Les fashionistas ont déambulé dans un Paris humide vendredi, naviguant notamment d’un lieu saint pour un défilé rural de Dior Men ou s’arrêtant sur un chantier claustrophobe pour Comme des Garçons.
Dior: Jardiner à Granville en pensant à Charleston
Kim Jones est revenu aux racines de Christian Dior, de façon assez littérale, à l’occasion d’un défilé poétique de mode masculine présenté dans une réplique exquise de la villa familial du fondateur, à Granville.Les mannequins apparaissaient sur le podium en sortant d’une version réduite de moitié de cette villa normande, située sur une falaise dominant l’océan, pour défiler sur un podium recouvert de gazon fraichement coupé, dans un jardin de cinquante mètres de long agrémenté de fleurs véritables. Et ils marchaient vers le Sussex et une réplique extrêmement soignée de Charleston, berceau du peintre britannique post-impressionniste Duncan Grant, qui a inspiré ce défilé.
Dans une saison où de nombreux créateurs ont exprimé un désir de retour à la vie rurale, il s’agissait de la plus pure expression de cet appel à la nature.
Du chic horticole depuis le costume beige de gentleman farmer qui ouvrait le bal, avec tablier de jardinier coupé en top asymétrique, jusqu’aux mailles ingénieuses rebrodés de motifs horticoles.
Les créations de Duncan Grant, peintre star du groupe Bloomsbury, apparaissaient quant à elle sur des sweats bucoliques en intarsia, ou des shorts portés sur des leggings.
Arpentant le terreau en bottes de caoutchouc coupées comme des Chelsea boots, les mannequins portaient des mini sacoches aux finitions façon treille de jardin. On retrouvait ces mêmes finitions sur des chaussures de randos et des baskets.
« On mélange l’utilitaire, la nature et le jardinage avec un New Look stylisé et les œuvres de Duncan Grant – un mix entre chic casual et formel. Il y a cette idée du passage du temps, des évolutions de la météo, de la lumière selon les saisons, et en même temps une continuité, celle d’une communauté artistique et de l’héritage de Christian Dior », expliquait Kim Jones, qui visita pour la première fois Charleston à l’âge de 14 ans.
Écossais, le peintre passa une grande partie de son enfance à l’étranger, dans les pays du Commonwealth, tout comme Kim Jones. Duncan Grant vécu tout jeune en Inde et en Birmanie, Kim Jones en Afrique.
Connu pour sa beauté et ses nombreux amants célèbres – de Lytton Strachey à John Maynard Keynes, plus influent économique du XXème siècle – Duncan Grant vécut également pendant quatre décennies avec Vanessa Bell, et tous deux terminèrent leur existence à Charleston.
Stephen Jones, collaborateur de longue date de Kim, s’est mis dans l’ambiance jardinage en concevant un tout nouveau chapeau – une sorte de panama sur casquette de baseball. A nouveaux, certains arboraient des finitions façon treille.
Autre élément clé de l’ère Jones chez Dior, ces nouvelles coupes très fûtées, pleines de jeux visuels et d’astuces vestimentaires. La meilleure idée de la saison, ce sont les doubles revers formant de nouvelles manches. Ca peut paraître compliqué, et ça l’était, mais le travail de coupe était tellement excellent que l’effet était fantastique. Ou encore cette remarquable série de costumes croisés élancés, délavés au niveau des coutures ou des épaules, qu’on aurait dit imprimés par un photocopieur qui aurait coincé à mi-course.
« Il y a cet idée d’une vie rurale et tranquille, plus détendue, dans des vêtements pratiques – où l’on se concentre sur le jardinage, les balades, la pêche – qui contraste en même temps avec les codes Dior, plus élégants et plus formels », expliquait Kim Jones.
Le tout était appuyé par une suber bande-son de Michel Gaubert, avec notamment Cowboy Lullaby de Tim McGraw et Faith Hill, et présenté sous un gigantesque chapiteau érigé dans les jardins de l’église baroque du Val de Grâce. En résumé, Bloomsbury et charme bucolique, et un défilé où on croyait presque entendre un ruisseau gazouiller, ou même la rumeur des vagues. Et une immense ovation pour saluer cette collection, de la part notamment de compatriotes britanniques comme David Beckham ou Naomi Campbell, assis au premier rang.
Comme des Garçons: Oleg Popov-meets-Grock
Juste au moment où vous pensiez que vous alliez mourir face à l’excès de vêtements de luxe banals et de postures post-pandémiques, la créatrice de Comme des Garçons, Rei Kawakubo, est arrivée avec une proposition plutôt divine.
Comme beaucoup de collections récentes, Rei a joué avec le concept du clown, en utilisant un mélange d’humour et de nostalgie pour créer une poésie de la mode.
Explications : la créatrice a mis des d’étranges masques sur de nombreux membres de la troupe, puis a fait passé ses modèles entre les mains de son service de coiffure en surrégime. Elle a créé des coiffures de stalagmites cireuses si hautes qu’elles raclaient le plafond de l’immeuble de bureaux abandonné près de l’Opéra, où le défilé se tenait.
De plus, les shorts à la garçonne sont associés à des hauts à la coupe évasée, et les pantalons sont coupés en tétraèdre et finissent sous le genou. Mais bien que volontairement excentriques, les résultats sont souvent magnifiques. De temps à autre, on trouve des manteaux édouardiens pour hommes un peu plus plus sobres, avec des poches plaquées ou des patchs arlequins. Mais le cœur du propos restent les fantaisies du maître clown : un riche stimulus visuel après tout le merchandising masculin de la semaine passée.
Pas de tournée finale de tous les mannequins, pas de salut du créateur, pas de distribution d’eau dans l’espace d’exposition en béton étouffant et bas de plafond. Et, après réflexion, le critique a réalisé qu’il venait d’assister à son cinquantième défilé de Comme des Garçons.
Peut-être pas une collection classique de Rei. Mais, au moins, c’était un moment où la mode a vraiment rencontré l’art. Et nous la remercions pour cela.