Procès de l’attentat de Nice: «Je hurle que je ne veux pas mourir»

Des gendarmes français montant la garde à côté d'avocats au palais de justice de Paris, à l'ouverture du procès pour l'attentat de Nice, le 5 septembre 2022.Des gendarmes français montant la garde à côté d’avocats au palais de justice de Paris, à l’ouverture du procès pour l’attentat de Nice, le 5 septembre 2022. © Thomas SAMSON / AFP

Le ton neutre de la jeune femme contraste avec l’intensité de ses propos, mais la rapidité de son débit trahit la violence contenue de ses émotions. « J’avais 15 ans, je croquais la vie à pleines dents. Ce soir-là, se souvient Shanna, je chante à tue-tête, je suis heureuse, rien ne m’arrêtera. »

Puis, elle sent « comme une présence », se retourne juste à temps pour échapper au passage du camion.

Je le vois percuter, écraser, propulser. Mon sang se glace. Je hurle que je ne veux pas mourir, je me mets à courir en remontant la Prom’ le long des corps, parfois ce qu’il en reste.

« Quand un serpent fait sa mue, son ancienne peau laisse place à une nouvelle, pointe la jeune femme. Ma peau de jeune fille insouciante s’est détachée de moi à chaque pas que j’ai pu faire dans la course contre la mort. »

Mais pour cette « nouvelle Shanna », mener cette « vie sombre et angoissante » est un combat : crises de panique, agressivité, troubles alimentaires, échec scolaire. « Chaque réveil est un effort, chaque endormissement une angoisse, dit-elle, je suis très entourée mais je me sens très seule, vide. La seule chose qui m’habite, c’est la mort, celle avec qui je joue quand je prends des risques inconsidérés. »

« Se battre pour vivre, ce n’est pas vivre », souligne-t-elle. Ce « vide », cette impression d’être « déconnectée » des autres, « comme une extraterrestre », elle tente de le combler par l’alcool, la drogue, les médicaments.

Elle s’arrache les cheveux, se donne des coups. « J’ai besoin de me détruire pour me sentir exister », assène-t-elle. Jusqu’à la tentative de suicide, car « la culpabilité de ne pas arriver à être heureuse », alors qu’elle a survécu, est trop forte. Et puis il y a cette impression, explique la jeune femme, que « l’identité de victime » a remplacé la sienne.

J’ai perdu Shanna, mes proches aussi. Aujourd’hui, je ne veux plus mourir, mais je ne veux pas vivre comme ça. Je trouve un peu de bonheur à participer à celui de mes proches tout en sachant que je n’atteindrais jamais le mien.

Elle en est d’autant plus convaincue que récemment, elle qui voulait faire du droit n’a été acceptée dans aucune faculté : « J’ai fait une croix sur mon seul objectif, déplore Shanna. En plus de me perdre, de perdre ma jeunesse, j’ai perdu mon seul objectif. Aucune passion, rien ne m’intéresse vraiment. Je ne sais pas si j’ai vraiment envie de m’en sortir », confie-t-elle.

Quant à passer le permis de conduire, impossible. « Pour moi, conduire c’est tuer », tranche celle qui a fait une crise de panique un jour qu’elle s’était placée derrière le volant, moteur éteint.

Au terme de ce sombre tableau, Shanna conclut toutefois par une touche d’espoir : « Juridiquement, je n’attends rien de ce procès. Mais il m’a permis de créer des liens avec d’autres victimes, ça a été bénéfique pour moi. J’ai trouvé une famille ici, et je me sens moins folle. En tout cas beaucoup moins. »

Les parties civiles vont continuer à se succéder à la barre jusqu’à la fin de la semaine, avec une interruption ce jeudi après-midi, le temps d’auditionner le maire de Nice de l’époque, Philippe Pradal, ainsi que Christian Estrosi, qui était alors premier conseiller à la sécurité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *