Législatives en Iran: démonstration de force ou preuve de faiblesse du pouvoir?

Il y a trois ans, Ebrahim Raïssi était élu président de la République islamique d’Iran. Malgré les voix critiques qui dénonçaient déjà le manque de compétition réelle, l’ancien chef du système judiciaire iranien incarnait pour son électorat l’espoir d’un homme droit et juste, qui mettrait fin à la corruption endémique du système iranien, responsable en partie de la grave crise économique du pays.

Un an plus tard, la jeune Mahsa Amini était arrêtée par les forces de sécurité à Téhéran pour « port incorrect du voile ». Conduite directement du poste de police à l’hôpital, sa mort était officiellement annoncée trois jours plus tard par les autorités, l’étincelle qui lançait le mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Après des mois de répression sanglante et un mouvement de résistance civile qui continue, les Iraniens sont donc invités à voter pour élire leurs représentants au Parlement ainsi que les grands experts chargés de choisir le prochain guide suprême, celui qui remplacera Ali Khamenei, aujourd’hui âgé de 84 ans.

« La rupture est consommée entre les gens ordinaires et le pouvoir en place », constate Chirinne Ardakani. L’avocate est membre du collectif « Iran Justice » qui tente de récolter des preuves des exactions du régime iranien. « Après la violente répression des manifestations de 2022, le peuple iranien a déployé d’autres stratégies pour éviter la confrontation directe, explique-t-elle. Les femmes refusent de se revoiler dans l’espace public malgré les patrouilles de la police des mœurs. Les travailleurs se sont massivement mobilisés en grève et lors de manifestations, sur fond de revendications sociales, dans le contexte d’une crise économique qui se poursuit. »

Dernier signe de cette rupture : le vaste appel au boycott des élections, issu notamment des cellules de prisonniers politiques, avec en tête la prix Nobel de la paix Narges Mohammadi, dont Chirinne Ardakani est l’avocate.

Des candidats réformateurs au sein de listes conservatrices

Ces élections se déroulent donc avec peu d’inconnues, puisque la disqualification de nombreux candidats les réduit à une compétition entre conservateurs et ultra-conservateurs, avec un taux de participation annoncé en dessous de 30%. Malgré tout, Thierry Coville, chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques, attire l’attention sur certaines listes – certes conservatrices -, mais tout de même critiques du pouvoir en place. « Il y a des débats à l’intérieur du système politique iranien avec des personnes qui rappellent que dans République islamique d’Iran, il y a tout de même le mot « république ». Ils posent la question : « Peut-on continuer comme ça avec cette fracture au sein de la population ? » », indique le chercheur.

Les grandes figures réformatrices ayant été écartées, certains candidats réformateurs ont d’ailleurs choisi de rejoindre ces listes, plutôt que d’abandonner l’espoir d’une réforme du système de l’intérieur du système. « Est-ce qu’il y a la possibilité à l’intérieur d’avoir une sorte d’opposition ? », interroge Thierry Coville « Il y a par exemple Ali Motahari à Téhéran qui est considéré comme centriste. C’est peut-être l’un des enjeux de ces élections », avance Thierry Coville.

« Le régime ne se sent pas réellement menacé à court terme »

Un autre enjeu reste celui de la participation, un test de légitimité pour la République islamique, après la plus grave crise politique de son histoire causée par le mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Les figures du pouvoir ont donc appelé à voter pour renforcer l’unité du pays, sur les scènes nationales et internationales. « Mais en réalité, le régime ne se sent pas réellement menacé à court terme », estime Thierry Coville.

Sur la scène internationale, il a su s’imposer à nouveau en se présentant comme le maître de l’ordre et du chaos dans la région, via ses liens avec le Hamas à Gaza, le Hezbollah en Syrie, en Irak et au Liban et avec les Houthis au Yémen. Après avoir ouvertement soutenu le mouvement « Femme, Vie, Liberté », les gouvernements occidentaux ont « fait primer la logique de realpolitik pour traiter avec les Iraniens, regrette Chirinne Adrakani. Il y a eu un arbitrage en conscience qui a été fait, délivrant le message : « Nous entendons l’aspiration du peuple iranien à la démocratie, aux libertés publiques et à l’égalité entre les femmes et les hommes, mais nous ne pouvons rien pour lui, car le rapport de force est aujourd’hui du côté du pouvoir politique iranien ». »

Chirinne Ardakani partage donc tristement le même constat que Thierry Coville. « Aujourd’hui, la peur est toujours du côté de ceux qui risquent une arrestation imminente, sont en danger de mort. Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer la sophistication du régime totalitaire de la République islamique d’Iran. Mais le mouvement de résistance de la société civile s’inscrit dans la durée, et c’est ça qui va faire la différence. À un moment donné, va se poser la question de la succession du guide suprême, et c’est peut-être là que s’ouvrira une nouvelle fenêtre de tir », juge-t-elle.

En effet, Ali Khamenei a 84 ans et souffrirait d’un cancer. Ce vendredi 1er mars, les grands experts chargés de lui choisir un successeur seront élus, avec encore une fois, des candidats triés sur le volet. Mais ce verrouillage des autorités pourrait ne pas suffire à éviter la crise, car aucun successeur garant d’unité ne s’impose clairement aujourd’hui.

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