Des responsables gouvernementaux en Égypte, Irak, Jordanie, Liban et Tunisie prennent pour cible des personnes LGBT en exploitant leurs données sur les réseaux sociaux. C’est ce que dénonce l’ONG Human Rights Watch, dans un rapport paru ce mardi 21 février. Entretien avec Ahmed Benchemsi, son directeur Moyen-Orient et Afrique du Nord.
RFI : Comment se déroule concrètement le ciblage en ligne des personnes LGBT ?
Ahmed Benchemsi : Il y a des pratiques récurrentes dans le monde arabe. Par exemple, en Égypte, des membres de la police créent des faux profils sur des applications de rencontre gay comme Grindr et se font passer pour des personnes gay. Elles rentrent en contact avec des personnes gay via l’app, mettent des mois à gagner la confiance de l’interlocuteur et une fois que c’est fait, lui donnent rendez-vous. Une fois que la personne arrive sur place, elle se retrouve piégée par des policiers. Ensuite, on ouvre son téléphone, on envoie des messages à ses contacts de manière à les piéger eux aussi. C’est un cercle infernal qui se met en place.
D’autres méthodes sont détaillées dans le rapport comme l’utilisation de captures d’écran sur WhatsApp utilisées comme « preuves » dans un tribunal. Les personnes en question sont poursuivies pour homosexualité là où c’est interdit, c’est le cas dans plusieurs pays arabes. Et là où ce n’est pas interdit, ce sont des moyens détournés comme « l’incitation à la débauche » dont la justice se sert pour incriminer des gens sur la base de « preuves » obtenues de manière illégale.
Quelles sont les conséquences pour ces personnes LGBT ?
Ces personnes arrêtées de manière arbitraire sont maltraitées. Les conditions de détention provisoire ne sont déjà pas brillantes dans ces pays, mais pour les personnes LGBT c’est encore pire, car la discrimination est forte. Des cas de viols ont été documentés. Il y a ensuite des poursuites judiciaires sur la base de ces « preuves » obtenues illégalement.
Il y a aussi de l’outing [révélation publique de l’orientation sexuelle, NDLR] et du doxing, c’est-à-dire qu’on révèle l’identité de ces personnes, leur adresse, etc. Il y a des conséquences familiales. Les personnes peuvent être chassées de leur famille, subir des violences. Elles peuvent perdre leur emploi. C’est ce qu’on dénonce aussi dans le rapport. Ce qu’il se passe en ligne, ce harcèlement, ce ciblage en ligne, n’a pas que des conséquences en ligne, mais a aussi dans la vie réelle.
Les plateformes numériques ont-elles aussi une responsabilité dans le ciblage en ligne et ses répercussions ?
Absolument, les plateformes ont une responsabilité. Elles ont d’ailleurs des politiques pour empêcher les discours de haine et de discrimination, sauf qu’elles ne les appliquent pas, en tout cas lorsqu’il s’agit du monde arabe.
Parmi les personnes que nous avons interrogées, toutes disent avoir des doutes quant à la réaction de ces plateformes. La plupart de ces personnes ont averti les plateformes sur le fait qu’elles recevaient des messages malveillants, des discours haineux, que leur nom ou leur adresse étaient divulguées. Mais les plateformes ont répondu en disant qu’elles ne voyaient pas de problèmes, qu’il n’y avait pas de violation de leur politique.
Alors qu’il y a beaucoup de choses qu’elles devraient faire, comme prendre contact avec des ONG comme la nôtre qui suivent la situation des personnes LGBT et qui connaissent les dangers du ciblage en ligne. Les plateformes devraient aussi investir davantage dans la modération de contenus en arabe et dans les différents dialectes arabes. Rien de tout cela n’a été fait jusqu’à présent.