Jonas Vingegaard est un padoxe, un grimpeur naturel né dans un pays dont le sommet (le Yding Skovoj) culmine à 173 mètres et en rend 37 à la Tour Montpanasse. Si la tectonique des plaques ne les a pas gâtés pour les cols, les Danois sont un peuple de voyageurs et de juillettistes aussi. Les compatriotes du maillot jaune ont fait de l’Alpe d’Huez leur montagne, comme les Néelandais avant eux.
Jeudi 14 juillet, le coureur de la Jumbo-Visma était un peu chez lui à l’attaque des 21 lacets de la station iséroise, dont le 9e est officiellement devenu celui des Danois. « L’Alpe d’Huez ? c’était mieux que ce que j’imaginais, a avoué Jonas Vingegaard pour sa première montée en course. Contrairement à ce que j’avais vu certaines fois, il y avait la place pour passer. »Assez pour que Tadej Pogacar cherche à s’inviter à la fête des Nordiques dans les cinq derniers kilomètres. Le coureur de l’équipe UAE a placé deux coups de pétards. Impassible, Jonas Vingegaard est revenu dans sa roue. Un « match » nul peut-être (les deux coureurs terminant dans le même temps), mais le message est passé : Tadej Pogacar n’a pas amené avec lui un drapeau de la couleur de son maillot du meilleur jeune.
La veille, le double tenant du titre avait pris pourtant un sacré coup de « Granon » sur le casque. Dans ce col, témoin de sa première grande défaillance, le Slovène a lâché près de trois minutes à un Jonas Vingegaard placé sur orbite par le lanceur Jumbo. Celui qui apparaissait invincible en première semaine doit maintenant se gratter la tête pour savoir où et comment récupérer son débours de 2 minutes 22 sur son dauphin de 2021 au classement général.
La montée de l’Alpe d’Huez constituait un premier terrain de reconquête du pouvoir. Tadej Pogacar a essayé, pour se rassurer déjà et voir ce qu’il avait encore dans le ventre après son coup de barre du Granon. « Je sais pourquoi j’ai souffert hier (mercredi), j’ai dépensé trop d’énergie dans la montée du Galibier, regrette-t-il. Cela ne se reproduira pas. Jonas est super fort mais nous allons batailler tous les deux jusqu’au bout. »
Pour l’instant, le Danois donne l’impression de vouloir marquer à la culotte son rival plus que de l’envoyer au tapis. « Lorsque j’ai essayé d’attaquer, Jonas (Vingegaard) n’a jamais contre-attaqué, ce que j’aurais bien aimé, cela m’aurait permis de répondre à mon tour, regrette Pogacar. Mais il m’a simplement suivi, et je n’étais pas assez fort pour le lâcher. »
La Jumbo a pourtant payé d’une victoire dans la Grande Boucle de pas avoir cherché à enfoncer le clou et les écarts face à un Tadej Pogacar pris pour du menu fretin. L’image d’un Primoz Roglic, défait et le casque de travers lors du contre-la-montre de la Planche des Belles-Filles, agit encore comme un rappel à l’ordre.
Ce 19 septembre 2020, Tadej Pogacar avait retourné la course et le destin de son compatriote sur son terrain de prédilection, malgré 57 secondes de retard. Un gouffre pensait-on du côté des esprits très rationnels des directeurs sportifs et autres stratèges en performance de l’équipe néerlandaise.
Jonas Vinegaard avait assisté au naufrage devant sa télé. A l’époque, il n’était qu’un talent en devenir parmi d’autres chez les noir et jaune. Garçon réputé sensible et pas toujours sûr de lui, il affiche désormais une confiance à toute épreuve, en particulier dans la force collective de son équipe. « Mon équipe est probablement la meilleure du Tour, nous l’avons prouvé lors de ces deux dernières étapes », dit-il. Difficile de lui donner tort.
Le maillot jaune dispose d’une escouade encore complète où même le moins bon grimpeur du lot, le Belge Nathan Van Hooydonck, arrive à mettre la moitié du peloton au supplice dans le col du Galibier. En comparaison, l’équipe UAE ressemble à une association d’éclopés entre un Marc Hirschi jamais très loin de la voiture-balai, George Bennett et Vegard Stake Laengen tombés au champ d’honneur de l’écouvillon après des contrôles positifs au Covid 19 et un Rafal Majka « covidé » également, mais autorisé à poursuivre en raison d’un très faible risque d’infectiosité.
« Vingegaard peut rencontrer aussi une mauvaise journée »
Sur le papier, les Emiratis partent à la chasse au Vingegaard avec un pistolet à eau défectueux. Pourtant, les camarades de Tadej Pogacar croient à une « remontada ». « Ce Tour n’est pas fini, Tadej a eu une mauvaise journée mais il va tout faire pour renverser la situation », prévient le Polonais Rafal Majka, persuadé que son leader est capable de tous les exploits.
Sa courte carrière sert de rappel à l’ordre pour n’importe lequel de ses adversaires. Quand on bat les meilleurs rouleurs dans l’exercice du contre-la-montre ou qu’on martyrise les spécialistes dans les monts pavés du dernier Tour des Flandes, c’est qu’on est fait d’un autre métal. « Sa défaillance ? c’est sans doute un problème d’alimentation, ça peut arriver », relativise son équipier espagnol, Marc Soler.Le transfuge de la Movistar ne dévoile pas encore les plans de son jeune patron. Va-t-il tout miser sur une des deux étapes des Pyrénnées au risque de tout perdre ou chercher à grignoter son retard avant le contre-la-montre de la veille de l’arrivée, taillé pour ses qualités sur les routes escarpées du Lot ? « On doit encore espérer, prolonge Marc Soler. Vingegaard peut rencontrer aussi une mauvaise journée. Tous les coureurs ont une mauvaise journée sur le Tour. »
Mais en dehors d’un changement rocambolesque de vélo lors de l’étape des pavés, le Danois a réalisé un sans-faute et oublié ses complexes. « J’ai fait des progrès mentalement, assure-t-il. J’ai vu l’an dernier que j’avais le niveau pour remporter le Tour. Avec le soutien de mon équipe, je cours avec plus de confiance. » Pour Tadej Pogacar, le défi n’en est que plus grand et grisant. Au sommet du Granon, ce dernier faisait une promesse au micro de France 2 : « Vous allez voir, cela va être sympa de suivre notre duel à la télévision. »