Dans son discours de clôture du sommet, au milieu du cénacle de 40 leaders politiques réunis au palais Brongniart à Paris, le président Macron a souhaité livrer une « conclusion opérationnelle », pour ne pas en rester « aux bonnes paroles ». La crainte d’un sommet creux pesait dans l’esprit de ses pairs comme dans celui des observateurs (chercheurs, ONG…), également conviés.
« L’efficacité ne vaut que par le suivi, par la capacité de rendre compte à nos opinions publiques », a déclaré l’hôte du sommet. Dans ce but, il a annoncé la mise en place, à la demande du Ghana, d’un « mécanisme de suivi des engagements » comprenant des rapports tous les six mois et, en point de mire… un nouveau sommet à Paris dans deux ans pour en évaluer les résultats. C’est l’une des certitudes acquises au terme de ce jour et demi d’échanges, dont le premier intérêt restera l’espace de dialogue « libre » et « critique » qu’il a été, selon le président français, et à en juger certaines saillies comme celle du président Lula en fin de matinée ce vendredi.
« On ne va pas assez vite », mais « on ne fait pas rien », s’est défendu Emmanuel Macron, prévenant les critiques. Il s’est également défini en « scribe » des volontés émergées des tables rondes jeudi.
« Nous sommes d’accord sur nos objectifs », s’est-il réjoui : ne pas choisir entre lutte contre la pauvreté et la protection de la planète, un choc de financement public, une mobilisation du privé ou encore le respect de la souveraineté des États pour la voie du développement. Le chef de l’État s’est félicité d’un « consensus complet » sur tout cela, notamment pour « réformer en profondeur » le système financier mondial, afin de le rendre « plus efficace, plus équitable ». « Pas sûr que ce soit si consensuel », tempère le directeur de l’Institut du développement durables et des relations internationales (Iddri), Sébastien Treyer.
Le succès de la dette zambienne
Pour atteindre ces objectifs, le président a égrainé les quelques « éléments de courts termes actés », et révélés au cours de la première journée.
Parmi les principaux, on retrouve les 100 milliards de réallocation de droits de tirage spéciaux (DTS) vers les pays les plus vulnérables – « en particulier en Afrique » – , « consacrés par un engagement formel » des États. « Nous, Français, nous allons réallouer 40% de nos droits de tirages spéciaux, c’est du concret », avait-il dit sur RFI ce matin. Un « travail va se poursuivre dans les prochains mois » pour que les 39 milliards qui manquaient à l’appel « arrivent dans les caisses du FMI ». À ce sujet, une question technique reste en suspens : par où vont-ils transiter ? Vont-ils pouvoir être réallouer aux banques de développement, dont la réforme envisagée était un enjeu-clé de ce sommet ? En attendant, « dix projets ont été négociés, plusieurs dizaines d’autres le seront dans les prochaines semaines », a annoncé le président, sans donner de détails sur leur nature concrète.
Concernant les 100 milliards promis pour le climat depuis 2009 pour 2020 mais jamais versés aux pays pauvres, « nous sommes en train de les atteindre », a indiqué Emmanuel Macron, ne faisant que confirmer ce que l’on savait déjà, et admettant que « la situation n’est pas satisfaisante ». Le chef de l’État prévoit la commande d’un rapport spécial pour la COP28, qui se tiendra en fin d’année à Dubaï.
Côté avancées, le principe d’une clause climatique dans le cadre des prêts bancaires des États creuse son sillon, au point d’avoir trouvé sa place dans la liste des « éléments » de conclusions du sommet, mais aussi dans la bouche d’Ajay Banga, nouveau président de la Banque mondiale. Celui-ci a annoncé qu’une telle clause serait intégrée dans une « boîte à outils » et qu’elle serait proposée d’abord à ses souscripteurs les plus pauvres avant d’être étendue.
Ce dispositif vise à suspendre le remboursement de la dette pendant deux ans, renouvelables, en cas de catastrophe climatique ou sanitaire. On aurait d’ailleurs pu s’attendre à davantage de précisions sur une mesure déjà en place dans un certain nombre de pays de zones vulnérables, notamment en Amérique centrale. Comme à la Barbade, l’île caribéenne de la Première ministre Mia Mottley, porte-étendard de la généralisation de cette mesure. C’est une reconnaissance de taille pour la co-organisatrice de ce sommet, qui fut par ailleurs assez peu mise en valeur malgré son agenda très travaillé de « transformation totale » qu’elle porte haut depuis deux ans.
Emmanuel Macron est enfin revenu sur le succès annoncé hier de la restructuration de la dette de la Zambie, évaluée à 32,8 milliards de dollars. L’annonce a été saluée à Lusaka, la capitale, où les parlementaires ont entonné l’hymne national pour marquer leur joie, rapporte l’Agence France-Presse sur place. Les pays créanciers de cet État d’Afrique australe, notamment la Chine, ont accepté jeudi de restructurer 6,3 milliards de dollars de dette de ce pays de près de 20 millions d’habitants qui avait fait défaut en 2020, le premier en Afrique après l’irruption de la pandémie de coronavirus. L’accord « va permettre au gouvernement d’orienter ces ressources vers des domaines sociaux […] tels que l’éducation gratuite », avait confié jeudi soir à l’AFP une source proche de la présidence. Cette restructuration doit préfigurer celle du Ghana, a ajouté Emmanuel Macron.
En Afrique toujours, le Sénégal est aussi un heureux gagnant du loto parisien. En signant un partenariat multilatéral (dit JET-P) avec plusieurs pays développés, dans les tuyaux toutefois depuis la dernière COP, il bénéficie de 2,5 milliards de dollars pour se libérer des énergies fossiles et augmenter de 40% la part de renouvelable. Une somme bienvenue pour le président Macky Sall qui affronte le mécontentement de sa population qui le soupçonne de velléités d’un troisième mandat, qu’il n’a pas cherché à éteindre à Paris, en marge du sommet.
Le Fonds monétaire international va pour sa part augmenter à 100 milliards de dollars ses financements pour les pays pauvres. Enfin, les banques multilatérales de développement, appelées à se réformer pour notamment attirer les investisseurs privés, vont accroître leur capacité de financement de 200 milliards de dollars dans les dix années à venir.
La taxation internationale, grande absente des conclusions
En revanche, aucune mention n’a été retenue de nouvelles sources de revenus, notamment sur les nombreuses taxes, sur la table depuis plusieurs années. Et ce alors que ce sommet se voulait celui de « solutions » et d’« instruments innovants » pour dégager des fonds pérennes et massifs en faveur des défis. Rien en particulier sur la taxe internationale sur le secteur maritime – 3% des émissions mondiales de CO2. Cette mesure était pourtant pressentie pour susciter une coalition politique en mesure de la faire aboutir par la suite. « Les îles Marshall poussent pour la taxe maritime, il en aurait peut-être été différent si elles avaient été présentes au sommet », remarque Damien Barbiche, chercheur à l’Iddri.
Interpellé sur ce sujet par France Télévision en conférence de presse, Emmanuel Macron a répété ce qu’il confiait ce matin à RFI : personnellement « favorable » à une telle taxe sur ce secteur, « une bonne cause », il l’estime inefficace lorsqu’elle est appliquée par un seul pays : « si la Chine, si les Américains et plusieurs pays européens ne nous suivent pas », « ça ne peut pas fonctionner ». « L’objectif de ce sommet était de continuer à mobiliser » sur cette question, reconnaissant en filigrane un échec de consensus sur le sujet. « Aidez-nous à aller chercher tous les pays qui aujourd’hui n’ont pas de TTF [taxes sur les transactions financières, NDLR] et qui aujourd’hui n’ont pas de taxation sur les billets d’avion. Aidez-nous à mobiliser à l’Organisation maritime internationale en juillet pour qu’il y ait une taxation internationale », a-t-il invoqué sur notre antenne.
En fin de sommet, la Commission européenne et plus de 20 pays ont cependant apporté leur soutien à une taxe carbone sur le transport maritime mondial avant la réunion de l’Organisation maritime internationale, le mois prochain. C’est dans cette instance qu’une taxe pourra être adoptée.
Quant à Janet Yellen, secrétaire au Trésor américain, également sollicitée, elle s’est contentée de parler d’une « suggestion constructive » sur laquelle les États-Unis « vont se pencher ».
« Des voix de pays africains très coordonnées »
Dernier à prendre la parole avant le discours de clôture du président français, le président sud-africain Cyril Ramaphosa s’est dit déçu du fait qu’« un certain nombre d’engagements » n’aient « pas été concrétisés », notamment sur les 100 milliards pour le climat, qui incarnent plus que jamais la véritable attente – montant pourtant symbolique face aux besoins réels – des pays les plus exposés au changement du climat. « Il faut maintenant que des actions concrètes soient prises », ne peut-il que plaider.
Très impliqué, le président kényan Wiliam Ruto n’a pas caché sa frustration : « J’aurais préféré un engagement ferme sur la suspension de la dette du G20 ». Ou encore : « Le débat sur la taxe carbone est impératif. Nous ne souhaitons pas que le Nord paye pour le Sud, nous souhaitons payer tous ! Parce que nous souhaitons nous assoir à la table des décideurs. »
« Cela n’a pas été le sommet de Mia Mottley, le relais a été pris par le président Ruto », remarque Sébastien Treyer, le directeur de l’Iddri. D’une manière générale, l’expert de ces questions a perçu « des voix de pays africains très coordonnées ». « Ça a de l’impact parce que ces pays savent qu’ils comptent, savent qu’ils sont les futurs marchés, qu’ils ont des voix aux Nations unies qu’on convoite et parce que leur instabilité financière est celle de toute la planète. Ils ont envoyé un signal très clair sur la remise en cause de l’orthodoxie du système financier. »
« Les accords de Bretton Woods [en 1944, fondateurs du système financier actuel, NDLR] se sont conclus en trois semaines », nous pouvons faire beaucoup en trois mois, a ainsi conclu William Ruto, en référence au rendez-vous climat prévu début septembre à Nairobi.
« Ce sommet montre qu’il existe indéniablement de la bonne volonté chez de nombreux acteurs mondiaux clés pour lutter contre le changement climatique, la pauvreté et l’injustice, a réagi de son côté Adenike Oladosu, fondatrice des « Fridays for Future » au Nigeria. Mais les bonnes intentions ne suffisent pas quand nos garde-mangers sont vides, quand la sécheresse frappe et quand nos dirigeants doivent choisir entre payer leurs dettes ou financer nos écoles ou nos hôpitaux. »
Les chercheurs rappellent que ce sommet, non-décisionnaire, visait avant tout à donner « une impulsion politique », une vision d’ensemble des réformes à mener. Y voit-on plus clair ? Bien des éléments techniques se décident dans les couloirs et salles de réunions, souvent entre pays, et les synthèses ne reflètent pas toujours les avancées qui se jouent dans les détails. « C’est dans les semaines et les mois qui viennent qu’on verra s’il y a vraiment des dynamiques qui ont été lancées à Paris », conclut Damien Barbiche, chercheur à l’Iddri. Quitte à décevoir, surtout au Sud, le message semble inlassablement le même : il est urgent d’attendre.