Depuis la mort troublante le vendredi 16 septembre de Mahsa Amini, jeune Iranienne de 22 ans arrêtée par la police des mœurs, le peuple d’Iran bat le pavé pour se soulever contre son système islamique. Des manifestations d’une grande ampleur ont éclaté dans tout le pays pour lutter contre la répression que subit toute la société. Un élan de colère grandissant qui se heurte pourtant à de nombreux obstacles pour espérer déstabiliser le pouvoir en place.
Poings levés, le regard fier. Ce sont les images et vidéos qui circulent depuis une semaine : des femmes qui scandent des slogans contre le régime islamique iranien, qui se découvrent la chevelure, se coupent les cheveux et laissent parfois brûler leur hijab. Des Iraniens qui tiennent tête à la police et qui bravent la répression. Des milliers de femmes et d’hommes, réunis dans les rues pour protester contre le régime et rendre hommage à Mahsa Amini.
Le 16 septembre dernier, la mort dans des circonstances encore troublantes de cette jeune iranienne a fait renaître une vague de contestation à travers tout le pays. Trois jours avant son décès, l’étudiante avait été arrêtée et détenue par la police des mœurs, prétextant un foulard « mal porté ». Depuis, le peuple iranien s’embrase. « Mort à la République islamique ! », « Mort à Khamenei ! » [en référence à Ali Khamenei, la plus haute autorité du pays, NDLR], ont martelé les protestataires dans de violents affrontements contre les forces de l’ordre. Selon les bilans officiels de ce jeudi à la mi-journée, plus de 30 personnes ont été tuées dans les manifestations, dont quatre policiers.
L’objet de leur contestation : la police des mœurs, une brigade qui surveille le strict respect des règles vestimentaires, notamment le port du hijab obligatoire. Depuis l’arrivée de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi à la tête du pays en juillet 2021, les contrôles effectués par cette « patrouille d’orientation », aussi nommée la Gasht-e Ershad, se sont drastiquement renforcés.
C’est pourquoi, selon l’écrivaine et sociologue iranienne, Chahla Chafiq, ainsi que selon Saeed Paivandi, enseignant-chercheur à l’Université de Lorraine, il faut voir derrière le décès irrésolu de Mahsa Amini une dissension grandissante entre les Iraniens et le régime en place, qui pourrait d’ailleurs l’ébranler dans ses fondements. Le cas de Mahsa Amini n’est qu’une illustration d’une répression qui « touche en réalité tous les Iraniens, au nom de la chasteté et de la morale », assure Chahla Chafiq.
La répression des Iraniennes, symbole de la répression de tous
En première ligne de ces mouvements protestataires : les femmes iraniennes, qui réclament la fin d’un régime liberticide et profondément discriminatoire à leur égard. Si la mort de Mahsa Amini a servi de catalyseur, la colère gronde depuis des années. Le port obligatoire du voile est continuellement contesté depuis la révolution islamique de 1979. Plusieurs actions menées par des femmes ont déjà ponctué l’histoire du pays, notamment lors du mouvement des Mercredis Blancs initié en 2017, durant lesquels des Iraniennes arboraient un voile blanc dans l’espace public.
Pour Chahla Chafiq, écrivaine et sociologue iranienne, exilée en France depuis les années 1980, le voile est donc « le talon d’Achille » du régime. « Le voile, c’est le drapeau de l’ordre discriminatoire, et de la répression sexiste du pouvoir », affirme-t-elle. Selon elle, la mort de Mahsa Amini a eu autant de retentissement, car elle « a symbolisé toute la haine que ce régime a envers les femmes. »
En protestant contre la police des mœurs et l’obligation de porter le hijab, c’est toute une idéologie mortifère que les manifestants fustigent. Plus largement, si autant d’hommes et de femmes se rassemblent dans les rues, c’est pour se révolter contre un système qui réprime la société dans son entièreté. « Les dirigeants ont créé un système où l’homme est le chef et où il domine la femme, mais où le leader idéologique domine tout le monde. Donc, la situation actuelle ne se cantonne pas qu’aux femmes. C’est au contraire la question de toute la société, et c’est ça qui est en train d’éclater au grand jour aujourd’hui », argumente Chahla Chafiq.
Un phénomène de solidarité nationale
Ce vent de colère ne se limite donc pas qu’aux Iraniennes. « Une partie des gens en faveur du système se sont mobilisés, par exemple dans les médias ou de façon plus passive, contre le système. Et même certains religieux qui appartiennent à l’État, eux-mêmes, commencent à critiquer cette répression inédite dans la rue. Ça montre l’écart entre un État islamique de plus en plus isolé, et les différentes couches de la population qui se rencontrent entre elles », soutient Saeed Paivandi, enseignant-chercheur à l’Université de Lorraine.
Plusieurs parlementaires iraniens ont exprimé leurs réserves face aux méthodes de la police morale. Le député Jalal Rashidi Koochi a estimé auprès de l’agence de presse ISNA que la police des mœurs « cause des dommages au pays ». Un autre député, Moeenoddin Saeedi, a, quant à lui, mentionné l’idée de la supprimer : « Je crois qu’en raison de l’inefficacité du Gasht-e Ershad à faire comprendre la culture du hijab, cette unité devrait être supprimée, afin que les enfants de ce pays n’aient pas peur quand ils croisent cette force. »
Mais pour Chahla Chafiq, il ne s’agit que d’une instrumentalisation pour se donner bonne figure. « Dès qu’il y a des débordements, ils tiennent ce genre de discours. Mais la population n’y croit pas. »
La population face à d’importants obstacles pour affaiblir le système
Alors que manque-t-il pour que cette colère bouillonnante et cette soif de changement impulse une vraie refonte du système politique iranien ? Déjà, « Le peuple fait face à un pouvoir qui est armé jusqu’aux dents, donc il y a une peur énorme au sein de la population », explique l’écrivaine. Mais cette peur qu’elle analyse comme mouvante pourrait possiblement se transformer en volonté d’agir, voire en guerre civile si le mouvement social perdure. « Il faudrait que ça devienne une grande révolution. Pour cela, il faudrait rallier certaines régions encore absentes », défend-elle.
Pour Saeed Paivandi, le système en place ne pourra changer qu’avec la naissance d’une identité populaire et d’un projet commun.
« Pour l’instant, il n’y a pas de revendication précise. On conteste le voile obligatoire, mais sans proposer l’horizon d’un autre système politique. C’est ce qu’a longtemps tenté de faire le régime islamique : essayer de ne pas permettre à l’opposition d’avoir une place dans l’opinion publique. Le système actuel est dans une impasse car il ne présente aucune solution, mais en face, il n’y a pas non plus d’alternative. »
Comme l’ajoute le sociologue, beaucoup de citoyens ont vécu des expériences politiques douloureuses à travers les printemps arabes et les soulèvements nationaux dans les pays voisins, en Syrie ou en Égypte, et pourraient craindre que la situation empire si le système s’effondrait. Pour espérer s’émanciper de l’idéologie islamique, « Il faudrait qu’une force alternative se dégage progressivement dans l’opposition ou dans la société, pour porter un projet politique. »
Mardi 20 septembre, en marge de l’assemblée générale de l’ONU à New York, Emmanuel Macron a déclaré après un entretien avec le président Ebrahim Raïssi avoir « insisté sur le respect des droits des femmes » dans le pays. Le président américain Joe Biden s’est, lui aussi, dit solidaire des « femmes courageuses d’Iran ». En riposte, Ebrahim Raïssi a accusé les démocraties d’avoir « deux poids, deux mesures » concernant le droit des femmes.
Mais pour la sociologue Chahla Chafiq, ces quelques déclarations des dirigeants occidentaux ne sont qu’un écran de fumée, et la population iranienne continue à se heurter à « l’indifférence de l’Occident. Les Occidentaux n’ont pas de réaction digne face à des gens qui ont la main vide et qui affrontent seuls une armée. »