Dans sa dernière recommandation aux États-membres des Vingt-Sept, l’Agence de l’Union européenne pour l’asile juge que le simple fait d’être une femme afghane doit permettre d’obtenir le statut de réfugié.
Depuis le mois d’août 2021, elles vivent recluses, chassées de l’espace public par les nouvelles autorités d’Afghanistan, qui les privent du droit à l’éducation, les empêchent de travailler et de se déplacer librement. C’en est trop pour l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA). Cette institution, qui coordonne la protection des migrants en Europe, estime que les discriminations imposées aux femmes afghanes atteignent un seuil assez grave pour qu’elles soient qualifiées de persécutions.
« Aujourd’hui, être une femme en Afghanistan, c’est faire face à des mesures restrictives mises en place par les talibans, en matière de liberté d’expression, de circulation, d’accès au travail, d’accès à l’éducation ou aux soins, insiste le porte-parole de l’AUEA, Andrew McKinlay. Ces persécutions doivent leur donner accès au statut de réfugié. »
Les services européens sont parvenus à cette conclusion inédite dans leur dernière note d’orientation, rendue publique le 25 janvier 2023, qui énumère les profils spécifiques ciblés par l’insurrection islamiste. Les femmes y occupent une place centrale, au côté des défenseurs des droits de l’homme, des membres du précédent gouvernement et des Afghans ayant soutenu d’une manière ou d’une autre l’intervention militaire de l’Otan en Afghanistan.
Une petite révolution sur le papier
Sur le papier, cette ligne directrice émise par l’AUEA constitue une petite révolution. Elle laisse penser que toute femme afghane qui frappe aux portes de l’Europe se verra reconnaître de manière automatique le statut de réfugié. En pratique, ce ne sera pas le cas, car le régime européen de protection internationale repose sur deux piliers intangibles.
D’une part, ce sont toujours les États-membres qui décident en dernier recours. Faut-il, oui ou non, admettre cette personne sur notre territoire ? Chaque pays des Vingt-Sept tranche de manière souveraine, et même si, à l’avenir, telle ou telle capitale européenne rejette la demande d’une femme afghane, l’Europe n’aura pas son mot à dire.
D’autre part, c’est un processus éminemment individuel. Chaque État européen mène, par le biais de ses instances nationales, des entretiens approfondis avec les demandeurs d’asile, qui doivent justifier des atrocités qu’ils ont subies, et ce n’est qu’après examen personnalisé de leur dossier qu’une décision est prise.
Il n’empêche que, depuis l’an dernier, les recommandations de l’Agence européenne ont une valeur juridique. Prenons l’exemple d’une femme afghane dont la demande d’asile est rejetée par les autorités françaises et qui forme un recours en justice : dans ce cas, les juges français ont l’obligation de vérifier si la France a bien pris en considération l’analyse des instances européennes au sujet de l’Afghanistan, faute de quoi, Paris doit en justifier, sans pour autant risquer de sanctions.
Harmoniser les pratiques européennes
Ce mécanisme a pour ambition première d’harmoniser les pratiques européennes, afin que les demandeurs d’asile soient traités de la même manière partout en Europe, quel que soit le pays où ils engagent leurs démarches. Et même si l’on ne peut pas parler de caractère contraignant, l’avis de l’AUEA produit ses premiers effets : après la Suède, la Commission danoise pour les réfugiés annonce qu’elle va accorder, sur le seul critère de genre, un permis de séjour à toutes les Afghanes qui le demandent, mais aussi réexaminer l’ensemble des dossiers de femmes ou de fillettes rejetés par le Danemark depuis la chute de Kaboul.
À quelques nuances près, il en est de même côté français, où le taux de protection accordé aux femmes afghanes par l’Ofpra, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, atteint déjà plus de 95%, rappelle son directeur général, Julien Boucher. « On a été très attentifs à la situation spécifique des femmes et très vite, on a développé une pratique de protection qui consiste à considérer que, d’une manière générale, les femmes ont des craintes en cas de retour en Afghanistan et par conséquent relèvent du statut de réfugié, explique-t-il. Cela a vraiment été notre position depuis l’origine, donc ces lignes directrices viennent, en ce qui nous concerne, conforter une pratique de protection qui est d’ores et déjà la nôtre depuis la mi-2021. »
Le plus difficile pour ces femmes reste de sortir d’Afghanistan. Si elles y parviennent, l’Europe semble décidée à faire bloc et à leur ouvrir ses portes. Et il y a du travail, car d’après les derniers chiffres disponibles, près de 15 000 demandes d’asile ont été déposées dans l’Union européenne par des ressortissants afghans durant le seul mois de novembre 2022.