Il n’est pas Européen, il vient du Caucase. Mais c’est son rôle dans le conflit qui se déroule depuis maintenant plus de sept mois en Ukraine qui en fait ce dimanche notre Européen de la semaine. Ramzan Kadyrov, le président de la Tchétchénie, installé par Vladimir Poutine au pouvoir en 2007 après deux guerres en Tchétchénie, ne cesse de revenir dans l’actualité depuis que Moscou a lancé son « opération spéciale » en Ukraine.
Ce va-t-en-guerre n’a pas attendu la mobilisation décrétée il y a quelques semaines par le Kremlin pour envoyer ses troupes combattre en Ukraine. Sur les réseaux sociaux, il n’hésite pas à se présenter comme un chef de guerre, qui prend part aux combats. Ramzan Kadyrov, considéré comme proche de Vladimir Poutine, n’hésite pas non plus à critiquer les responsables selon lui de la débâcle russe de ces dernières semaines.
C’est un personnage haut en couleur, accusé d’être un tortionnaire, d’ordonner des campagnes de répression féroce, d’arrestations ou encore de tortures. On ne présente plus Ramzan Kadyrov, qui dirige d’une main de fer la petite République de Tchétchénie. Nommé par Vladimir Poutine en 2007, Ramzan Kadyrov entretient une relation particulière avec le président russe à qui il doit tout, comme le détaille Anne Le Huérou, maîtresse de conférences à l’université de Paris-Nanterre et spécialiste de la Russie et du Caucase : « Ce sont des rapports de loyauté. De loyauté dans les deux sens et d’une grande -je crois ne pas qu’on puisse parler d’amitié entre ces deux personnages-, mais en tout cas d’un accord également sur des intérêts bien compris qui sont qu’effectivement Ramzan Kadyrov doit tout son pouvoir à Vladimir Poutine, mais qu’en même temps Vladimir Poutine doit aussi en échange à Kadyrov une relative stabilité dans la République, une fin progressive des combats, des attentats commis sur le sol russe. »
Cette relation a évolué ces quinze dernières années, car Ramzan Kadyrov a su prouver sa loyauté pour maintenir au pas une population qui rêvait à la fin des années 90 d’indépendance. Des méthodes employées qui font des émules, comme le souligne Aude Merlin, chargée de cours en sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles, membre du Cevipol et spécialiste de la Russie et du Caucase : « Le régime en Tchétchénie, le régime politique mis en place par Ramzan Kadyrov, avec le soutien politique et financier de Moscou, est un régime extrêmement répressif. C’est un régime qui est quasi totalitaire et on pourrait même dire d’une certaine façon que l’on voit poindre un certain nombre de caractéristiques du régime politique tchétchène tel qu’il fonctionne dans l’évolution du régime politique russe de façon plus générale. »
Si les méthodes de Ramzan Khadyrov inspirent, selon Aude Merlin, ses déclarations pourraient être prémonitoires, lui qui ne cesse de critiquer l’état-major russe et qui appelle désormais à employer des armes nucléaires tactiques : « Ça, c’est une technique qui était déjà pratiquée à l’époque soviétique, c’est-à-dire que le pouvoir fin de s’inspirer de suggestions données par des éléments plus radicaux que lui, en tout cas en surface. En fait, Vladimir Poutine prétend répondre en quelque sorte à des suggestions, à des invitations, à des interpellations ou à des idées qui viendraient d’autres personnes en se présentant comme plus modérées en quelque sorte et en disant, mais finalement, nous n’avons pas le choix, et nous devons écouter et mettre en œuvre telle ou telle suggestion. »
S’il est encore trop tôt pour savoir si Moscou compte suivre les recommandations de Ramzan Kadyrov, les déclarations du dirigeant tchétchène semblent faire écho au Kremlin, précise Anne Le Huérou : « Il peut se permettre, avec son style assez fleuri qu’on lui connaît, de dire tout haut ce que Vladimir Poutine pense tout bas et ne peut pas se permettre de dire en tant que chef d’État. Mais il y a une autre interprétation, il y a une dimension interne qu’il ne faut jamais oublier. Ce discours-là, il est en grande partie à viser interne, à une visée de réassurance de son pouvoir et de sa position en interne, peut-être parce qu’elle est fragilisée, y compris par cette guerre, parce que justement, le recrutement et la mobilisation massive de tchétchène a provoqué du mécontentement. »
Ramzan Kadyrov a été promu au grade de colonel général cette semaine par Vladimir Poutine, alors que les forces de Moscou enchaînent les revers en Ukraine. Une promotion qui annonce peut-être un durcissement du conflit dans les semaines à venir. Mais ce qui est sûr, comme l’explique Aude Merlin, c’est que le destin de ces deux dirigeants est intrinsèquement lié : « Le jour où Vladimir Poutine tombe ou perd le pouvoir, Ramzan Kadyrov n’est pas sûr de pouvoir lui-même rester. Et on peut imaginer que d’une façon quasi automatique, Vladimir Poutine emmènerait Ramzan Kadyrov dans sa chute, tant cet accord entre deux hommes a été construit précisément sur une loyauté très personnelle. »
Si la mobilisation a engendré une contestation en Russie qui se traduit notamment par le départ à l’étranger de nombreux Russes, en Tchétchénie, la situation semble également se détériorer et les revers subis par l’armée russe en Ukraine pourrait bien inspirer une population qui commence à faire entendre son ras-le-bol.