Un sommet Union européenne-Ukraine se tient ce vendredi 3 février à Kiev. À cette occasion, Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors, décrypte les enjeux de cette rencontre et la possibilité réelle d’une entrée de l’Ukraine au sein de l’UE.
À la veille de ce sommet, le Conseil européen a annoncé une septième enveloppe d’aide militaire à l’Ukraine de quelque 500 millions d’euros ainsi que 45 millions d’euros pour financer des missions de formation. « Nous continuerons de soutenir l’Ukraine aussi longtemps qu’il le faudra et aussi longtemps que cela sera nécessaire », a déclaré le chef de la diplomatie européenne Josep Borell depuis Kiev.
RFI : Quelle est la portée de ce déplacement de hauts responsables européens à Kiev ?
Sébastien Maillard : Politiquement, c’est un geste fort, une démonstration de force, en quelque sorte. C’est la première fois dans l’histoire de la construction européenne que toute une délégation de commissaires européens se déplace dans un pays en guerre. Elle vient signifier à l’Ukraine qu’elle aura sa place dans la famille européenne.
Il ne faut pas sous-estimer ce geste, qui est destiné aussi à soutenir le moral des Ukrainiens et montrer qu’il y a une perspective sérieuse d’entrée dans l’Union européenne. Mais les discussions menées à Kiev ont aussi pour objectif de pointer tous les efforts qui doivent être faits en vue de l’ouverture des négociations d’adhésion.
Il y a une forme d’empressement exprimé fortement par les autorités ukrainiennes, qui se voient dans l’Union européenne dans deux ans, ce qui est complètement irréaliste. On ne peut pas brûler toutes les étapes. Il va falloir ramener les esprits ukrainiens à des considérations plus réalistes.
Entre les Ukrainiens qui souhaitent une adhésion la plus rapide possible et certains dirigeants européens qui évoquent des décennies, quel pourrait être le calendrier le plus réaliste ?
À l’évidence, ce ne sera ni 2024, ni 2026, même si on peut aller plus vite que d’ordinaire. L’Ukraine est un pays de 44 millions d’habitants, dont on connait le niveau de corruption, même si les autorités se sont saisies du problème. Mais il faut s’assurer, lorsqu’un pays entre dans l’UE, que son économie est prête à faire partie du libre-échange européen. Il faudra s’assurer que les fonds européens seront bien gérés. Entrer dans l’UE, c’est un contrat de confiance qui se construit dans le temps, avec des gages, mais aussi des preuves légales que l’on est bien outillé pour respecter le droit européen.
Si l’on regarde les autres pays entrés dans l’Union européenne, cela prend, en moyenne, une dizaine d’années pour devenir membre de plein droit. Il pourrait y avoir pour l’Ukraine une forme d’adhésion progressive, en facilitant les échanges avec le marché européen, en concluant des accords d’itinérance téléphonique. Ce serait une façon de permettre à l’Ukraine d’avoir un pied dans l’Europe.
Cette forme d’adhésion graduelle permettrait d’avancer concrètement, sans forcément accélérer la cadence de manière irresponsable et sans, non plus, faire attendre trop longtemps ce pays.
En plus du soutien politique, quelle aide l’UE apporte-t-elle en matière de soutien militaire ?
Il y a d’abord une nouvelle aide à hauteur de 25 millions d’euros, qui devrait être accordée à l’Ukraine pour l’aider à faire du déminage. L’effort à fournir est énorme pour ce pays en la matière. Il y a aussi le volet de la coordination des donateurs de diverses agences, telles que la Banque européenne d’investissement ou la Banque européenne de reconstruction et de développement. Une plateforme va être mise en place à cet effet.
Par ailleurs, la mission d’entraînement de l’Union européenne va former jusqu’à 30 000 soldats ukrainiens. En mai dernier, l’objectif était d’en former 15 000. Il est très important en temps de guerre que l’Union européenne, qui n’envoie aucun de ses soldats, participe à la formation de milliers de militaires ukrainiens.
Enfin, il devrait y avoir à Kiev une discussion sur la manière de juger les crimes de guerre. Faut-il mettre en place un tribunal spécial ? L’Ukraine n’est pas partie prenante à la Cour pénale internationale (CPI), ni la Russie d’ailleurs. L’Union européenne aide aussi à collecter toutes les preuves qui serviront pour de futurs procès.