Jamais un commandant d’opération militaire n’avait autant pris la lumière en Russie. Sergueï Sourovikine n’aura pourtant exercé ses fonctions que trois mois. Nommé le jour de la frappe contre le pont de Kertch, le 8 octobre dernier, Sergueï Sourovikine est celui qui a assumé depuis le retrait de Kherson, mené la campagne de frappes intenses contre les infrastructures énergétiques de l’Ukraine, lancé la construction de fortifications et de tranchées dans les territoires conquis et annexés par la Russie.
Sa nomination avait été saluée par l’alliance Kadyrov-Prigojine, très critiques contre les généraux de l’armée, aux performances jugées par les deux chefs, mais aussi cet automne par des correspondants militaires, en des mots très durs. Les attaques étaient encore montées d’un cran fin décembre : sur des vidéos sur Telegram plusieurs membres de Wagner insultaient en des termes très fleuris le ministère de la Défense, lui reprochant notamment le manque d’équipement.
Certains médias russes ce jeudi 12 janvier ne veulent voir dans ce remaniement qu’un banal jeu de chaises musicales. Mais pour la chaîne Telegram Rybar, considérée largement comme proche du ministère de la Défense, il s’agit notamment d’une punition pour Sergueï Sourovikine, après la frappe meurtrière du Nouvel an contre Makiivka.
Le clan Choïgou, le ministre de la Défense qu’on disait sur la sellette, a-t-il saisi l’occasion pour faire son retour ? En tout cas, une décision de ce type est rare souligne l’agence Agentsvo, rappelant que la dernière fois qu’un chef d’état-major a dirigé l’armée lors d’un conflit majeur, c’était il y a un peu plus de vingt ans : en 1999, pour le début de la Seconde guerre en Tchétchénie. Un marqueur pour Vladimir Poutine.
Cette décision tombe aussi le jour où Wagner revendique le contrôle de Soledar, première avancée russe depuis des mois, à peine commentée par le ministère de la Défense. D’autres victoires pourraient suivre et c’est Guerassimov qui va s’en attribuer les mérites jugent certains blogueurs militaires. Dans le communiqué de nomination de M. Guerassimov, on peut aussi lire parmi ses tâches : « une coordination plus importante entre les types de forces sur le terrain ». Voilà qui peut sonner comme un aveu implicite de manque de coordination, ou comme une reprise en main.
Difficile à ce stade de savoir si son remplacement annonce une nouvelle phase dans le conflit, comme une offensive russe à la faveur du gel récent des sols. D’autres observateurs notent que la moitié des mobilisés de l’automne 2022, soit 150 000 hommes, ne serait pas encore entrée en action, cela alors que les rumeurs d’une nouvelle vague sont insistantes.
Plus qu’une promotion pour Valéri Guerassimov, beaucoup de commentateurs évoquent en tout cas un cadeau empoisonné, tant les attentes de Vladimir Poutine sont immenses. Ce mercredi après-midi, le président russe mettait d’ailleurs lui-même en scène son impatience. Dans une vidéo conférence avec les membres du gouvernement diffusée à la télévision, le chef de l’État tançait son vice-Premier ministre, coupable à ses yeux de mettre trop de temps à lancer les commandes publiques pour l’aviation militaire.