« Beaucoup de gens disent que les personnes noires m’aiment bien parce qu’elles ont tellement souffert et été discriminées et qu’elles me voient comme quelqu’un qui a été discriminé. » En février dernier, à la veille des primaires de Caroline du Sud, l’ancien président Donald Trump a soutenu devant la Black Conservative Federation que les électeurs noirs étaient plus attirés par lui après ses multiples batailles juridiques, comparant ainsi ses 91 inculpations pénales à la discrimination dont ils sont victimes. Pour le candidat républicain, deux fois mis en accusation et quatre fois inculpé, ces derniers auraient même « adopté » sa désormais célèbre photo d’identité judiciaire.
Ces commentaires ont rapidement été dénoncés comme « racistes » et « insultants » par les démocrates qui n’ont pas manqué, comme d’autres, de remarquer la tentative de Donald Trump de redorer son image auprès des électeurs afro-américains. « C’est une stratégie de désinformation pour essayer de convaincre les électeurs noirs qu’il est comme notre meilleur ami et que nos vies n’ont jamais été aussi bonnes que durant sa présidence », estime Cliff Albright, cofondateur du collectif Black Votes Matter.
Réforme de la justice pénale, faible taux de chômage…
Des propos nettement moins virulents que ceux proférés à l’égard des pays africains, qu’il avait qualifiés de « pays de merde », ou que lorsqu’il avait menacé d’une répression armée les manifestants antiracistes rassemblés après le décès de George Floyd, un Afro-Américain mort aux mains de la police de Minneapolis en 2020. Au contraire, depuis le début de sa campagne, le milliardaire n’a cessé de vanter la situation des Afro-Américains lors de son mandat, s’attribuant systématiquement le mérite de l’aide aux universités historiquement noires – une initiative du Congrès, et non de l’exécutif –, l’adoption d’un programme d’incitations fiscales pour les zones défavorisées ou encore de la loi First Step Act qui vise, entre autres, à réduire la surincarcération.
Donald Trump s’est aussi félicité du faible taux de chômage des Afro-Américains, qui avait atteint un minimum de 5,3% en août 2019 avant que la pandémie ne frappe. En revanche, le candidat républicain se garde bien de mentionner que cette trajectoire descendante était déjà amorcée pendant la présidence de Barack Obama et qu’elle fut aussi observée sous Joe Biden, avec un taux de chômage descendu à 4,8% en avril 2023, plancher jamais vu depuis 1972.
« Il essaie de dire que les Noirs étaient plus susceptibles d’avoir un emploi quand il était président en exploitant la façon dont les gens s’en souviennent mais ne contextualisent pas qu’historiquement ce chiffre était de plus en plus bas déjà avant que Trump ne soit président », analyse Andra Gillespie, professeure de science politique à l’université Emory et spécialiste de la politique afro-américaine. « L’objectif, c’est d’atteindre le segment des électeurs noirs qui pourraient être persuadés sur la base de questions économiques. »
Joe Biden, un « raciste vicieux »
Cette tentative de séduire l’électorat afro-américain, qui représente 13% des électeurs, s’accompagne d’une campagne visant à discréditer son adversaire, l’actuel président. « Joe Biden s’est avéré être un raciste très méchant et vicieux », a déclaré Donald Trump lors de son discours devant la Black Conservative Federation, qu’il a qualifié de « pire cauchemar de Joe Biden ».
En parallèle, plusieurs campagnes publicitaires diffusées sur des stations de radio ciblant la communauté noire s’en prennent au candidat démocrate, l’accusant d’être responsable d’une crise du fentanyl causée par sa politique frontalière et de considérer les votes noirs pour acquis. Ces publicités, financées par le comité d’action politique Maga Inc et diffusées dans les États clés de Géorgie, de Pennsylvanie et du Michigan, suggèrent que Donald Trump aurait, à l’inverse, honoré ses engagements envers les électeurs afro-américains. « Les républicains veulent créer suffisamment de désinformation et d’ambiguïté pour qu’un grand nombre de Noirs ne votent pas pour le président Biden », affirme Cliff Albright, rappelant que des partisans de Donald Trump ont partagé de fausses images d’électeurs noirs soutenant l’ancien président, générées par l’intelligence artificielle.
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Si elle se fait de plus en plus agressive, cette stratégie n’est pas nouvelle. En 2016, Donald Trump encourageait les électeurs noirs à voter pour lui en leur demandant « Qu’avez-vous à perdre ? », tout en accusant Hillary Clinton de vouloir donner du travail aux réfugiés plutôt qu’aux Afro-Américains. La chaîne de télévision publique britannique Channel 4 a également révélé que la campagne de Trump avait activement cherché à dissuader 3,5 millions de Noirs américains dans les États clés de voter en les ciblant délibérément avec des publicités négatives d’Hillary Clinton sur Facebook. Lors de l’élection suivante, en 2020, le milliardaire dévoilait son « plan platine » destiné aux Noirs américains, qui proposait, entre autres, de désigner le Ku Klux Klan comme une organisation terroriste et d’accroître les investissements dans les communautés noires. « Séduire l’électorat noir, c’est une vieille stratégie de Donald Trump. Ce qui change, c’est qu’elle s’affirme de plus en plus et pointe les faiblesses économiques de l’administration Biden qui souffre d’une forte inflation », assure Andra Gillespie.
Des soutiens grandissants à Trump
Cette stratégie pourrait même porter ses fruits : plusieurs sondages récents indiquent que le candidat républicain gagne du terrain parmi les électeurs noirs. D’après un sondage Quinnipiac réalisé en février, Joe Biden devance Donald Trump avec 79% contre 19%, comparé à 87% contre 12% en 2020. Un autre sondage mené par le New York Times et le Siena College en novembre a révélé que 22% des électeurs noirs dans six États clés prévoyaient de voter pour Trump en 2024, une proportion encore jamais obtenue pour un républicain dans les sondages de sortie des urnes depuis 1980.
« Les sondages ont rarement des échantillons très importants d’électeurs noirs », rappelle toutefois Andra Gillespie. Cliff Albright, qui dénonce l’idée selon laquelle les Noirs se déplacent vers la droite, affirme quant à lui « ne pas voir ce changement » au sein de son collectif.
Si les opinions négatives à l’égard de Donald Trump semblent s’être atténuées depuis 2020, l’ancien président reste très impopulaire parmi les Afro-Américains. Selon un sondage réalisé par le Washington Post et Ipsos en mai 2023, bien que la moitié des Afro-Américains estiment que les politiques du président Joe Biden n’ont rien changé pour eux, 54% d’entre eux seraient « en colère » s’il était élu pour un nouveau mandat présidentiel. Seuls 4% se disent enthousiastes.
Une tentative de « démobiliser » les Noirs démocrates
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À l’inverse, bien que les démocrates conservent un avantage considérable sur les républicains parmi les Afro-Américains, le parti bleu s’attire de moins en moins les faveurs de cette minorité. Leur avance actuelle de 47 points – contre 79 en 2008 – est la plus faible jamais enregistrée par Gallup depuis 1999.
Les républicains y voient une opportunité historique : saper l’un des électorats démocrates les plus fiables. « Si Joe Biden perd à cause des électeurs noirs, ce ne sera pas à cause d’une défection massive vers le camp républicain ou même probablement vers le parti tiers, pointe Andra Gillespie. En réalité, Donald Trump cherche davantage à les démobiliser que de les convaincre de voter pour lui. Ce sont des électeurs qui, s’ils se présentaient aux urnes, voteraient presque toujours démocrate, mais pourraient ne pas le faire cette fois-ci par insatisfaction. »
L’érosion de leur soutien au camp démocrate pourrait avoir un effet sismique lors du match entre Joe Biden et Donald Trump, le 5 novembre 2024. Plusieurs États clés, qui oscillent entre les candidats démocrate et républicain selon les élections, comptent d’importantes populations noires comme le Michigan, le Wisconsin ou la Pennsylvanie. En Géorgie, les Afro-Américains représentent un tiers des électeurs éligibles. « Ce qui est préoccupant, c’est qu’étant donné les marges étroites que nous avons historiquement observées dans ces États, il n’est pas nécessaire qu’un grand nombre de Noirs restent chez eux pour réduire les chances de Joe Biden de remporter ces États », avance Andra Gillespie.
En réponse, Joe Biden fait tout pour ne pas voir grossir les rangs des partisans du « Blexit » – un mouvement initié par Candace Owens qui vise à convaincre les Noirs américains de quitter le parti démocrate. En août dernier, le président sortant a lancé une campagne publicitaire de 25 millions de dollars diffusée dans les médias historiquement noirs, mettant en avant le faible taux de chômage, la réduction de la pauvreté infantile et l’annulation des prêts étudiants. « Aucune tromperie des médias ni aucun racisme libéral n’influenceront l’esprit des électeurs noirs qui voteront en novembre pour des rues plus sûres, un meilleur bien-être financier, une frontière sécurisée et un rejet total du mandat désastreux de Joe Biden », a quant à lui déclaré Diante Johnson, président de la Fédération des conservateurs noirs (BCF).