«Les gens étaient sous le choc»: en Russie, la mobilisation partielle provoque l’affolement

Embouteillage à frontière entre la Russie et la Finlande, le 22 septembre 2022.Embouteillage à frontière entre la Russie et la Finlande, le 22 septembre 2022. AFP – LAURI HEINO

Sur les réseaux sociaux, on voit des vidéos de files d’hommes devant les bureaux de recrutement. Sur certaines, ils sont disciplinés, mais des officiers recruteurs font aussi part de difficultés pour convaincre les hommes de s’enrôler. L’un d’eux tentait de motiver les appelés en leur disant que d’aller combattre améliorerait leur futur, ce à quoi on lui a répondu : « Vous nous parlez de futur alors qu’on n’a déjà pas de présent ».

Il y a aussi des images de mères qui s’opposent aux officiers en leur signifiant qu’ils n’emmèneraient pas leur fils, ou alors des « au revoir papa » déchirants lancés par des enfants à leur père mobilisé. Certains avocats ont également dénoncé le fait que certains manifestants arrêtés se sont vu remettre une convocation alors qu’ils étaient au commissariat.

De leur côté, les autorités russes tempèrent. Vladimir Tsimlianski, un porte-parole de l’état-major, a assuré à l’agence Interfax que « lors de la première journée de mobilisation partielle, environ 10 000 citoyens sont arrivés par eux-mêmes aux commissariats militaires, sans attendre leur convocation ».

Pas de véritable mouvement de contestation

On voit toutefois sur les réseaux sociaux des vidéos de files d’hommes devant les bureaux de recrutement de régions périphériques comme le Daghestan ou Sakhaline. On rapporte également des difficultés pour les officiers recruteurs. Certains invoquent « un meilleur futur » pour les convaincre. « Quel futur ? On n’a déjà pas de présent », répondent les enrôlés.

Il y a aussi des images de mères qui s’opposent aux officiers en leur signifiant qu’ils n’emmèneraient pas leur fils. Ou alors des « Au revoir papa », déchirants lancés par des enfants à leur père mobilisé. Cette mobilisation est loin de faire l’unanimité, même si, il faut en convenir, les réseaux ont plutôt tendance à mettre en avant les réfractaires.

Cependant, on n’assiste pas à la naissance d’un véritable mouvement de contestation, au vu du nombre de personnes qui sont sorties manifester, ce n’est pas le cas. Ils sont tout au plus quelques milliers à avoir bravé l’interdiction de manifester pour marquer publiquement leur opposition au pouvoir.

Exode

Ceux qui le peuvent ont fait le choix de quitter le pays, conscients du fait qu’il est devenu impossible de s’opposer « démocratiquement entre guillemets » aux décisions du Kremlin. Ou plutôt qu’une opposition politique structurée n’a aucune chance de voir le jour.

Sur les réseaux sociaux, les images d’hommes souhaitant quitter la Russie se multiplient. Des images de files de voitures interminables à la frontière avec le Kazakhstan, la Mongolie ou l’Arménie sont publiées. Même chose concernant les halls d’aéroports, notamment à Moscou, pris d’assaut par une population essentiellement masculine.

À la frontière finlandaise, le nombre de traversées « a clairement augmenté », a dit à Reuters Matti Pitkaniitty, responsable des Affaires internationales pour les gardes-frontières, ajoutant que la situation était sous contrôle. Sur internet, les phrases « comment se casser un bras » et « quitter la Russie » connaissent toutes deux, depuis l’annonce, une explosion des recherches en ligne.

Anatoly*, officier russe de réserve, a opté pour la Finlande. Dès le discours de Poutine, il a pris quelques affaires et a « filé hors de Moscou ». À la frontière, « l’atmosphère était légèrement tendue, les gens étaient sous le choc, on se demandait que faire. Les chambres d’hôtels sur internet disparaissaient d’une seconde à l’autre et dès que j’ai reçu le 2e tampon sur mon passeport, j’ai attrapé mon téléphone pour en réserver une », témoigne-t-il.

Mikhaïl* a aussi pris la fuite quand son ami l’a prévenu après le discours de Vladimir Poutine. « Quand c’est devenu réel, ça a été un choc », dit-il.

« La première chose qu’on a faite avec ma femme, ça a été de préparer une autorisation de sortie du territoire pour qu’elle puisse quitter le pays avec les enfants en direction de l’Europe. Dieu merci tout le monde a des visas Schengen. Il est possible que nous devions penser à déménager à l’étranger. En partant, j’avais le sentiment, en regardant ma femme et ma fille, qu’il y avait une chance pas négligeable que je ne les revois plus avant longtemps. Désormais, on sait que la situation a dérapé et que tout va aller mal. »

Un jeune russe qui a fui la mobilisation

La Serbie, seule capitale d’Europe à accepter les vols en provenance de Russie, est aussi devenue une terre d’accueil pour certains.

L’Allemagne propose l’asile politique

De son côté, l’Allemagne a annoncé aujourd’hui qu’elle était prête à accorder l’asile politique aux déserteurs de l’armée russe « menacés de grave répression ». Durant les derniers mois, Berlin a déjà accueilli plus de 400 opposants au Kremlin, rapporte notre correspondant à Berlin, Pascal Thibaut. « Celui qui s’oppose courageusement à Poutine et se met ainsi en grand danger peut demander l’asile politique en Allemagne », a confirmé la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, lors d’une interview. Une position suivie par le ministre de la Justice Marco Buschmann. Il a écrit sur Twitter : « Ceux qui haïssent la voie choisie par Poutine et qui défendent la démocratie libérale sont les bienvenus en Allemagne ».

L’obtention de l’asile n’a, en revanche, rien d’automatique. Chaque cas donnera lieu à une procédure individuelle et à des contrôles de sécurité, rappelle le ministère de l’Intérieur. Les ONG demandent, elles, aux autorités de ne pas être trop tatillonnes en exigeant par exemple une preuve de l’enrôlement dans l’armée russe.

Et comme le dépôt d’une demande d’asile reste compliqué pour ces personnes en raison, notamment, des difficultés d’accès à l’Union européenne, l’association Pro Asyl propose ainsi que des visas humanitaires soient proposés aux Russes qui ont pu gagner d’autres pays comme la Géorgie ou la Turquie. Une telle demande a déjà de bonnes chances d’être couronnée de succès en Allemagne, mais peu y recourent, craignant plus tard de ne pas pouvoir retourner dans leur pays.

 

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