Un dénouement toujours incertain en Ukraine

Après 143 jours, le conflit entre l’Ukraine et la Russie semble vouloir perdurer. Après s’être massivement investies pour conquérir Severodonetsk, Lyssytchansk et le Lougansk, des régions de l’est de l’Ukraine, les troupes de Moscou se réapprovisionnent avant un probable prochain assaut. Quel sera le dénouement du conflit? L’Agence QMI s’est entretenue avec deux experts.La situation est critique pour l’Ukraine, alors que la Russie est bien campée dans l’est du pays, dans la région du Donbass. Deux experts ont cependant une vision divergente sur l’issue probable du conflit qui risque de persister pendant plusieurs mois.

Un ancien officier de renseignements militaires, Simon Leduc, voit mal comment les troupes du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, pourraient repousser les Russes.

«L’Ukraine a reçu beaucoup d’armes antichars, mais j’ai l’impression qu’elles ont presque toutes été utilisées, a indiqué Simon Leduc. En mars, les Ukrainiens demandaient 500 missiles antichars aux Américains par jour et ils en ont reçu 6000, au total, jusqu’à maintenant. Ça ne va pas bien pour l’Ukraine. Présentement, la Russie bombarde sans arrêt, mais elle n’avance pas.»

«Selon plusieurs indicateurs, le front ukrainien commencerait toutefois à céder dans la région du Donbass, a-t-il ajouté. Jeudi, les statistiques sont à prendre avec des réserves, mais la Russie aurait tué jusqu’à 1000 soldats ukrainiens en une seule journée. Il y a eu des bombardements en tabarnouche.»

Selon sa lecture des événements, la Russie mène une guerre d’usure pour affaiblir les troupes ukrainiennes. Le conflit ne risque pas de se terminer rapidement.

«On en a pour des mois et des années, a estimé Simon Leduc. Si ce n’est pas en Ukraine, ça va se passer en Lituanie ou en Lettonie. Il y a aucun doute dans ma tête que le conflit n’arrêtera pas à l’Ukraine.»

«Pertes militaires importantes»
De son côté, le brigadier général retraité des Forces armées canadiennes, Richard Giguère, estime que rien n’est encore joué. Il est d’avis, lui aussi, que le conflit ne se terminera pas de sitôt.

Il souligne le fait que les troupes de Vladimir Poutine ont subi des pertes militaires importantes en hommes. Sur le plan des ressources matérielles, Moscou est contraint de piger dans sa réserve en utilisant de vieilles armes.

«Chaque pouce coûte cher à la Russie, a noté celui qui a eu une carrière de 36 ans dans les Forces armées canadiennes. La Russie occupe près de 20 % du territoire de l’Ukraine, dont plusieurs zones russophones.[…]. Moscou a eu de la misère à avancer dans un territoire qui leur était plus favorable. Les Ukrainiens ne laisseront jamais tomber. Je ne vois pas le pays tomber.»

Selon Richard Giguère, même si l’Ukraine tombait sous le contrôle de Moscou, le peuple ukrainien ne se laisserait pas gouverner par Vladimir Poutine.

La guerre en chiffres
• Début de l’invasion russe: 24 février 2022

• 143 jours de guerre (samedi)

• Près de 20 % de l’Ukraine sous contrôle de la Russie

• 15 544 victimes civiles ont été enregistrées en Ukraine, dont 5024 morts

• À Marioupol, une ville du sud-est tombée en mai, les autorités ukrainiennes évoquaient près de 20 000 morts, sans fournir de preuves.

• Des dizaines de millions de personnes sont en «danger de mort potentiel»

• Plus de 8,7 millions de personnes ont fui l’Ukraine et plus de 6 millions d’Ukrainiens sont déplacés à l’intérieur du pays

Sur le plan militaire, des sources de sécurité occidentales évoquent désormais de 15 000 à 20 000 soldats russes tués. Les forces ukrainiennes perdent chaque jour une centaine de soldats, selon Kyïv.

Source: Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et AFP

Crise alimentaire mondiale
La guerre en Ukraine menace les approvisionnements mondiaux des céréales et la sécurité alimentaire : «De 8 à 13 millions de personnes supplémentaires pourraient souffrir de sous-nutrition dans le monde si les exportations alimentaires de l’Ukraine et de la Russie étaient durablement empêchées du fait de la guerre», selon le Fonds international de développement agricole.

«La Guerre froide 2.0»
En Russie, les médias parlent d’une «Guerre froide 2.0», selon l’ancien officier de renseignements militaires, Simon Leduc, qui surveille attentivement ce qui se déroule au pays de Vladimir Poutine.

«Dans les médias russes, ils ont verbalisé que nous sommes au plus chaud de la Guerre froide 2.0, a dit Simon Leduc. Pendant la Guerre froide, la Russie n’avait pas accès aux services occidentaux et le pays se retrouve maintenant isolé comme c’était le cas à l’époque.»

Rappelons que la Guerre froide désigne la période de tensions politiques entre les États-Unis et ses alliés, d’une part, et l’Union soviétique, d’autre part, pendant la seconde moitié du XXe siècle.

«La vision des Russes, c’est que les Américains sont en train de se battre contre eux en Ukraine, a-t-il précisé. L’ennemi réel, ce sont les Américains et l’OTAN. Ils croient que les États-Unis veulent nuire à la Russie à l’aide d’alliances.»

Des doutes sur la volonté des Américains
L’ancien officier de renseignements militaires, Simon Leduc, a des doutes sur le véritable objectif des Américains en Ukraine.

«Les Américains fournissent des armes, mais ils n’en fournissent pas tant pour gagner la guerre, a-t-il dit. Ils semblent vouloir affaiblir la Russie en causant des dommages. En regardant la prise des décisions des États-Unis, je ne suis même pas certain qu’ils veulent que l’Ukraine gagne. Si le but était la victoire, on aurait envoyé beaucoup plus d’armes depuis longtemps.»

Simon Leduc comprend toutefois la décision du pays de l’Oncle Sam.

«Les Américains doivent couvrir plusieurs fronts, a-t-il rappelé. Il y a d’autres menaces comme la Corée du Nord ou la Chine qui pourrait envahir Taïwan. Ils ne peuvent pas mettre tous les œufs dans le même panier.»

Des armes inefficaces en cadeau
Plusieurs armes offertes par l’Occident aux Ukrainiens pour combattre les Russes seraient inefficaces, selon Simon Leduc.

«Lors de ma carrière, ma spécialité était les talibans, souligne l’ancien officier de renseignements militaires . Pour les combattre, on a complètement réorganisé l’équipement militaire pour mener des guerres en Iraq et en Afghanistan. Ces peuples n’ont pas d’artillerie, donc tout notre équipement a été réduit en poids pour faciliter le transport.»

«Ça veut dire qu’il y a moins de blindage, a-t-il précisé. Ça se transporte bien, mais c’est plus fragile. De leur côté, les Russes ont de gros systèmes lourds qui ne se transportent pas bien, mais qui sont résistants. Ils ont seulement de l’infanterie lourde. Notre équipement n’est donc pas adapté.»

Toutefois, en juin, les Américains ont livré des roquettes de précision. Elles ont donné à l’armée ukrainienne un regain de vie, en modifiant le rapport de force sur le champ de bataille, ce qui pourrait pousser Moscou à ralentir son offensive, selon des experts consultés par l’AFP. Ces lance-roquettes, guidés par GPS, ont une portée de près de 80 kilomètres. En juin, cela a permis de détruire 20 importants dépôts de munitions russes et des postes de commandement.

Cinq éléments clés pour Zelensky et l’Ukraine
Des spécialistes consultés par l’AFP ont récemment présenté quelques éléments clés pour permettre au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, de triompher.

1. Reprendre du territoire: «La décision politique d’une contre-attaque a été prise. La campagne de libération des territoires occupés a commencé», a affirmé à l’AFP l’analyste ukrainien Anatoliy Oktysyuk.

2. Épuiser l’ennemi: «Les Ukrainiens ne reculent militairement que lorsqu’ils n’ont plus le choix, comme à Severodonetsk et Lyssytchansk (Est). “Les Ukrainiens leur ont fait payer cher ce territoire”, note un haut responsable américain de la Défense.»

3. Maintenir son aura: «Je n’ai aucune indication que (la guerre) l’épuise”, a dit un ex-ambassadeur américain en Ukraine à l’AFP, William Taylor. “La pression doit être énorme. Mais il tient bon. (…) Tout le monde s’accorde sur le fait que sa force réside dans le lien qu’il tisse avec le peuple ukrainien.»

4. Conserver l’unité ukrainienne: «Encore faut-il conserver cette unité malgré les morts, les privations, la peur. Pour l’heure, nul ne parle de négociations», a dit William Taylor.

5. Convaincre l’Occident: La guerre a rapproché l’Ukraine et l’Occident. Kyïv a d’ailleurs acquis le statut de candidat à l’entrée dans l’Union européenne. Une contribution plus importante de l’Occident pourrait faire la différence.

Le temps et le pétrole jouent en faveur de la Russie
Moscou produit 11 millions de barils de pétrole par jour et 5 millions sont destinés à l’exportation. Selon l’AFP, la Russie a engrangé 93 milliards d’euros de revenus tirés de l’exportation d’énergies fossiles durant les 100 premiers jours de la guerre et la majorité était destinée à l’Union européenne.

Cela fait croire au brigadier général retraité des Forces armées canadiennes, Richard Giguère, que le temps joue en faveur de la Russie. Il estime lui aussi que le conflit est loin de se terminer.

«Plus le conflit dure, plus cela va être un défi pour la cohésion internationale, a-t-il dit. Tout le monde est uni, mais il risque d’y avoir des failles avec le temps en raison des ressources naturelles. Plus on va s’approcher de l’hiver, plus le besoin en énergie va se faire sentir pour certains pays.»

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