakhidzé a remercié samedi les forces de l’ordre, qui ont selon lui « défendu hier l’ordre constitutionnel de la Géorgie et sauvegardé la souveraineté et l’indépendance de la nation ».
La présidente pro-européenne de la Géorgie, Salomé Zourabichvili, a affirmé samedi dans un entretien à l’AFP qu’elle refusera de rendre son mandat qui se termine cette année tant que de nouvelles élections législatives n’auront pas été organisées dans ce pays en pleine crise politique.
« Tant qu’il n’y aura pas de nouvelles élections et un Parlement qui élira un nouveau président selon de nouvelles règles, mon mandat se poursuivra », a déclaré Mme Zourabichvili, en rupture avec le gouvernement qui prévoit de son côté de choisir le successeur de la présidente le 14 décembre.
Washington condamne « l’usage excessif de la force »
La diplomatie américaine a dénoncé samedi « l’usage excessif de la force par la police » contre les manifestants pro-européens. « Le peuple géorgien soutient de manière écrasante l’intégration européenne », a déclaré dans un communiqué Matthew Miller, le porte-parole du département d’État, annonçant également suspendre un programme de partenariat entre les États-Unis et la Géorgie.
Réagissant à cette déclaration américaine, la présidente géorgienne a écrit sur le réseau social X : « La suspension du partenariat stratégique entre les États-Unis et la Géorgie est le résultat tragique de la politique antidémocratique, anti-occidentale, anti-européenne et anti-géorgienne de la Géorgie. Il est plus clair que jamais que la voie qu’elle poursuit ne mène que dans une seule direction : vers la Russie ».
La présidente géorgienne Salomé Zourabichvili, en rupture avec le gouvernement, mais qui ne dispose que de pouvoirs limités, a estimé vendredi soir que « le mouvement de résistance a commencé ». « Nous resterons unis jusqu’à ce que la Géorgie atteigne ses objectifs : revenir sur la voie européenne et obtenir de nouvelles élections », a déclaré cette ex-diplomate française qui refuse de reconnaître la légitimité du Parlement issu des législatives d’octobre.
La Géorgie dans un tournant
À l’approche de l’élection présidentielle le 14 décembre, le pays est à un tournant, entre intégration à l’Europe et retour dans la sphère d’influence russe. Pour Thornike Gordadzé, chercheur à l’Institut Jacques Delors, professeur à Sciences Po, « les gens ont compris que c’était une bataille ultime. C’est comme en 2013 en Ukraine lorsque le gouvernement de [Viktor] Ianoukovitch a éteint la lumière au bout du tunnel, en quelque sorte. C’est-à-dire que les gens pensaient encore qu’il y avait encore une chance pour que le pays puisse un jour rejoindre l’Union européenne. Désormais, le gouvernement leur dit très clairement que cela ne va pas être le cas », explique-t-il.
On est dans ce moment de vérité, dans ce moment d’affrontement ultime. Si cela ne passe pas maintenant pour la population géorgienne, la Géorgie peut dire adieu pour de nombreuses années à la liberté, à la démocratie, mais la société n’a pas dit son dernier mot.
Thornike Gordadzé souligne également que dans ce conflit interne, les pays européens ont un rôle à jouer. « Je ne peux pas passer sous silence le fait qu’il y a beaucoup d’attente dans cette population géorgienne, des réactions venant surtout de l’Europe. Pour l’instant, on n’a pas entendu beaucoup de messages de soutien et je ne connais pas beaucoup d’endroits du monde où les gens sont sur les barricades avec les drapeaux européens. »
En Géorgie aujourd’hui, le drapeau européen est beaucoup plus mis en avant que la plupart des pays membres de cette union et ils créent une erreur géopolitique, stratégique, morale de la part des Européens de ne pas soutenir ce mouvement.